difficulté : il fallait, à une époque, où les voyages étaient difficiles, traverser des territoires ennemis, dissimuler son rang, échapper aux embûches dressées contre les hommes influents de provinces qu'enviait le royaume français, sans oser les attaquer. Le délégué des Etats devait, en outre, dans un temps d'agitation, où chaque jour, pour ainsi dire, avait son émeute, se renfermer dans le rôle pacificateur qui lui était tracé, pour n'être, si l'on nous permet cette expression, que le traducteur des besoins et des désirs des Etats de la province. Pour une semblable mission, l'on ne pouvait faire choix d'un homme plus capable et plus sympathique au pays. Dom Sarrazin était né à Arras. Il était fils de pauvres hôteliers dont on voit encore l'enseigne dans l'ancien verger de l'abbaye, plus connu sous le nom de Grand'Place (1). Entré jeune dans le monas (I) Parmi les maisons qui se rapprochent du rempart, on voit encore une enseigne portant ces mots : Al Caudron. (Voyez les Rues d'Arras, tome II, p. 82. Comme tous les hommes célèbres, Sarrazin ne pouvait échapper à une pseudo-noblesse. On prétendit qu'il descendait d'une famille ancienne, dont les armoiries étaient d'hermine à la bande fuzelée d'azur. Il aurait ainsi des alliances avec la puissante maison d'Ailly. Le Carpentier, Hist. gen. des Pays-Bas, où Histoire de Cambray et du Cambrésis, tome I, p. 418. Toutefois, rien ne prouverait que Sarrazin luimême n'ait prêté à ce bruit; on voyait, en effet, dans la chapelle du Prieur au monastère de St-Vaast, une verrière représentant un religieux de l'ordre de St-Benoît portant des armoiries que l'épitaphier du seigneur d'Aubrometz blasonne ainsi : fond et champ d'argent semé de fourrures d'hermine de sable au-dessus et à une bande traversante losangée d'azur. Le même auteur raconte qu'on y lisait : Dominus Sarracenus cœnobii hujus Vedasti quondam prioris (sic), Dominus divus Joannes Baptista et evangelista prolatus et patrono bone voluntate ergo dedit anno quinze cent septente-trois. Nous n'avons voulu apporter aucun changement à la copie effectivement défectueuse que nous avons entre les mains. tère, il était parvenu, par son intelligence, par sa prudence et l'entente des affaires, à la plus haute position. Sarrazin, protecteur des lettres, et dont plusieurs biographies nous ont été conservées par les contemporains (1), avait une grande connaissance des hommes. Il fit choix d'un jeune religieux dont il avait apprécié les talents précoces, et Philippe de Caverel, qui devait succéder à dom Sarrazin dans la prélature de St-Vaast, nous a conservé l'intéressant journal que publie l'Académie. Philippe de Caverel appartenait à une ancienne et illustre famille du comté de St-Pol, de ce territoire dont chaque clo (1) Sur Jean Sarrazin, outre Le Carpentier, que nous avons cité, on peut consulter Paquot, Mém. pour servir à l'Hist. littéraire des PaysBas, t. XVI. p. 194 et suiv.; Locrii chron. Belg.; Gallia Ch., t. III, p. 55 et 390; Raissius Belg. ch., p. 190, &c. Une vie de Sarrazin a été publiée à Arras, en 1596; ce vol. assez rare a été décrit par MM. Caron et d'Héricourt dans les Mémoires de l'Académie d'Arras, année 1851, p. 243; nous aurons l'occasion d'y revenir, ainsi que sur une publication de M. de Baecker, éditée par la Société d'Émulation de Bruges. M. l'abbé Parenty a également publié une biographie de ce pieux archevêque. Nous croyons inutile de dire que tous les historiens de la ville de Cambrai parlent avec détail de Sarrazin. Les Archives du Nord de la France, nouv. série, tome 2, p. 401, ont publié une harangue de cet abbé de St-Vaast. Parmi les manuscrits, nous mentionnerons seulement l'épitaphier de Thurien Lefebvre d'Aubrometz, dont une copie se trouve dans la bibliothèque de M. Godin, archiviste; le nécrologe de St-Vaast, conservé dans les archives de l'évêché, et les Compilations du père Ignace, dans la Bibliothèque d'Arras. Parmi les auteurs les plus violents contre Jean Sarrazin, il suffit de mentionner J.-F. Le Petit, greffier de Béthune, auteur de la Grande Chronique ancienne et moderne de Hollande, imp. à Dordrecht en 1600, 2 vol. petit in-folio, t. 2, p. 444; mais cet historien se montre constamment hostile à la religion catholique. cher rappelle pour ainsi dire une illustration, en s'élevant comme un témoin de pieuse générosité. La famille de Caverel s'était déjà signalée par des services rendus au pays; elle était alliée aux seigneurs de Siracourt, de Rollepot, de Thieulaine, etc. Ses domaines n'étaient point très-vastes, mais outre Maizières, (1) berceau de Philippe de Caverel, elle possédait la terre de Quatre-Vaulx, du moins en partie. On trouve des Caverel à Hesdin; plusieurs furent reçus bourgeois d'Arras, tous ont la réputation d'être nobles. Pierre de Caverel avait épousé Péronne Duprez, veuve du seigneur de Monchaut. Philippe naquit à Maizières le 1er août 1555; ses premières années n'offrent rien de remarquable. On lui fit suivre un cours d'études à St-Pol; à 13 ans, il fut reçu dans le monastère de St-Vaast; à l'âge de quinze ans, on le jugea capable de comprendre la théologie et la philosophie; on l'envoya à Douai, dans ce collége d'Anchin qui, dans nos contrées, a laissé une si grande réputation par la force de ses études et plus encore par les élèves éminents qui en sont sortis (2). Son biographe nous dit que, sous les professeurs les plus habiles, quatre ans lui suffirent pour connaître tous les secrets de ces sciences arides; nous en concluons que déjà Philippe avait cette facilité de conception, cet amour de l'étude, ce développement de l'intelligence qui lui firent mener à exécution tant d'affaires aussi importantes que diverses. Il reçut l'ordre de la prêtrise à Amiens et rentra au monastère de St-Vaast, où il s'exerça à la prédication. Nous reviendrons sur cette partie de la vie de Caverel, lorsque nous aurons à apprécier le mérite littéraire de ses (1) Arrondissement de Saint-Pol, canton d'Aubigny. (2) Sur ce collége, fondé en 1566, on peut voir divers travaux im. primés; M. Escalier en a publié une bonne notice historique dans l'Abbaye d'Anchin, pag. 271 et suiv. œuvres; contentons - nous d'établir, dès maintenant, que dans les manuscrits de la bibliothèque d'Arras on a conservé plusieurs discours qu'il prononça. La direction du monastère appartenait alors, ainsi que nous l'avons constaté, à Jean Sarrazin, qui déploya dans les troubles religieux une énergie peu commune, et sut toujours faire respecter son autorité; il devint l'un des conseillers les plus utiles aux gouverneurs de la province, fut chargé de missions importantes, s'éleva, par son seul mérite et le souvenir de services rendus, aux plus hautes dignités ecclésiastiques et mourut archevêque de Cambrai, abbé de St-Vaast d'Arras, et membre du conseil privé du roi d'Espagne, qui régnait alors sur l'Artois. Avec l'habitude de juger les hommes, Sarrazin sut bientôt apprécier Philippe de Caverel, et pour mieux le connaître, il l'attacha à sa personne en qualité de chapelain; ces fonctions entraînaient, par suite des rapports intimes, celles de secrétaire privé. Sur ces entrefaites, les Etats d'Artois donnèrent à Sarrazin la mission d'aller déposer aux pieds du trône la gratitude des habitants pour le traité de réconciliation; Sarrazin devait d'abord se rendre auprès du prince de Parme et se mettre en rapport avec lui. Il partit d'Arras le 20. février 1582 (v. s.), accompagné, comme le dit le récit de l'ambassade, d'aulcuns de ses plus familiers parents et amis; il emmenait avec lui son jeune chapelain qui devait être l'historiographe de cette longue excursion. Le gouverneur-général était à Tournai; dès que l'on eut reçu les pièces et instructions qui devaient être remises au roi, le départ fut fixé. Sarrazin, comme nous le dit Philippe de Caverel, était revêtu d'un fort accoutrement de chamois, d'une mantille de drap noir, le tout à cause de la rigueur de la saison (le mois de mars commençait à peine); il était couvert de bas de saye et d'une capote de feutre. L'habillement des gens qui composaient la suite de l'abbé était à peu près le même; on n'y avait apporté que les différences nécessitées par le besoin ou le goût particulier. Les voyages étaient chose pénible, les chemins étaient défoncés par l'hiver, les postes mal approvisionnées de chevaux, pauvres bêtes accraventées, comme le dit de Caverel ; plus d'une fois, ces chevaux mal soutenus par des cavaliers plus habitués à bénir qu'à guider un coursier, firent des chutes dont l'historien nous a conservé le récit. Mais ce n'est pas ici le lieu d'analyser son œuvre littéraire; elle est assez importante pour faire l'objet d'un travail spécial; nous redirons alors ces fatigues multipliées, ces maigres repas presque impuissans pour soutenir les corps fatigués des voyageurs, ces longs détours pour éviter les pays ennemis. Nous le verrons traversant les provinces bourguignonnes, gravir la chaîne des Alpes, s'embarquer dans un port de l'Italie afin d'arriver d'une manière sinon plus prompte mais plus certaine en Espagne. Ici encore, nouveau retard; le roi visitait le Portugal; l'accueil qu'il leur fit les dédommagea de tant de privations; ce fut grande fête quand ils rentrèrent au monastère (1). Moins hardis qu'un illustre empereur du XVIe siècle, ils n'avaient osé traverser le royaume de France, et étaient revenus par la même route qu'ils avaient suivie au départ. L'abbaye de St-Vaast venait de faire une acquisition importante. En 1097, Robert, comte de Flandre, que sa piété et sa (1) Le vendredy tiers jour de aoust 1682, M. le prélat de St-Vaast retourna en ceste ville de son voiaige d'Espaigne, arch. départ. reg. aux résolutions des Etats d'Artois. |