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Chaque jour ce Prince découvroit à fes peuples un naturel heureux, où brilloient les femences de toutes les vertus, On ne lui reprochoit qu'un penchant trop décidé pour le fexe. Il s'y livroit avec fi peu de modération, que fa fanté en fut altérée. Il fallut donc fonger à le marier, dit Mademoiselle de Luffan, pour le détourner de l'amour volage. On jetta les yeux fur toutes les Princeffes de l'Europe; on fit venir leurs portraits; celui d'ifabelle de Bavière effaçoit tous les autres: c'étoit une brune dont les yeux paroiffoient tout de feu, Le Roi lui donna la préférence; ajoutant cependant, qu'il vouloit la voir, & que, malgré le portrait qui lui avoit tant plû, il ne l'épouferoit pas, fi elle n'étoit à fon gré. On fe crut fi affuré de la beauté & des graces de la jeune Princeffe, qu'on paffa par-deffus cette difficulté. Mais on crut devoir prendre la précaution d'emmener Ifabelle à Bruxelles au fortir d'Ingolftat, pour lui faire perdre, dit l'Auteur, ce qu'elle avoit pris de rude & de groffier à la Cour de fon père. En trois femaines cette Princeffe fut en état de paroître à la Cour de France. Ce fut à Amiens que fe firent l'entrevue & le mariage. Ebloui

des charmes de la Princeffe, le Roi la trouva bien au-deffus de fon portrait. Auffi ne put-il s'empêcher de dire au Duc de Bourgogne, que cette belle perfonne lui feroit perdre le fommeil. En effet il en devint amoureux, & ce qui combla de joye tout le Royaume, Ifabelle ne tarda pas à lui donner un Dauphin. Un autre fujet de fatisfaction pour les François fut de voir leur Prince gouverner par lui-même. Il choifit des Miniftres au gré de la Nation, & donna toute fa confiance au Connétable. C'étoit l'illuftre Olivier de Cliffon, dont le génie vaste étoit également propre pour la Guerre & pour le Confeil. La France prit alors une face nouvelle, & les Peuples goutèrent enfin les douceurs d'un fage gouvernement fous un Prince qu'ils

adoroient.

On fit en 1389 de grands préparatifs à Paris, pour l'entrée & le couronnement de la Reine. Mademoiselle de Luffan fait une belle defcription de cette entrée folemnelle; mais elle a omis quelques détails, qui, ce me femble, ne font point déplacés dans une hiftoire particu lière. Par exemple, elle dit que la Reine, en entrant dans la Ville, mit fur fa tête

port

une couronne d'or & de pierreries. La chose se paffa plus galamment, au rapde l'hiftorien Froiffard. Il y avoit à la porte aux Peintres, rue Saint Denis, un ciel nué & étoilé très-richement, & Dieu par figure féant en fa Majefté, le Père, le Fils, & le Saint Esprit ; & làdedans le Ciel petits enfans de Chœur chantoient moult doucement en forme d'Anges; & ainfi que la Reine paffa dans fa litière découverte fous la porte du Paradis, d'en haut deux Anges defcendirent,

tenant en leurs mains une très-riche cou

ronne d'or garnie de pierres précieuses, & l'affirent moult doucement fur le chief de la Reine, en chantant tels vers:

Dame enclose entre fleurs de Lys,
Reine êtes vous du Paradis,
De France & de tout le pays.

Nous en r'allons en Paradis.

Mademoifelle de Luffan n'a pas oublié de dire que Charles VI, par une faillie de jeune homme, fe déguifa pour aller voir l'entrée de la Reine, & qu'il reçut fur les épaules quelques coups de manche à balais. Froiffard raconte cette

Remontons.

avanture avec une naïveté piquante ; & je n'aurois pas été fâché que Mademoifelle de Luffan eût de temps en temps rapporté les paroles mêmes de nos anciens Hiftoriens. Ces fortes de citations, lorfqu'elles font rares & faites avec choix, amufent le Lecteur. Charles VI dit donc à Savoifi fon favori: Savoifi, je te prie que tu montes fur mon bon cheval, & monterai derrière toi, & nous nous habillerons tellement qu'on ne nous cognoiffe point, & allons voir l'entrée de ma femme... & allèrent donc par la Ville en divers lieux, & fe avancèrent pour venir au Châtelet à l'heure que la Reine paffoit, où il y avoit moult de peuple & grand preffe ; & y avoit foifon de Sergens à groffes boulaies, lefqueis pour défendre la preffe, frappoient de côté & d'autre de leurs boulaies bien & fort; & fe efforçoient toujours d'approcher le Roi & Savoifi; & les Sergens qui ne cognoiffoient mie le Roi -ne Savoifi, frappoient de leurs boulaies deffus, & en eut le Roi plufieurs horions Jur les épaules bien affis ; & au foir en la préfence des Dames & Demoifelles fut la chofe récitée, & on commença à en bien farcer, & le Roi même je farçoit des horions qu'il avoit reçus.

Mademoiselle de Luffan dit encore que le lendemain de cette pompe, la Ville de Paris, fuivant l'ufage, porta de magnifiques préfens au Roi & à la Reine. Froiffard entre là-deffus dans un détail curieux. Les Bourgeois de Paris s'étant mis à genoux, dirent au Roi: Très-chier & aimable Sire, vos Bourgeois de Paris vous préfentent ces joyaux ; c'étoient des vafes d'or. Grand' merci, bonnes gens, leur répondit-il, ils font biaux & riches. Ils allèrent enfuite chez la Reine, à qui un Ours & une Licorne préfentèrent de leur part des préfens encore plus riches. Dans ces temps-là rien ne paroiffoit plus ingénieux que ces fortes de mafcarades. Il me femble qu'un Hiftorien ne devroit pas négliger de faifir l'efprit, le goût du fiècle dont il parle, ni de faire obferver ce cérémonial de fe mettre à genoux de vant le Roi.

Après les fêtes données à Paris, Charles fit la vifite de fon Royaume Etant à Montpellier avec le Duc de Tourraine fon frère, depuis Duc d'Orléans, il leur prit à tous deux une impatience de jeunes gens de revoir leurs femmes. Ils firent une gageure à qui feroit le premier à Paris. Le dernier arrivé devoit payer

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