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grand deuil, exprime ainfi fes regrets :

Triftes apprêts, pâles flambeaux,

Jour plus affreux que les ténèbres,
Aftres lugubres des tombeaux,

Non, je ne verrai plus que vos clartés funèbres,
Toi qui vois mon cœur éperdu,

Père du jour, ô Soleil ! O mon père ! Je ne veux plus d'un bien que Caftor a perdu, Et je renonce à ta lumière.

Pollux venge la mort de fon frère; il tue Lincée; mais fa tendreffe pour Caftor n'eft pas encore fatisfaite; il invoque Jupiter fon père, & le prie de rendre le jour à fon frère. Jupiter lui annonce l'arrêt du Deftin : il ne peut délivrer Caftor du Tartare qu'en y prenant fa place. Pollux s'y réfout, & force l'entrée des Enfers, dont le paffage eft gardé par des Monftres, des Spectres & des Démons Il retrouve fon frère dans les, Champs Elysées. Il fe forme entre eux un combat touchant de tendreffe. Caftor ne veut point que Pollux fe facrifie pour lui. Il confent feulement à retourner pour quelques heures fur la terre, afin de revoir encore une fois fa chère Télaïre;

gera

dans l'Empire des Morts pour rendre la vie à fon frère. Le Deftin eft fléchi par Jupiter; il dégage Caftor de son setment. Pollux revoit la lumière. Les deux frères font au comble de leurs vœux. Caftor époule Télaïre. La jalouse Phabé defcend feule à demeure aux rives du Cocyte.

Cette efquiffe légère, rapidement tracée, fuffit, Monfieur, pour vous faire voir combien il y a de jeu, d'action, & de variété dans ce Poëme, rempli d'inté rêt: il pourroit être appellé le triomphe de l'amitié fraternelle. Les vers des Ariettes ne font ni fades ni forcés. Ils font naturels, délicats & dignes de la mufe aimable & facile de M. Bernard, connu depuis long-temps dans un monde choifi par des poëfies pleines de goût, de fineffe & de fentiment. M. Rameau a déployé dans cet Opéra toute l'étendue de fon génie. Quelle force! Quelle énergie! Quelle douceur & quelle volupté ! Le fecond & le quatrième Actes fur-tout font de la plus grande beauté, & comparables dans leur genre à ce que Corneille a fait de plus fublime dans le fien. Je ne crois pas que l'on puiffe rien entendre qui remue l'ame avec plus de vivacité,

qui

par

qui la rempliffe d'une plus douce fatiffaction. Efprits raréfiés par le fubtil fophifme, cœurs refroidis les glaces du Calcul, que je vous plains d'être infenfibles à de pareils chefs-d'œuvres ! M. de Caux a bien raifon de dire par une allusion poëtique à la fin de fes Adieux aux Bouffons:

Quand Caftor & Pollux, ces Aftres favorables, Font briller fur les mers leurs clartés fecourables, Les Vents tumultueux abandonnent les flots; L'espérance renaît au cœur des Mate lots.

Je fuis, &c.

A Paris ces Avril 1754.

LETTRE

III.

Hiftoire & Regne de Charles VI.

Hiftoire particulière d'un regne heureux & pacifique ne fçauroit plaire à la plupart des Lecteurs, dont les affions ne font point affez remuées par le tranquille récit de faits communs & d'actions mêmes vertueufes. Mais les an

nales d'une administration qui n'offre que de triftes événemens,des catastrophes fanglantes, de grands crimes & de grands fcélérats, fe font lire avec plaifir. Un Roi mineur ou en démence, une Reine voluptueufe & vindicative, des Princes du Sang diffipateurs, ambitieux & cruels, des Seigneurs qui, à leur exemple, fe portent à toutes fortes de licences, des Peuples féditieux & mutins, des guerres civiles, des trahifons, des empoifonnemens, des assassinats: tels furent les maux funeftes que fit éprouver pendant quarante-deux ans à ce Royaume le regne le plus malheureux dont la Monarchie ait confervé le fouvenir. Le récit affligeant de toutes ces calamités a fourni à Mademoiselle de Luffan la matière de neuf volumes ; je n'en tirerai que ce qui regarde la perfonne de l'infortuné Charles VI; l'hiftoire de la Nation fous fon gouvernement vous étant affez

connue.

Ce Prince étoit né en 1368 de Charles V, dit le Sage, & de Jeanne de Bourbon, Princeffe la plus accomplie de fon fiécle. Il étoit fort jeune quand il perdit fa mère, & il n'avoit pas encore douze ans lorfque le Roi mourut. Il donna de

bonne heure des marques d'un grand courage: un jour que Charles Vlui avoit permis de choisir dans fon Cabinet le bijou qui lui feroit le plus de plaifir, le jeune Prince, comme un autre Achille, méprifa tout ce qu'il voyoit de riche & de précieux, & donna la préférence à une épée fufpendue dans un coin. Une autre fois le Roi lui ayant préfenté d'une main une Couronne d'or, & de l'autre un Cafque, il dit en prenant le Cafque: Gardez, Sire, gardez votre Couronne. Après la mort de Charles V, le Duc de Bourgogne fut chargé de la fur-intendance de l'éducation du jeune Roi, & le Duc d'Anjou de la régence du Royaume, jufqu'à ce que le Prince eût atteint fa quatorzième année. Il fut enfuite déclaré majeur; mais fes oncles continuèrent à avoir la meilleure part au gouvernement. Charles VI n'avoit pas encore quinze ans, lorfqu'il partit pour fe mettre à la tête de fon Armée en Flandres. A la fameuse bataille de Rofebecq, comme il entendoit les mouvemens & les cris des chefs & des foldats, il vouloit à toutes forces les aller joindre. Il ne pouvoit fe contenir, & il fe plaignoit de la violence qu'on lui faifoit de l'arrêter.

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