Le Nécrologé de l'abbaye, qui contient des renseignements si précieux sur les actes, les faits et les écrits des religieux, relate que Caverel a recueilli de nombreux documents sur son prédécesseur à la dignité abbatiale, dom Sarrazin, nommé archevêque de Cambrai. On a publié une vie de ce prélat, chez Guillaume de la Rivière, imprimeur à Arras, en 1596. Sarrazin n'était pas encore mort; il venait d'être élevé à l'archevêché de Cambrai. L'ouvrage dont nous parlons avait sans doute le double but de faire connaître à un diocèse voisin, le mérite de l'abbé de St-Vaast, et en rappelant les services qu'il avait rendus, de le maintenir à la tête de cet important monastère. L'auteur ne s'est pas fait connaître; peut-on attribuer ce livre à Philippe de Caverel? La vie de Sarrazin est écrite avec élégance, le latin en est correct, il n'y a point, ce qu'on remarque souvent dans les œuvres de l'abbé de St-Vaast, de citations des auteurs classiques, si nombreuses qu'elles fatiguent le lecteur. Dans les ouvrages de Caverel on trouve de fréquentes mentions de son dévouement à Sarrazin dans le livre dont nous recherchons l'auteur, on n'y remarque aucune allusion. Cette ambassade en Espagne dans laquelle Sarrazin joua un rôle si grand et si beau, est résumée dans une période élégante quoique simple et concise, mais il n'y a aucune mention des personnes qui ont accompagné l'abbé de St-Vaast. On peut se demander si Philippe de Caverel, qui attachait une grande importance au travail que publie aujourd'hui l'Académie, et qui nous en a laissé quatre exemplaires offrant tous des variantes écrites par lui ou ayant des annotations de sa main, n'aurait point fait allusion à ce travail ? Cependant dans le Nécrologe si exact, on ne trouve point d'autre mention relative à la vie de Sarrazin, que celles citées plus haut. Ne pourrait-on admettre que Philippe de Caverel aurait réuni tous les matériaux nécessaires à la confection de cet ouvrage et qu'il en aurait laissé la rédaction à un jeune religieux; il se serait contenté de le relire et de même que le maître se reconnaît dans le tableau de ses élèves par une retouche ou un coup de pinceau, il aurait exercé son influence par des conseils et quelques adjonctions. Parmi les manuscrits de la Bibliothèque d'Arras qui sont attribués à Caverel, on remarque encore le no 467, qui est presqu'entièrement de l'écriture du pieux abbé; ce Codex montre quel soin Caverel apportait à l'administration de son monastère : un feuillet est consacré à chaque religieux; l'abbé y consignait quelques renseignements sur la famille, marquait les fonctions remplies, les services rendus au monastère et notait les dignités au fur et à mesure qu'elles étaient confiées. Sur le premier feuillet se trouve un extrait de la règle de St-Benoît, indiquant les charges de l'abbé, de manière à n'en oublier aucune prescription. Nous avons déjà dit que quatre exemplaires de l'Ambassade nous avaient été conservés par les soins de Philippe de Caverel; notre honorable collègue M. Caron, qui a bien voulu surveiller l'impression de la publication faite sous les auspices de l'Académie, résumera le mérite de chaque codex et dira dans quelle proportion ils lui ont été utiles (1). C'est le 12 octobre 1588, dans ce Prieuré de la Beuvrière dont les constructions grandioses étaient alors en exécution (2), (1) Voyez à la fin de cette préface la note de M. Caron. (2) Le Prieuré de Labeuvrière, qui appartient à M. Brasme, ancien maire de la commune, est encore très complet; l'une des façades qui porte la date exacte de 1589, est un des beaux restes de l'architecture que Philippe de Caverel terminait la relation de son Ambassade en Espagne et la dédiait à l'abbé de St-Vaast. Après avoir puisé dans l'histoire ancienne et dans les livres saints les exemples qui lui paraissent justifier son livre, Caverel s'excuse de la franchise avec laquelle il a écrit: En quoy, dit-il, si vostre Seigneurie, rencontre quelque chose légère, ridicule ou mal › séante à nostre profession, la pourra librement retrancher, ⚫ ou trouvant convenir le passer, donner à juger voire aux ⚫ censeurs les plus sévères, que, comme les longs et fascheux chemins sont adoucis par divers plaisans incidens, qu'il con› venait la narration et histoire en estre telle, afin de ressembler mieux à la chose et d'amoindrir son travail au liseur de bonnes entrailles; pour quelle raison je confesse avoir traité les choses fort librement et rondement. Dans son avertissement au lecteur, notre religieux déclare que l'orthographe française est très diverse, les autheurs, dit-il, en ayant usé quasi à leur appétit. C'est en effet une grande préoccupation pour Caverel de se montrer homme érudit, de prouver qu'il a fait de fortes études littéraires; dans sa relation, on trouve maintes longues citations de Strabon, Pomponius Mela, Cicéron, Pline, Tite-Live, citations souvent hors de propos; toutefois nous n'avons pas cru devoir les supprimer, car, outre l'intérêt géographique que présente cet ouvrage, il nous montre de la Renaissance dans nos contrées. Près de la tour romane que Caverel conserva, se trouvaient un choeur et une nef construits par ce Prieur. Il a placé sur le porche la date de 1580, avec l'écusson bien connu de Sarrazin. M. de Linas est chargé de dessiner ce monument, sur lequel on peut lire un article dans le Courrier du Pas-de-Calais du 23 novembre 1860. un savant du XVIe siècle, et à ce titre il a son importance littéraire. D'ailleurs, plusieurs de ses remarques sont judicieuses et il importe peu que telle maxime soit justifiée par Xénophon ou par Pline, dès qu'elle se distingue par sa justesse. Après avoir rappelé sommairement les troubles religieux, celte décision des Etats d'Artois de défendre, par tous les moyens possibles, la religion, résolutions qui firent évanouir les projets des hérétiques, < comme le lierre s'eslève, panche et tombe avec l'arbre qui le soubstient, » Caverel dit que le choix du gouverneur général se fixa sur dom Jean Sarrazin, soit à cause de son talent reconnu, soit par la dignité qu'il occupait dans le monastère de St-Vaast. Sarrazin accepta les fonctions qui lui étaient confiées et il partit le 15 février 1582, accompagné comme nous l'avons dit d'aulcuns de ses plus familiers parens et amis. > Ce prélat passa par Douai; il avait droit à une escorte, mais souvent elle lui faisait défaut et alors il fallait se contenter de quelques hommes de bonne volonté fournis par les communes. Sarrazin arriva à Tournai par Orchies, et Philippe de Caverel en profite pour faire l'historique de la ville de Tournai; il nous donne également les noms des huit personnes dont se composait l'ambassade Chrétien Sarrazin (1) seigneur de « (1) Philippe-Chrétien Sarrazin, seigneur d'Allennes, était, dit-on, tailleur à Arras; par la faveur de son frère, il obtint des lettres de chevalerie en 1582. ( Chron. de Hollande, par Le Petit); et devint bailli de Lille en 1606; il récréanta sa bourgeoisie à Arras, paroisse St-Nicolas, en 1570.-Philippe-Chrétien épousa Antoinette-Eléonore Le Vasseur du Valhuon, veuve de Robert L'Ecuyer, vicomte de Doulleus, et fille de Guillaume, annobli en 1547, et de Jeanne Quarré, sa première femme. Ses armoiries sont d'hermine à la bande lozangée d'azur de cinq pièces. Lambersart et de Allennes, frère de l'abbé de St-Vaast, Paris Payen (1), seigneur d'Écoivres, élu d'Artois, Clovis Levasseur, seigneur d'Antaing (2), un provendier (3), un chambellan, un interprète espagnol et Philippe de Caverel qui, modestement se met au dernier rang; mais on avait fait à peine quelques lieues qu'un accident retint l'une des personnes de la suite de l'Abbé et en diminua le nombre. Nous n'avons pas l'intention de suivre Philippe de Caverel dans son excursion en Belgique; cependant ce n'est pas la partie la moins curieuse de cette narration. Il nous représente les habitants du Hainaut tellement fiers que leurs anciens comtes pré (1) Paris Payen était fils de Pierre Payen, avocat fiscal au Conseil d'Artois; il obtint, le 19 mai 1583, des lettres de notification de noblesse sans finance. (Extrait de la Chambre des Comptes de Lille, fol. 144). Sur Pierre Payen, voyez l'ouvrage anonyme de M. Plouvain, notes historiques relatives aux offices et aux Officiers du Conseil provincial d'Artois, page 97. (2) Le Vasseur, 'seigneur de Valhuon et de Verquigneul, portait pour armoiries d'argent à trois faces ondées de gueules surmontées d'un lion d'argent couronné d'or, armé et lampassé de même. Cette famille qui avait des épitaphes dans les églises de Gosnay et d'Avesnes-le-Comte, ne date que du XVIe siècle. Florent Le Vasseur, Alias Floris, fils de Guillaume Le Vasseur, clerc de Procureur, né à Verquin-lez-Béthune, annobli le 7 décembre 1547, seigneur du Valhuon, député du prince de Parme, en 1579, mort à Arras, en 1596, épousa en deuxièmes noces, Isabeau de Vernambourg. Florent, fils aîné de ce 2e mariage, récréanta sa bourgeoisie en 1590. Créé chevalier par lettres de 1598, il épousa, 1o en 1590, Isabeau Fleury, dame d'Aussimont, la Clyte, etc.; 2o en 1613, Marie de Bertoul, veuve de Jean de Blondel de Beauregard; il eut de son premier mariage sept enfans. (3) Nous croyons inutile d'expliquer les fonctions du provendier, chargé de fournir aux besoins de la table. |