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comptoirs de Zinquinchoo sur la riviere de Cassamance, celui de Cacheo sur la rivière de Saint-Dominique chef-lieu ou réside le gouverneur et les cours civiles et militaires, enfin Géba sur la riviere de Gèves à peu de distance de l'isle de Bissao. La communication est établie au moyen de quelques grandes pirogues pontées et rehaussées, et de quelques bateaux ou goélettes ; les Portugais portent d'Europe des néganepaux, des bajutapeaux, des indiennes. d'Europe à grand fleurs d'un rouge tres foncé, des toiles de coton d'un mauvais bleu, des draps communs d'Angleterre, des eaux de vie, des fusils, des pieres a fusil, de la poudre a feu, des balles, du corail, de lambre, des véroteries, du fer portugais, des bonnets de laine rouge etc.. Trois batiments de 2 à 300 tonneaux déposent ces marchandises et recoivent des cargaisons de cire, de morphil, et de captifs dont la traite annuelle se monte de quinze a 1800 livres. Les comptoirs de la grande terre traitent avec les Papels, les Mandingues, et les Maures; ces dernieres conduisent à Géba des chaines d'esclaves pris dans l'intérieur du pays; le comptoir de Bissao qui par la bonté de sa rade reçoit les batiments de la compagnie, traite avec ses insulaires, et avec les Bisagots. On se met toujours en garde contre la férocité et la trahison de ces peuples; les batteaux destinés a cette traite montent quatre ou six canons de petits calibres, ils sont confiés a des Négres qui les conduisent parmi les isles, ils mouillent dans les ançes et attendent a l'ancre que les Bisagots reviennent traiter bord a bord, dans un nombre convenable à leur sureté. Il arrive souvent que les insulaires n'ont aucun besoin; les batteaux reviennent alors a Bissao, sans avoir fait traite. Quelques fois aussi les Bisagots entourent et s'emparent des batteaux portugais avec de grandes pirogues qui portent jusques à cent hommes: c'est de cette maniere qu'au mois de décembre 1784, les Portugais perdirent trois de leurs batteaux qu'ils furent ensuite obligés de racheter ainsi que les equipages.

Les peuples de l'archipel des Bisagots proprement dit, dans lequel on ne doit pas comprendre les isles de Jale, de Bussis, et de Bissao, ne recherchent que les armes, le feu et l'eau de vie; ils ne font aucun usage des produits de nos manufactures, non plus que des objets de luxe et d'agrément auxquels tous les Négres de l'Afrique mettent une valeur avantageuse pour le commerçant. Les Bisagots sont toujours nuds; plusieurs ont des pagnes et des etoffes d'Europe qui ne sortent de leurs cases qu'à la mort du propriétaire;

alors on etale les richesses du deffunt que l'on renferme ensuite jusqu'a la mort du nouvel héritier.

Toutes les isles de l'archipel se font reciproquement la guerre, mais les hostilités cessent, et elles se réunissent toutes les fois quil s'agit d'attaquer les Blancs.

La difficulté de traiter avec les peuples des Bisagots dont la férocité et la perfidie sont sans exemple doit a jamais éloigner lidée de s'établir parmi eux. La position de l'isle de Boulam seroit la plus avantageuse a cause de la proximité de la grande terre; mais cette isle à huit lieues de tour, sa population est considérable, il faudroit etre en force pour s'y établir, meme avec le consentement des habitants, afin d'etre toujours a mème de repousser les attaques aux quelles on seroit chaque jour exposé.

J'ignore parfaitement de quel avantage pouroit etre au commerce un établissement sur l'isle de Boulam a laquelle on ne parvient que par un passage étroit, entre des roches et des bancs placés a l'ouest de l'isle D'arc, et dans lequel il ne reste que 20 pieds d'eau a haute mer.

L'isle D'arc au nord de Boulam est a deux lieües de le grande terre et a un peu plus de l'isle de Bissao. L'isle D'arc couverte de bois n'a que deux lieües de longueur de l'est à l'ouest et sa largeur varie d'une lieüe a une demi lieue: elle n'est point habitée, cependant les Bisagots la visitent fréquemment ; je n'ai pas fait sonder le nord de cette isle, mais jai lieu de croire que les batiments y seroient exposés dans les fortes brises du nord-est au nord-ouest qui régnent dans la belle saison; il faudroit aller chercher l'abry sur le coté méridional, et l'on auroit contre soi la difficulté du passage dont jai fait mention qui n'est pas sans dangers à cause de la violence des courants.

1. En 1784 de La Jaille eut à se plaindre des peuples des Bissagos. Voici comment Labarthe (page 128) raconte la trahison dont cet officier fut victime. « Nous étions entre le banc de Crasse et l'ile de Jatte, lorsque le 31 décembre les insulaires ayant fait des signaux d'amitié, M. de La Jaille mouilla à une portée de canon d'une baie où la descente était aisée. Il fit embarquer du monde dans quatre chaloupes ou canots; il en plaça trois de manière à pouvoir le soutenir et débarqua avec son canot. Les bestiaux étaient sur la grève, cinq ou six nègres sans armes paraissaient en prendre soin. Bientôt une centaine d'habitants désarmés s'avancèrent vers M. de La Jaille et plusieurs lui touchèrent la main en signe d'amitié. Le bruit de la mer l'empêcha d'entendre les cris de ses gens restés dans les canots, qui l'avertissaient de se rembarquer, parce qu'ils voyaient un grand nombre d'insulaires sortir des buissons. Il fut en effet attaqué, et même saisi par le corps et les jambes, et il ne dut son salut qu'à sa force. Les canots firent feu et favorisèrent son rembarquement; mais M. de Carbonneau, qui était venu à son secours, reçut un coup de fusil et un coup de sabre dont il mourut six ours après. >>

L'isle de Bissao1 est divisée en huit provinces dont les gouverneurs prennent le titre de Roy; des guerres ephémères produisent quelques captifs qui sont vendus aux Portugais; je ne sçais de quelle importance peut etre la traite du morphil et de la cire.

Avant de se livrer au projet de s'établir sur cette isle ou aux environs, il conviendroit de connaitre ses produits, et de quel avantage ils peuvent etre pour notre commerce; ce doit etre d'abord un tatonement, et on peut y parvenir tres œconomiquement. Si l'intention du Gouvernement est de déployer chaque année le pavillon français sur les cotes d'Afrique, le batiment destiné a cette mission poura etre suivi d'un petit batiment marchand bien assorti qui traitera a Bissao à l'abry du premier; mais comme ce ne peut etre d'abord qu'un essai, il parait juste d'accorder quelque privilege à larmateur qui se mettra en avant : tel seroit par exemple l'exemption des droits sur les denrées d'Amérique tant aux isles qu'en Europe; cette diminution peu conséquente dans la masse des impôts ne se répèteroit pas.

Je laisse aux hommes eclaircis le choix des moyens pour former un établissement solide et avantageux dans l'archipel des Bisagots. On a vu que l'isle de Boulam a le désavantage d'etre trop grande et trop peuplée; la difficulté d'y parvenir est un nouvel obstacle; si l'on préferoit l'isle D'arc il faudroit chercher une rade sure au midi de cette isle pour s'y mêttre a l'abry des vents régnants qui dépendent toujours du nord et l'on n'y parviendrait que par le meme passage qui conduit a Boulam.

L'isle de Bourbon qui a tout au plus 500 toises de circuit est sans eau, il faut l'aller chercher sur l'isle de Bissao qui en est éloigné d'une bonne demie lieüe; si les Portugais réusissoient a force de présents et d'eau de vie a tourner les Négres contre les Français pendant quelques jours seulement ces derniers periroient faute d'un besoin indispensable.

On profiteroit avec fruit de la bonne volonté des Négres pour elever un fort sur Bissao vis avis l'isle de Bourbon, et très prés de l'aiguade, mais on n'y parviendrait qu'a grands frais, et l'on ne doit sy décider qu'aprés s'etre assuré que le commerce y trouveroit des produits encourageants, la concurrence des Français serait

1. On trouve quelques détails sur l'ile Bissao dans le même ouvrage de Labarthe qui eut, sans aucun doute, connaissance du Mémoire que nous reproduisons. Il renferme cependant des détails précieux que Labarthe n'a pas utilisés.

nuisible aux Portugais de Bissao, mais ils auroient toujours l'avantage des etablissements de Zinquinchoo, de Cachéo, de Géba placés sur la grande terre de maniére qu'ils peuvent intercepter tout ce qui vient de l'intérieur.

J'ai vainement interrogé les Négres sur la communication de Bissão avec le continent, sur leurs traites avec leurs voisins, etc. Le mélange des langues anglaise et portugaise avec le patois des Papels rend ces peuples inintelligibles. Je quittai les Bisagots dans les premiers jours de janvier 1785 pour me porter à l'isle de Loss, l'une des idoles; j'y trouvai a l'ancre un batiment de Honfleurs, qui par un contract passé en Europe avec le sieur Barbes, chef de la compagnie anglaise, etoit tenu de païer 20 guinées monnoie pour chaque captif; il en devoit prendre 200 pour Saint-Domingue.

A mon arrivée les agents furent avertis que la frégate etoit commandée par le même officier qui s'etoit montré sur cette cote l'année précedente. Conformement aux ordres du Roy, en 1784 je leur fis baisser le pavillon, et demonter les canons; le premier d'entre eux avec qui je traitai avec toute l'honnesteté et la modération convenable feignit d'en etre trés satisfait; mais il ne s'en plaignit pas moins a M. Barbes qui pour le consoler lui manda que l'officier avoit eté admoneste et puni: la crainte que je ne fusse informé par les Français qui traitoient dans les rivieres, des manœuvres de ces agents pour nüire à notre commerce, et que je ne voulusse me venger en faisant justice moi même les intimida au point qu'ils s'embarquerent tous dans une goélette et abandonnerent l'isle. J'entrai dans leurs cases avec plusieurs de mes officiers, et nous n'y vismes que des esclaves.

Ces hommes mal intentionnés et dont le commerce est solidement établi dans cette partie, ne peuvent empêcher la traite du petit nombre de Français qui opérent en concurrence et que les princes acceüillent favorablement. Voici un fait assés remarquable.

Le S Bolum premier agent de la compagnie Barbes, résident a Loss, fit il y a quelques mois, un présent de plus de 200 barres au Roi de Coiporte pour l'engager à nüire aux Français, et a ne pas les recevoir dans ses Etats: le nommé Saint-Pierre, officier sur un batiment français de Marseille, avoit alors son comptoir sur le bord de la riviere de Coiporte1, le Roi l'envoya cher

1. Ou des Idoles.

cher, et lui montra le présent en lui disant quel en etoit l'objet; il ajouta qu'il recevoit le prêsent, mais qu'il n'oublieroit jamais comment son frere Maurice avoit eté traité en France, et que pour lui en témoigner la reconnoissance dont il etoit pénétré il pouvoit compter sur tous ses secours, que sil redoutait quelqu'insulte de la part des Anglais, il eut a se plaçer prés de son palais, et qu'il ne laisseroit passer à ses rivaux que des captifs qu'il rebuteroit. Je tiens le fait du S' Saint-Pierre ; j'appris aussi par lui que ce prince vouloit faire repasser Maurice en France pour y continüer son education, et quil pourvoiroit a ses besoins au moyen du produit de vingt negres qu'il feroit vendre chaque année dans nos colonies.

Je quittai les Idoles pour me rendre sur la rade de Gambia dans la riviere de Serraleone1; je fus assés malheureux pour y faire une maladie longue et dangereuse qui ne me permit pas de me porter au loin; il me fut par conséquent impossible de voir par moi même les opérations et les produits de nos concurrents. Le S Ancel établi sur l'isle de Gambia avoit traité a lui seul 900 captifs dont 550 avoient étés vendus a trois batiments français. Les Anglais jaloux de voir le pavillon de leurs rivaux si prés d'eux semerent parmi les Négres qu'ils formeroient un nouveau comptoir dans la baye française; ce serait en pure perte, et le plus gros calibre n'atteindrait par les vaisseaux qui pourraient monter, et descendre la riviere de tous vents sans rien craindre. J'avais le projet de visitter les comptoirs étrangers lorsque je tombai malade a toute extrémité; peut etre aurois je réussi à me procurer des connaissances utiles et a donner des preuves du zéle et de l'interest dont je suis penetré pour le service du Roy et le succes du commerce.

Le 15 juillet 1785.

Signé LA JAILLE.

1. De La Jaille y signa le 14 janvier 1785 une convention avec Panabouré, roi et propriétaire de l'île, convention par laquelle celui-ci nous cédait le terrain nécessaire pour établir un comptoir moyennant une coutume annuelle de 100 barres. De La Jaille fit aussitôt entreprendre une construction qui fut terminée le 26 février. Le climat de cette ile marécageuse était si malsain qu'en quelques jours quarante-cinq hommes, y compris le commandant, étaient sur les cadres. Malgré l'affaiblissement de son équipage, le commandant voulait continuer son exploration, et il faisait voiles vers le sud, lorsque l'impossibilité absolue de se procurer les rafraîchissements dont son équipage avait le plus pressant besoin, le força à rallier Gorée, puis la France, où il jeta l'ancre à Brest au commencement de juin 1785.

2. Les deux expéditions de La Jaille ne furent pas sans utilité. Le gouvernement comprit qu'il devait sa protection à nos nationaux et qu'il lui fallait susciter la création de nouveaux établissements. C'est dans ce but que depuis 1786 il y eut toujours sur la côte d'Afrique un bâtiment en station commandé par quelque officier de valeur; nous citerons avec Labarthe, de Girardin en 1786, de Flotte en 1789, Denys-Bonaventure en 1788, Villeneuve-Cillart en 1789, et de Grimoard en 1790.

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