vient à corrompre beaucoup davantage que l'on n'eust jugé du commenchement. Un autre mal plus pernicieux suit le prince, mais duquel, par aventure, la principalle faulte n'est pas sienne, pour la difficulté qu'il y a de s'en garder; c'est de la part des ambitieux et fols sages de ce monde, qui, brigans à toute oultrance, sans se cognoistre ou se peser premièrement, comme l'ignorance et la malice fait devenir les hommes effrontés, les principales charges publiques, courans à bride abattue, comme l'on dit, après les honneurs, et s'en emparans par tous tels moyens qu'ils sçavent, s'y comportent par aprez avec toutes les iniquitez du monde, ou pour crainte quilz ont d'en estre dépossedez et réduitz à la raison, ou pour extrême desir de satisfaire à leur ambition et de remplir leurs coffres, souvent de despouiller des pauvres vefves, des orphelins et des misérables accablez de tant d'occurences qui se présentent en ce monde et qu'on faict quelquefois dextrement dériver sur la tête du maladvisé, faisans ainsi leurs afaires et laissans en arrière celles du maistre; de sorte que pour récompense de l'honneur, des biens et faveurs receus soubz les ailes d'iceluy, le perdent souvent et son estat quant et luy. Le remède de ces maux devoit provenir de la conversation des gens d'honneur, de doctrine et de vertu avec le prince: mais autrefois ils sont veus à regret comme censeurs importuns de la licence que la cour engendre, qui leur donne occasion de n'y faire longue demeure autrefois ils s'en retirent pour le peu de correspondance que leurs meurs ont avec ceulz des courtisans, et pour le peu de fruit qu'ils s'apperchoivent pouvoir consuivir ès façons de faire si corrompues : autrefois, comme la sagesse et preud'hommie rend les hommes. modestes et surpesez, ils ne se treuvent du tout près des princes, s'en attendant aux autres, et pour le moins attendant d'y estre appelés solemnellement, et quasi forchez, contre l'exemple d'Anaxagoras qui se tint volontairement avec Périclès, de Platon qui conversa quelque temps avec Dion et mesme avec Denys le tyran, de Pithagoras, qui hanta les princes d'Italie, de Panétius qui s'accosta volontiers à Scipion, lorsque le sénat le députa pour aller visiter et syndiquer quelle justice ou injustice régnoit par le monde, de Lélius, qui souloit faire si bonne compagnie au dict Scipion ès afaires de paix et de guerre, que l'on print occasion de dire que des haults faits d'armes qu'il exécutoit, Lélius en estoit autheur et Scipion le joueur. Cicéron, mesme, homme docte et advisé de profession et fort curieux de propre gloire, confesse Pub. Nigidius luy avoir servy de conseiller ès plus grandes et plus honnorables choses qu'il exécuta durant son consulat. Et si Panétius at esté cerché d'un Scipion, Pub. Nigidius de Cicéron, un Athénodorus de Caton, l'honneur de la république Romaine a semblé de telle importance au vieilliard Appius Claudius, aveugle et cassé d'ans, qu'il se fit porter quelque fois au sénat avec admiration de plusieurs, sans y estre appellé. En autre endroict, Epaminondas, comme il voyoit mal baster à l'armée, toute confuse et esbranlée par la faute des capitaines qui l'avoient imprudemment jectée en lieux aspres et mal aisez, emprist, simple soldat qu'il estoit lors, de la remettre en ordre, ranger en bataille, et la tirer hors des lieux empeschez, ce qu'il fit sans perte, avec l'estonnement de l'ennemy et joie des siens. Chose pareille advint quelque jour' à Xénophon qui, n'estant capitaine ni lieutenant, comme luy mesme il escrit, mais pour entendre ce qu'il falloit faire et l'oser entreprendre, se mit à commander en certaine nécessité, si bien qu'il fut cause de sauver les grecs. Ce que Plutarque, très-bon maistre de police, trouve si raisonnable, qu'il en prend occasion d'escrire: que le bon et vray politique, qui aime ses citoyens et sa patrie, qui a soin, et porte amour au bien publicq, encoire que jamais il ne veste le manteau et l'habit de capitaine et gouverneur, si est-ce que toujours il fait office de gouverneur et administrateur publicq, en exhortant et incitant ceux quy le peuvent faire, en instruisant ceux quy ne le sçavent pas, assistant à ceux quy luy demandent conseil, en destournant ceux qui ont mauvaise volonté, confirmant et encourageant ceux quy l'ont bonne. Et en autre endroict, il fault, escript-il, toujours faire à l'envy des magistrats, en diligence, soin et prévoyance du bien publicq; s'ils sont personnes de bonne sorte, en leur allant déclairer et exposer ce qui se présentera bon à faire, en leur baillant à exécuter ce que nous aurons meurement délibéré, et leur donnant moyen de se faire honnorer, en profitant par mesme conseil à la chose publique. A quoy se conforme ce qu'il escrit autre part des trois sortes de vie, active, contemplative et voluptueuse : la dernière estant dissolue, serve et esclave des voluptez, estre brutalle, trop vile et trop basse; la contemplative destituée de l'active estre inutile, et l'active ne communiquant point avec la contemplative commettre beaucoup de faultes et n'avoir point d'ornement; au moyen de quoy, il faut, dit-il, essayer tant qu'on peult de s'entremettre du gouvernement de la chose publique et quant et quant vaquer à l'estude de -philosophie, autant que le temps et les afaires le pourront permettre. Mais pour ramener les choses à notre philosophie chrestienne, bien que nous soyons asseurez par la bouche mesme de la sapience éternelle que Maria optimam partem elegit, et que conformément Saint-Grégoire Nazianzène escrit: nihil mihi fortunatius eo homine videbatur qui, occlusis compressisque corporis sensibus, atque extra carnem mundumque positus, in seque collectus, nec, nisi summâ necessitate impellente, quicquam humanarum rerum attingens, ac secum ipse et cum Deo colloquens, superiorem rebus in aspectum cadentibus vitam agit, divinasque species et imagines puras semper, nec ullis terrenis et errabundis formis permixtas in seipso circumfert, ac Dei rerumque `divinarum purum omnino speculum est, in diesque efficitur, lucique lucem, obscuriori clariorem adjungit, ac jam futuri ævi bono fruitur, et cum angelis versatur, et licet adhuc in terris agens, terram deserit, atque à spiritu in cælo collocatur. Toutefois,le même Grégoire s'est laissé persuader de prendre l'office d'évesque; et, si nous espluchons la chose de près, nous trouverons la distinction de vie active et contemplative estre plustost chose imaginaire que de praticque en mesme subject, les nécessités de ceste vie faisant que, comme Marthe a demandé estre secourue de Marie, à grande peine se trouve Marie sans Marthe; suyvant quoy Saint-Augustin disait: Non sic esse debet unusquisque otiosus, ut in eodem otio, utilitatem non cogitet proximi: neque sic actuosus ut contemplationem non requirat Dei. Et en autre lieu: Otium sanctum quærit charitas veritatis, negotium justum suscipit necessitas charitatis quam sarcinam si nullus imponit, percipienda ac intuendæ vacandum est veritati. Sainct Anthoine mesme et le bon père Julian moines, et une infinité d'autres anciens ont suyvi de sorte la Contemplative, qu'ils n'ont pas entièrement laissé la pratique de l'active, se trouvans pour certaines bonnes occasions ès villes chez les empereurs et autres princes, lors qu'ils trouvoient en estre semonchez seulement par le devoir d'hommes vertueux; sainct Jean-Baptiste leur ayant premièrement desfricé ceste voye, et longtemps avant luy Hélisée le prophète, s'estant présenté de parler au Roy ou au chef de l'armée au nom de la Sunamite au cas quelle l'eût desirée. Qui a donné occasion aux théologiens scolastiques de répondre que, pour convoitise desmesurée de biens ou de gloire ou de vivre délicieusement, n'est licite aux religieux ni autres ecclesiastiques de hanter les courts des princes; mais bien par charité, pour le bien de l'église ou du prochain; suyvant quoy nous lisons que, durant la splendeur de notre christianisme, plusieurs grands et vertueux personnages ecclésiastiques se sont trouvés maintenant toujours le nom, réputation et l'effect de gens vertueux, chez divers Empereurs, Princes et Seigneurs, comme Sainct-Sylvestre auprès de Constantin le Grand, Sainct Léon devers Attila (renouvelant l'exemple de Jaddus, Grand-Pontife de Hiérusalem, qui, en semblable occurrence, alla rencontrer Alexandre-le-Grand), Sainct-Remy et Sainct-Vaast près de Cloys premier, SainctLeger auprès de Childéric second, Sainct-Aubert, Saint-Amand et autres chez Dagobert, Alcuin vers Charlemagne, Adalongus, abbé de Saint-Vaast, l'un des prédécesseurs de Votre Seigneurie, devers Ludovicus Pius, et une infinité d'autres avec tel succès des choses, que pouvons remarquer ces princes avoir esté les plus vertueux qui se sont le plus près accostez des ecclésiastiques et qui les ont eus pour conseillers plus assidus en leurs secrets conseils bien que je ne veuille dire ni asseurer qu'il n'en soit quelquefois mal venu, ou par la vanité ou par la nonchaillance d'aucuns ecclésiastiques, qui n'ont toujours eu tel regard à leur estat, ni tel couraige ès grands affaires, comme il appartenoit, emportez des délices ou aleichemens de ce monde, ou gaignés du conseil des malins, du plus grand nombre ou de la plus forte opinion, ou meslans par trop la sagesse humaine avec leur vray devoir et office, soit qu'ils ayent esté admis sans choiz : |