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de communication; les soldats, les canonniers, les caissons se pressaient pour y arriver; la vieille garde qui était en réserve en fut assaillie et fut elle-même entraînée. Dans un instant, l'armée ne fut plus qu'une masse confuse, toutes les armes étant mêlées, et il était impossible de reformer un corps. L'ennemi, qui s'aperçut de cette étonnante confusion, fit déboucher des colonnes de cavalerie; le désordre augmenta; la confusion de la nuit empêcha de rallier les troupes et de leur montrer leur erreur. Les escadrons de service même, rangés à côté de l'Empereur, furent culbutés et désorganisés par ces flots tumultueux, et il n'y eut plus d'autre chose à faire que de suivre le torrent1. »

Waterloo nous apparaît comme un Marengo et comme un Wagram retournés. On saisira bien vite en quoi, au fond, diffèrent ces journées fameuses. Certes, à Marengo, Bonaparte aurait pu éprouver un échec, sans l'arrivée de Desaix, qui lui procura un éclatant triomphe; mais il n'avait pas à craindre de voir fondre sur lui, comme à Waterloo, un Blücher précédé d'un Bulow2. A Wagram, suffisamment averti par l'échec d'Essling, il n'engagea d'action générale qu'après sa jonction avec le prince Eugène et avec Marmont et une reconnaissance topographique prolongée des positions ennemies, qui fera l'admiration des âges; tandis qu'à Waterloo, il ne s'était même pas assuré que Grouchy pourrait lui tendre la main, et la topographie du champ de bataille était restée pour lui presque lettre close3.

Non seulement Napoléon avait le génie de la guerre, mais il en eut, surtout depuis son avènement à l'empire, la passion. C'est cette passion qui, avivée par la défaite même, devait le perdre. Depuis la destruction de la grande armée, il nous apparaît comme un joueur obstiné et effréné, qui, dans l'espèce, n'avait plus d'atouts en main, et qui, comme tous les joueurs, se fiait au hasard. Sui

1. Correspondance, 20 juin 1815.

2. Il laissait Mélas courir cette mauvaise chance à Marengo; à Waterloo, il la courut lui-même.

3. Le colonel Charras définit ainsi topographiquement ce champ de bataille : « Il se présente comme une vaste croupe soutenue au sud par une pente d'inclinaison généralement douce et facile à battre de feux plongeants. Goumont, la Haie Sainte, Papelotte, la Haie, Smohain, Frichemont, paraissent comme autant d'avant-postes qui en défendent l'accès. »

4. Sainte-Beuve, dans son Étude sur le général Jomini (1869, p. 213), s'exprime ainsi «Un trait fort juste de Jomini sur Napoléon et qu'ont trop oublié ses détracteurs aussi bien que ses panégyristes, c'est que cette volonté de fer était souvent bien mobile, comme celle de tous les joueurs passionnés, et qu'elle remettait souvent ses

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vant le mot de Jomini, la guerre était devenue pour lui « un drame passionné'. »

Le passage qui suit du Mémorial nous aidera à le mieux comprendre2:

«Le soir nous jouions constamment au vingt et un; l'amiral et quelques Anglais étaient parfois de la partie. L'empereur se retirait après avoir perdu d'habitude ses dix ou douze napoléons; cela lui était arrivé tous les jours, parce qu'il s'obstinait à laisser son napoléon jusqu'à ce qu'il en eût produit un grand nombre. Aujourd'hui (15 août 1815), il en avait produit jusqu'à quatre-vingts ou cent; l'amiral tenait la main; l'empereur voulait laisser encore pour connaître jusqu'à quel point il pourrait 'atteindre; mais il crut voir qu'il serait tout aussi agréable à l'amiral Cockburn qu'il n'en fit rien il eût gagné seize fois, et eût pu atteindre au delà de soixante mille napoléons. Comme on s'extasiait sur cette faveur singulière de la fortune en faveur de l'empereur, un des Anglais fit la remarque qu'aujourd'hui était le jour de sa naissance et de sa fète. » C'est bien en doublant sans cesse l'enjeu de ses campagnes et de ses batailles que Napoléon a trouvé sa perte 3.

Mais revenant à la topographie, dont en ces dernières lignes nous nous sommes écarté à la suite de l'empereur, et nous reportant à ses plus belles journées, nous conclurons avec Jomini : « C'est dans le bon choix des points objectifs de manoeuvres que consiste le talent le plus précieux pour un général et le gage le plus sûr de grands succès. Du moins est-il certain que ce fut le mérite le plus incontestable de Napoléon. » Mérite, on le voit, essentiellement topographique. Tel était son diagnostic 5.

résolutions ultérieures les plus graves, aux chances les plus fortuites. Ses idées devaient se développer selon la tournure des événements: c'était à la fois l'homme le plus décidé et le plus indécis. Mais ceci ne nous semble exact qu'à partir de 1813.

1. Correspondance, 2 mai 1813. « Sa Majesté (Napoléon) jugea que le moment de crise qui décide du gain ou de la perte des batailles était arrivé; il n'y avait plus un moment à perdre. »

2. Tome Ier, page 49. Ceci se passait dans le voyage de Sainte-Hélène. 3. Précis de l'art de la guerre, t. Ier, ch. III, art. 19.

4. Jomini, dès 1816, dans son Histoire critique et militaire des campagnes de la Revolution, faisant suite au Traité des grandes opérations militaires, donnait la vraie formule de la chute de Napoléon : « Il est tombé du faîte des grandeurs pour avoir oublié que la force et l'esprit humain ont leurs bornes et que plus les masses mises en mouvement sont grandes, moins le génie a part aux événements. »

5. On ne saurait trop insister sur la spontanéité de ce diagnostic chez Napoléon. A propos du Traité des grandes opérations militaires, que lui avait présenté Jomini, il s'écriait (voir Sainte-Beuve, p. 50): « Je suis charmé que le premier ouvrage qui démontre les vrais principes de guerre appartienne à mon règne. On ne nous apprenait rien de semblable dans nos écoles militaires. »

Il est heureux qu'un génie topographique aussi spontané ait fait son apparition avant que nos cartes d'état-major, nos chemins de fer et nos télégraphes eussent assuré le succès au capitaine, qui, grâce à son labeur acharné et à celui de son état-major, a su le mieux, durant des années, le solliciter en silence et en cachette. C'est M. le maréchal de Moltke, qui, dans la seconde moitié de notre siècle, a été à nos dépens le premier « mécanicien de la victoire ». Au début de ce même siècle et dans notre camp, Napoléon, tout primesautier, je ne dirai pas moins laborieux, mais plus pressé et plus pressant, nous a fait admirer cette puissance d'invention dans le cabinet, ce coup d'œil sur le champ de bataille, qui, les conditions. mêmes de la guerre étant changées, ne se reverront plus.

D'autre part il faut tenir compte de ce fait que, moins favorisés que Napoléon, ses glorieux prédécesseurs Alexandre, Annibal et César n'avaient pas de cartes, quelque imparfaites qu'on les imagine, des pays où ils guerroyaient. Pour eux, le travail du cabinet aurait manqué d'aliment. Ils devinaient, ils ne prévoyaient guère. C'est Frédéric le Grand qui, ayant des cartes à sa disposition, peut être qualifié d'ancêtre militaire de Napoléon, et celui-ci semble l'avoir compris'. Mais le champ où se mouvait forcément le fondateur de la puissance prussienne est trop strictement limité pour qu'on lui reconnaisse, dans une sphère toute militaire, cette supériorité qui ne lui sera certes pas déniée dans le domaine politique Avoir su se borner.

:

Comme nous l'avons déjà remarqué, toutes ses campagnes postérieures à celle d'Italie ont un objectif politique, qui, en élargissant singulièrement leur horizon, en rend le succès problématique. C'est la série de ces combinaisons, au double caractère politique et militaire, que nous indiquerons et critiquerons ultérieurement.

(A suivre.)

LUDOVIC DRAPEYRON.

1. L'empereur s'est saisi de ces trophées l'épée du grand Frédéric, la ceinture de général qu'il portait à la guerre de Sept ans et son cordon de l'Aigle noir - qu'on a trouvés à Postdam... L'empereur s'est saisi de ces trophées avec empressement et a dit : « J'aime autant cela que vingt millions. » Puis pensant un moment à qui il confierait ce précieux dépôt : « Je les enverrai, dit-il, à mes vieux soldats de la guerre de Hanovre, j'en ferai présent au gouverneur des Invalides; cela restera à l'Hôtel. » (Correspondance, 19° Bulletin de la Grande-Armée, 27 octobre 1806).

2. Le Brandebourg, la Silésie, la Saxe, la Bohême, voilà tout le champ d'opération de Frédéric, tandis que celui de Napléon, de proche en proche, finit par s'étendre à l'Europe entière.

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Le mois d'août n'est généralement pas fertile en travaux géographiques notables; les Sociétés de géographie ne tiennent plus de séances, et les amis de la science géographique ne peuvent plus se rencontrer ailleurs qu'au cours des voyages qu'ils entreprennent pendant les vacances. Éloignés d'ailleurs des bibliothèques, n'ayant plus sous la main les ressources qu'elles leur offrent, ils pourraient difficilement se livrer à des travaux considérables. Beaucoup de savants ne peuvent cependant point se résigner à rester inactifs pendant toute la période qu'il est d'usage de consacrer au repos, et la coutume s'est établie de fixer à cette époque la tenue des congrès scientifiques. Les géographes n'ont point manqué de suivre les exemples de leurs confrères, et, depuis 1878, chaque année, sauf 1885, a vu la réunion d'un congrès des Sociétés françaises de géographie. C'est la Société du Havre qui vient de recevoir les autres sociétés1; bien qu'elle soit une des plus récentes, cette compagnie occupe un rang honorable. Sa situation dans un des plus grands ports de France lui permet de se livrer avec succès à l'étude de la géographie commerciale.

On a contesté souvent l'utilité des congrès de géographie. Il nous semble utile cependant que les délégués des Sociétés puissent, une fois par an, se concerter pour prendre des décisions communes. Mais la multiplicité des congrès fait qu'ils se nuisent les uns aux autres; il est difficile que chacun d'eux puisse attirer un nombre suffisant de membres; le petit nombre de Sociétés représentées aux congrès de géographie est surtout fâcheux et enlève quelque autorité à leurs décisions; les vœux qu'ils émettent sont d'autre

1. Notre prochaine livraison contiendra le discours qu'en qualité de président, notre éminent collaborateur, M. Levasseur, de l'Institut, a prononcé à l'ouverture de ce congrès. Nous mentionnerons également les résolutions adoptées (Note de la direction).

part trop nombreux pour avoir des chances sérieuses de succès et le soin d'en poursuivre la réalisation n'est confié à personne. L'époque fixée par la réunion des congrès n'est peut-être pas étrangère non plus aux dispositions que montrent beaucoup de nos collègues à se soustraire à l'obligation de s'y rendre. Il y aurait pourtant grand avantage à ce que les membres des diverses Sociétés arrivassent à se connaître familièrement; rien ne rapproche davantage que le souvenir d'excursions faites en commun, de travaux et de fatigues que l'on a partagés. Les liens d'amitié que l'on contracte pendant les congrès ne peuvent que servir la science en facilitant les relations entre les savants. C'est un des meilleurs résultats des congrès et cette considération nous fait regretter qu'ils ne soient pas plus suivis.

Le mois de septembre verra la réunion des membres de la Société de géologie. Le centre de leurs excursions sera Rochefort; ils suivront la côte de Châtelaillon à Royan; ils auront l'occasion d'étudier sur place quelques-uns des phénomènes les plus curieux que présente le littoral de la Charente-Inférieure qui a été autrefois l'objet de nos études. Une conférence sur ces phénomènes sera faite à cette occasion à Rochefort par M. de Lapparent qui présentera une explication nouvelle et ingénieuse des modifications de niveau de la terre et de la mer. M. A. Boissellier présentera à ses collègues la première feuille et les épreuves de la seconde feuille de la carte géologique de France au 80 000 qu'il a été chargé de dresser par le ministre des travaux publics pour le département de la CharenteInférieure.

II

Dans une conférence faite récemment à l'Association républicaine du centenaire de 1789, le D' Harmand a étudié la question de l'organisation politique et administrative de l'Indo-Chine française.

Lors de la conquête de Saïgon, la nécessité d'un établissement colonial étendu n'apparaissait encore bien clairement à personne, ni en Indo-Chine ni dans les conseils de l'empereur; ce sont les événements qui nous ont portés, ce n'est pas nous qui les avons fait naître. La Cochinchine française s'est faite d'elle-même; l'IndoChine française, on peut le dire, est en voie de se faire toute seule, sortie du premier coup de canon tiré contre la citadelle de Saïgon.

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