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cinq mille francs d'or. Deux feuls Gentilshommes devoient les fuivre. Ils partirent à la même heure, chacun prenant le chemin qu'il croyoit le plus court. Ils marchoient jour & nuit; & comme il n'y avoit point encore de poftes établies en France, ils prenoient des relais de Ville en Ville. Le Roi trop fatigué s'arrêta à quarante lieues de Paris & y dormit huit heures. Ce fommeil lui couta cinq mille francs d'or qu'il paya à Monfieur, arrivé à Paris le cinquième jour, fix heures avant le Roi. Leurs maisons ne s'y rendirent que trois femaines après.

L'affaffinat commis par Craon fur la perfonne du Connêtable de Cliffon, jetta tout le Royaume dans la confternation par l'effet terrible que cet événement produifit fur le Roi. Ce Monarque en fut fi outré, que depuis ce temps-là il ne fit prefque plus rien de fang froid. Il fortoit de fon caractère toutes les fois qu'il s'a◄ giffoit des fuites de ce crime & de la punition de Craon. Telle fut l'origine du premier dérangement d'efprit de ce Prince, & celle des malheurs qui défolèrent la France pendant le refte de fon regne. Craon s'étoit réfugié chez le Duc de Bretagne; & fur le refus que le Duc fit au

:

Roi de lui livrer le coupable, Charles marcha contre lui à la tête d'une Armée. Les Princes fes oncles s'oppofèrent autant qu'ils purent à cette guerre; mais il fallut céder aux volontés du Roi. Ce Monarque s'avançoit vers la Ville du Mans, où toutes fes Troupes devoient fe rendre, lorfqu'il tomba fubitement dans une affreuse trifteffe. Sa phyfionomie changea de vif & fpirituel qu'il étoit, il devint fimple & idiot; & à cet air de maître qui infpiroit le refpect fuccéda une contenance baffe & ignoble. Ce n'étoit là que les fymptômes d'un accident plus funefte. Comme ce Prince étoit à cheval au milieu d'une forêt conduifant fes Troupes à Angers, il vit s'élancer d'entre les arbres un grand homme d'une figure hideufe, couvert d'un furtout de bure, ayant la tête & les pieds nuds. Cet homme faifit la bride du cheval du Roi, & lui cria d'un ton effrayant: Arrête noble Roi, tu es trahi. Il fe retira en répétant les mêmes paroles avec une voix de tonnerre, & il difparut. On ne douta pas dans l'Armée que cet événement n'eût été préparé par les oncles du Roi pour le détourner de fon expédition; ce qui parut d'autant plus vraifemblable,

qu'on ne fe mit nullement en peine d'arrêter cette espèce de fpectre. Le Roi lui-même n'y fit pas beaucoup d'attention. Au fortir de la forêt il entra dans une plaine, n'ayant auprès de lui que quelques officiers de fa Maifon. Un Page portoit fa lance, & un autre fon cafque. La chaleur étoit extrême; le Roi s'affoupit ; malheureusement le Page qui portoit fa lance s'affoupit auffi, & la laiffa tomber fur le cafque. Le bruit qu'elle fit tira le Roi de fon affoupiffement. Il voit le fer de la lance panché de fon côté ; fon imagination échauffée lui rappelle les terribles paroles qu'il vient d'entendre. Il croit qu'on en veut à fa vie; il met l'épée à la main & en perce le Page; tout ce qui l'environne lui paroit autant d'ennemis ; il frappe à droite & à gauche, ne reconnoit perfonne, & devenant toujours plus furieux, il fe jette fur tout ce qui l'approche. Quatre Gentilshommes font immolés à fa fureur; & il auroit continué ce carnage, fi un de fes Chambellans fautant adroitement fur la croupière de fon cheval, & l'embraffant par derrière, n'eût facilité à quelques officiers les moyens de le defcendre & dele defarmer. Alors

les forces lui manquèrent; il tomba er foibleffe, & enfuite dans un affoupiffement létargique qui dura trois jours, pendant lefquels il ne donna prefque aucun figne de vie. Il faut voir, Monfieur, dans l'ouvrage même, la peinture touchante que fait Mademoiselle de Luffan de la confternation où jetta tous les Etats du Royaume la nouvelle de cette étonnante maladie ; vous ne pourrez la lire fans en être attendri. Une calamité fi funeste plongea la France dans de nouveaux malheurs ; ce n'eft pas que le Roi n'eut dans la fuite de bons intervalles; mais le fond étoit altéré; & le refte de fa vie ne préfenta plus qu'une fuite continuelle de guérifons & de rechutes. Dès qu'il fut revenu de fon premier accès, il voulut, tout foible qu'il étoit encore, être informé de tout ce qui s'étoit paffé. Il en fut faifi d'horreur; it demanda pardon à tous les Seigneurs qui étoient préfens ; & il ordonna des gratifications pour les veuves & les enfans des perfonnes à qui il avoit malheu

reufement ôté la vie.

Sa fanté cependant commençoit à fe rétablir, quand un nouvel accident le fit retomber dans fon premier état. Ce

Prince étoit allé à un Bal, déguifé en Sauvage avec quatre Seigneurs qu'il tenoit enchainés. Leur habit étoit de toile, fur laquelle on avoit collé des étoupes avec de la poix. Le Duc d'Orléans approcha un flambeau d'un de ces Sauvages; le feu prit aux étouppes ; il fe communiqua aux quatre autres Mafques; quelques-uns d'entre eux furent brulés ; & le Roi auroit eu le même fort, fila Ducheffe de Berri n'eût eu la préfence d'efprit de l'envelopper avec la queue de fa robe & d'étouffer le feu. Ce funefte accident caufa ou hâta toutes fes rechutes; il avoit toujours présent à l'efprit le danger qu'il avoit couru, & fon mal en devint plus long & plus fâcheux. Les accès en étoient violens ; & l'on fut obligé de prendre des mefures pour s'en garantir. Il s'irritoit lorfqu'on le traitoit de Sire; il nioit qu'il s'appellât Charles, qu'il fût marié, qu'il eût des enfans. Il effaçoit avec fon couteau fes armes fur fa vaiffelle. Il méconnoiffoit la Reine, la chaffoit, & fe plaignoit d'en être importuné. Il ne changeoit ni de linge ni de draps; il ne fe deshabilloit plus, & pouffoit même plus loin la

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