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éternel établi en l'honneur de ce Héros? que tous les Grecs fe rendoient à cet avis, mais que le cruel Pyrrhus continuoit de reclamer fa victime. Hécube a un rayon d'efpérance; elle veut aller voir ce qui fe paffe. Céphife furvient, & lui apprend que Pyrrhus, aux yeux de Calchas & de toute l'Armée, a lui-même plongé fa main dans le fang de Polixè ne. Hecube fe voit parvenue au comble de F'infortune; fes forces font épuisées; elle s'évanouit, & meurt enfin de douleur : ce qui eft plus naturel & plus vraifemblable que de la faire vivre & conduire à Ulyffe, comme ont fait Euripide & Sénèque. Mais Afyanax meurt chez ces deux Poëtes; & je n'aurois pas été fâché que l'Auteur François les eût fuivis en ce point. La mort de cet enfant fait dans le Grec & dans le Latin la plus tragique impreffion fur l'ame des Lecteurs. C'eft un fupplice de plus pour Hécube, à qui il falloit porter les coups les plus fenfibles. Enfin dans ce grand tableau de la barbarie humaine & de la deftruction d'une famille Royale, il me femble qu'un pareil objet ne devroit pas être omis. Notre Poëte auroit évité par-là le reproche qu'on peut lui faires

que la confervation d'Aftyanax n'eft pas affez vraisemblable. Theftor l'avoit il avec lui dans le bois ? Par quel ftrata gême l'a-t-il dérobé aux yeux des Soldats qui gardoient toutes les iffues de ce bois ? Les Grecs, fi animés à faire périr cet enfant, doivent-ils s'en rapporter au témoignage fufpect de Theftor? Car c'eft lui feul qui dit qu' Aftyanax a été étouffé dans la flamme. Comment a-t-il pus'échapper lui-même, enveloppé d'une enceinte de feux, comme dit le Poëte? Tout cela n'eft pas expliqué. De plus, quoiqu' Aftyanax foit fauvé, il refte tou jours dans l'efprit du Spectateur de l'in quiétude fur fon fort; & cette inquié tude auroit été calmée, fi, au lieu de l'envoyer à Samos, Pyrrhus, amoureux d'Andromaque, fe fût effectivement chargé de fon fils, & l'eût fait partir pour l'Epire avec fa mère, puifque L'Auteur vouloit le conferver.

Que ces défauts font legers, Monhieur, en comparaifon des beautés de cette Pièce ! C'est une véritable Tragé die; elle en mérite le nom; elle en rappelle le goût, prefque perdu parmi nous par les ridicules amplifications

éternel établi en l'honneur de ce Héros? que tous les Grecs fe rendoient à cet avis, mais que le cruel Pyrrhus continuoit de reclamer fa victime. Hécube a un rayon d'efpérance; elle veut aller voir ce qui fe paffe. Céphife survient, & lui apprend que Pyrrhus, aux yeux de Calchas & de toute l'Armée, a lui-même plongé fa main dans le fang de Polixè ne. Hecube fe voit parvenue au comble de l'infortune; fes forces font épuifées; elle s'évanouit, & meurt enfin de douleur: ce qui eft plus naturel & plus vraifemblable que de la faire vivre & conduire à Ulyffe, comme ont fait Euripide & Sénèque. Mais Afyanax meurt chez ces deux Poëtes; & je n'aurois pas été fâché que l'Auteur François les eût fuivis en ce point. La mort de cet enfant fait dans le Grec & dans le Latin la plus tragique impreffion fur l'ame des Lecteurs. C'eft un fupplice de plus pour Hécube, à qui il falloit porter les coups les plus fenfibles. Enfin dans ce grand tableau de la barbarie humaine & de la deftruction d'une famille Royale, il me femble qu'un pareil objet ne devroit pas être omis. Notre Poëte auroit évité par-là le reproche qu'on peut lui faires

que la confervation d'Aftyanax n'est pas affez vraisemblable. Theftor l'avoit il avec lui dans le bois? Par quel ftratagême l'a-t-il dérobé aux yeux des Soldats qui gardoient toutes les iffues de ce bois ? Les Grecs, fi animés à faire périr cet enfant, doivent-ils s'en rapporter au témoignage fufpect de Theftor? Car e'eft lui feul qui dit qu'Aftyanax a été étouffé dans la flamme. Comment a-t-il pus'échapper lui-même, enveloppé d'une enceinte de feux, comme dit le Poëte? Tout cela n'est pas expliqué. De plus, quoiqu' Aftyanax foit fauvé, il refte tou jours dans l'efprit du Spectateur de l'in quiétude fur fon fort; & cette inquié tude auroit été calmée, fi, au lieu de l'envoyer à Samos, Pyrrhus, amoureux d'Andromaque , fe fût effectivement chargé de fon fils, & l'eût fait partir pour l'Epire avec fa mère, puifque l'Auteur vouloit le conferver.

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¿Que ces défauts font legers, Monhieur, en comparaifon des beautés de cette Pièce ! C'est une véritable Tragédie; elle en mérite le nom; elle en rappelle le goût, prefque perdu parmi nous par les ridicules amplifications

foutenus, fufpenfion intéreffante des événemens, fituations touchantes, style noble fans enflure, poëtique fans galimathias, naturel fans familiarité : voilà ce qui caractérise les Troyennes. L'Auteur eft M. de Châteaubrun, Officier de la Maifon de S. A. S. M. le Duc d'Orléans. Il donna en 1714 fa première Tragédie de Mahomet II, qui eut onze représentations, & dont les beautés firent naître l'efpérance d'un génie vraiment Tragique. Depuis ce temps on ne parloit de M. de Chateaubrun qu'avec le regret de ce qu'il avoit abandonné une carrière dans laquelle il avoit débuté ayec tant de fuccès. Ce n'eft pas qu'il eût renoncé à Melpomène. Mais des raifons de convenance l'ont empêché jufqu'ici de nous faire part des heureux fruits de fes veilles ; & peut-être en ferions-nous privés encore, fans le Prince, protecteur éclairé des Arts & des Talens, auquel il eft attaché, qui a senti tout le mérite des Troyennes, & qui a forcé en quelque forte la modeftie du Poëte à recevoir les applaudiffemens du Public. Cet illuftre Mécène me pardonnera la témérité de mêler ici fon nom à celui de l'Auteur. Eh, peut-on parler,

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