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sorte que le sieur Ambassadeur, venu à chef de ses intentions, ne désiroit et n'attendoit autre chose que le temps et l'heure que Sa Majesté le manderoit pour lui donner congé; ce qu'il faisoit entendre, le plus dextrement qu'il pouvoit, à ceux qui, apparamment, le feroient resentir à Sa Majesté, sans en estre requis; comme de fait, la chose estant advenue, lui donna audience le X du dict mois de juin, jour de la Saincte - Trinité. Et lors, le dict sieur Ambassadeur fit les remerciemens de meilleure grace qu'il se peult adviser, ce que sa dicte Majesté monstra accepter de très-bonne part, et, lui donnant le dernier adieu, l'encergea dire, tant au sieur Prince de Parme comme à Messieurs des Estats, qu'il les assisteroit de gens et d'argent suffisamment pour faire teste à l'ennemy, et le serrer de si près en ses bailles, que les provinces catholiques n'en seroient plus aucunement molestées, et seroit bientost forcé, Dieu aidant, de venir à la raison. Puis après, désirant faire paroistre combien elle estoit preste faire mercède à ceux qui s'estoient emploiés à son service, et monstrer quelle part le sieur Ambassadeur avoit en sa bonne grâce, le créa conseiller de son Conseil d'Estat et du Provincial d'Artois, pour l'entière confiance qu'elle se disoit avoir en lui; et, estendant encoire davantage sa magnificence, créa chevalier le sieur d'Allennes, frère du dict sieur Ambassadeur. Sa Majesté se pouvoit contenter de moindres faveurs à l'endroit du dict sieur Ambassadeur, si est-ce que pour se monstrer en toutes choses magnifique, réalle et la bien affectionnée en son endroict, volut qu'il eut chez soy un tesmoignage notable de sa libéralité, pour marque et symbole d'estre ami d'un monarque d'Espagne, lui envoyant le lendemain un gros anneau d'or ayant une table de diamant estimée de ceulx qui se connoissent en pierreries, à deux mille escus, et au nouveau chevalier une chaîne d'or de cincq cens ducats et mieux, et pour les frais du

chemin deux mille ducats qu'elle ordonna estre comptez au dict sieur en Madrid. Quiconque désire ou a besoin servir, il adresse heureusement s'il rencontre tel maistre, et parce que le bien servir ne suffit pas tousjours pour estre le bien récompensé, et s'il se trouve beaucoup de serviteurs fainéans, il se trouve pareillement quelques maistres ingrats et peu recognoissans.

Tel fut le succès, si heureuse l'issue de l'ambassade que tant de gens estimoient devoir estre mal venue, pour ce qu'elle sembloit entièrement consister en demandes, comme si ce n'estoit la principale gloire du prince, roy ou monarque, de faire justice à qui la requiert, d'aider le pauvre et l'affligé que l'on supplie contre l'insolent et l'oppresseur du petit. Et pour autre regard, de faire libéralité, donner modérément, dispenser sagement, répartir justement les fruicts du domaine à ce que dessus et qui en despend la libéralité estant vertu qui recommande le prince sur toute autre, et par laquelle il se rend plus semblable à Dieu, duquel tous les biens et tous les dons despendent. Ce que Philippes de Macédoine et Alexandre le Grand, son fils, monstrèrent entendre, signamment, quand le premier dit un jour à Philon-Gentilhomme Thébain', qui luy avoit fait beaucoup de plaisirs, du temps qu'il demeura ostager en la ville de Thèbes, car il avoit esté logé en sa maison et n'en vouloit iceluy depuis recevoir aucun présent ne m'oste point le tiltre et honneur d'invincible, estant vaincu de courtoisie et libéralité par toy le deusiesme maintenant ceux la devoir estre punis, qui refusoient les dons des princes comme envieux de leur vertu, et escrivant à Phocion Athénien, homme fort entier,

1 Plut. in apoph.

2 Plut. in vita Alexand.

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qu'il n'estimeroit point qu'il luy fust ami, si d'or en avant il refusoit ses présens. Je ne diray pas que les autres jugeoient ceste ambassade onéreuse, doubtans bien fort de la bonne affection de Sa Majesté à l'endroit des provinces et à l'endroit mesme de la personne en particulier dudict sieur ambassadeur. Mais l'effect a fait paroistre à combien grand tort les hérétiques menteurs ont, par une infinité de mis en avant, lesquels ne convient redire, calumnieusement tasché de faire croire toute autre chose du roy qu'il en estoit à la vérité, comme il est ordinaire aux grands de sentir les premiers les atteintes de l'envie et malveillance, qui poursuit les plus illustres, de sorte que les roys les plus entiers, sages, justes, saincts et débonnaires, surtout quelle loyauté qu'ils ayent faict reluire en leurs déportements, de quel devoir, justice, équité, saincteté qu'ils ayent usé à l'endroict de leurs subjects, ont tousjours eu ce malheur pendu à la queue, que l'ennemy y a trouvé à remordre, et la malice d'autruy à reprendre, prenant mesme quelquefois les vertus pour vices, et sur ce bastissans les trahisons de leurs calumnies, comme soubs juste tiltre de vertu. Avec si grand fondement Alexandre le Grand respondit, quand on luy rapporta y avoir quelcun qui ne faisoit que médire de luy « Estre acte de roy de souffrir » patiemment estre blasmé pour bien faire. » Qui a fait depuis tourner en proverbe Regium esse malè audire cum benè feceris.

Quelque mal affectionné pourra penser que je dis ces choses, gaigné de quelque don et mercède, comme Philippe de Macédoine a autrefois fait paroistre, à l'endroit de Nicanor, qui souloit détracter de luy, au reste l'un des hommes de bien de Macédoine, despendre des Rois et signamment de leur libé

1 Plut. in apophtheg.

2 Plut. in apophtheg.

ralité que l'on parle bien ou mal d'eux; mais je veux bien dire que, comme la charge de l'ambassade ne me touchoit en riens, la grace ou la mercède ne m'en estoit aussi due, et que de fait elle ne s'est pas estendue jusque à moy, priant, à ceste occasion, que l'on vueille croyre que j'escris ces choses sans passion, conformément à la vérité de ce que j'ai veu et cogneu, et pour satisfaire à l'escriture qui commande : Principi populi tui non maledices, et au dire né en la bouche d'un personnage advisé qu'il ne faut du tout aucunement parler des prin>ces, ou qu'il en fault parler en bien. »

:

Ce pendant que les choses avant dites se passoient entre Sa Majesté et le sieur Ambassadeur, je vis en Lisbonne deux choses que je désirois grandement veoir, et dont je receu grand contentement. La première estoit Sa Majesté mesme, comme ce désir naturel est né avec nous de cognoistre et nous unir ce que nous aimons, en laquelle j'admirois, car nous le pouvions veoir souvent, fust au palais, fust ès paroisses, et autres églises, nous y estant donné libre accès par les archers et gardes qui, pour estre du pays, nous estoient amis. J'admirois, dis-je, une clémence et modestie naturelle; cette douceur qui reluit en sa face; son œil, son parler, son geste, son port esloigné de grandeur, d'insolence, de cruaulté; et beaucoup davantage l'admirable Providence de ce grand Dieu, qui a voulu assambler tant de seigneuries, principautés et royaulmes en sa personne, et fait qu'icelle soit respectée, servie, admirée de tant de milliers de gens de toute qualité et étoffe qu'icelle les puist si notablement aggrandir et eslever qu'icelle ait en sa main la mort et la vie de tant d'escadrons de gens de guerre, d'une in

1 Exod. 22.

finité d'autres, qui à cause de leurs forfaitz lui doivent la teste; qu'icelle estend sa puissance admirablement loin et large des Espagnes, en Italie, au Païs-Bas, ès isles de la mer Méditerrannée et de l'Océan, en Afrique et Asie, au Nouveau-Monde, qui, par sa puissance et grands moyens, entre bien avant ès seigneuries, principaultés, royaulmes des autres princes que sur icelle, comme seul, reposent les afaires de paix et de guerre, le repos, le soulèvement du monde, le restablissement, le maintenement, le progrès de la religion, le redrès de la discipline ecclésiastiqne, le bien et le salut de l'univers; de sorte qu'oncques ne fut jamais plus méritoirement mis en ses tiltres, non seulement ceste longue trainée de royaulmes, principaultés et seigneuries qu'il tient en Europe, mais celui de dominateur en Asie et en Afrique, duquel si quelquefois aucuns princes se sont mocqués, comme d'une grande fumée, sans tant soit peu de feu, ceste occasion leur est de présent du tout ostée, et leur est besoin cognoistre ce tiltre beaucoup plus vray que jamais, et un roy d'autant plus redoutable à ses ennemis.

Quant à sa personne, elle n'attaint pas la stature moyenne, chose qui ne lui sied pas mal, les espaules et la poitrine lui estant larges, la face assez longue et pasle, le nez tirant plus sur le camus que sur l'aquilin, la bouche vermeille, les lèvres aucunement proéminentes, signamment celle d'en bas, marque de l'origine d'Austrice, les yeux ancunement rouges comme l'homme qui lit et travaille beaucoup aux afaires, mesme de nuict, depuis qu'il a ordonné que quasi toutes choses passent par ses mains, après avoir expérimenté qu'aucuns s'y estoient comporté moins que suffisamment le front large et aucunement cornu, qu'on appelle, la barbe touffue, plus large et plus longue que ne la portent les Italiens ni les Espagnols, aprochant la façon de la

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