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la métropole de son diocèse : l'exercice du ministère épiscopal avait pour lui moins d'attraits que les agitations de la capitale, et comme il préférait d'ailleurs le commerce des courtisans et des gens de lettres à celui des desservants diocésains, il n'était pas en humeur de se condamner à l'observation rigide de ses devoirs en ce qui regarde la résidence. Il passa toutefois au Mans une partie des années 1649 et 1650, occupé de soins assez importants.

Les Filles-Dieu de l'ordre de Saint-Augustin avaient un prieuré conventuel au Mans, dans la paroisse de la Madeleine. De graves désordres s'étaient introduits dans ce prieuré; le temporel n'y était pas mieux administré que le spirituel. On engagea vivement l'évêque à rétablir l'honneur de cette maison. Dans ce dessein, il la fit visiter par Siméon Hay du Châtelet, licencié ès droits, chanoine et archidiacre de la cathédrale, et, ayant appris de lui que les sœurs Augustines avaient laissé tomber en désuétude les prescriptions de leur règle primitive, il se persuada qu'il y avait lieu de les soumettre au régime d'une constitution nouvelle. Cette constitution, dont le texte fut remis à la prieure des Filles-Dieu le 18 février 1660, passe pour être l'ouvrage d'Emmanuel de Beaumanoir: il l'a, du moins, approuvée et signée (1).

(1) Une copie manuscrite de cette constitution, qui appartenait au couvent de la Mission, se trouve aujourd'hui à la bibliothèque du Mans, sous le no 201 (MSS.).

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Les religieuses murmurèrent contre la tyrannie de l'évêque, et en appelèrent comme d'abus au parlement le 3 avril 1651, l'affaire étant encore pendante devant la cour, on transigea, et la dame prieure retira son appel. En cette même année, le 9 juin, eut lieu, dans la grande salle du couvent des Jacobins, au Mans, l'élection des mandataires de la province du Maine aux États-Généraux, convoqués

pour

le 8 septembre. On croit qu'Emmanuel de Beaumanoir fut un de ces députés (1).

Bien que l'évêque du Mans ne fût pas indifférent aux affaires de son diocèse, il s'éloignait de Paris avec regret chaque fois qu'il était appelé dans sa ville. épiscopale. A Paris il fréquentait plus les beaux esprits que les docteurs en Sorbonne, et s'occupait moins d'étudier la matière des cas réservés que de goûter les pointes de Voiture et les galanteries de Saint-Évremont. Il tenait table et bureau d'esprit. Les mœurs de la cour n'étaient pas sévères, et le clergé s'en accommodait volontiers :

Une politique indulgente

De notre nature innocente
Favorisait tous les désirs;

Tout goût paraissait légitime,

La douce erreur ne s'appelait point crime,
Les vices délicats se nommaient des plaisirs (2).

(1) M. Cauvin, Essai sur la statistique de l'arrondissement du Mans, 1833, p. 386.

(2) Saint-Evremont, Stances sur les premières années de la régence, t. III de ses OEuvres, p. 294.

De ces plaisirs, aucun ne flattait l'évêque du Mans autant qu'un bon dîner (1). Il avait pour convives le marquis de Bois-Dauphin, le commandeur de Souvré, le comte d'Olonne et Saint-Évremont, arbitres en matière de compositions culinaires, dont les petits soupers n'étaient pas moins en renom que les soirées galantes de Mademoiselle de L'Enclos. L'évêque les traitait souvent, et prétendait mieux entendre qu'eux l'économie d'un repas délicat. Un jour, il se permit, devant Saint-Evremont, de railler le goût de ses commensaux ordinaires : « Ces messieurs, dit-il, outrent << tout à force de vouloir raffiner sur tout; ils ne sau«raient manger que du veau de rivière, il faut que <«<leurs perdrix viennent d'Auvergne, que leurs lapins << soient de La Roche-Guyon ou de Versine; ils ne <<< sont pas moins difficiles sur le fruit, et, pour le <«< vin, ils n'en sauraient boire que des trois côteaux « d'Aï, d'Hautvilliers et d'Avenay. » On rit beaucoup et longtemps de cette invective contre les exigences gastronomiques des illustres experts, et ceux-ci n'épargnèrent pas un rival qui les avait plaisantés sur leurs scrupules. Bois-Robert prit sa défense dans une satire qui ne nous a pas été conservée; le

(1) C'était, il paraît, un vice de famille. Scarron dit, en effet, OEuvres, t. VII, p. 207:

Lavardines et Lavardins

Aiment à remplir leurs boudins,
El mangent par grand'gloutonnie.

public fut de l'avis de Bois-Robert, et quand, dans la suite, on voulut désigner le comte d'Olonne, le marquis de Bois-Dauphin et Saint-Évremont, on dit Les trois côteaux (1). .

Tallemant nous raconte que les convives de l'évêque du Mans avaient plus d'égards pour son cuisinier que pour lui-même, qu'à sa propre table ils riaient de lui, et qu'il avait assez de candeur pour ne pas le voir. Il ajoute qu'un jour, devant le roi, il donna dans un piége fort grossier, et fut très-malmené par un des bouffons de la cour (2). D'autre part, SaintÉvremont fait intervenir notre prélat d'une façon ridicule dans un débat fort animé entre Beautru et le commandeur de Jars (3), et lui prête en cette circonstance un discours des plus comiques. Il est prudent de ne pas accepter comme véridiques en toute matière les témoignages de Tallemant et de Saint-Évremont; mais il n'est guère probable qu'ils se soient mis d'accord pour calomnier devant la postérité le jugement d'Emmanuel de Beaumanoir. Cependant, outre

(1) On peut consulter à ce sujet la Vie de Saint-Evremont, par Desmaiseaux; les Notes sur ce vers de la satire III de Boileau : Et qui se dit profès dans l'Ordre des Côteaux,

dans l'édition des OEuvres en vers de Boileau, Amsterdam, 1717; et les Nouvelles de la République des Lettres, août 1704, pages 66 et suivantes.

(2) Historiettes.

(3) OEuvres de Saint-Evremont, édit. de 1753, t. I, p. 78.

Costar et Balzac (1), Bondonnet et l'auteur anonyme de la vie de Costar attribuent à notre prélat une intelligence très-supérieure à celle du vulgaire. Il nous faut prendre un parti entre ces appréciations diverses, et voici comment nous nous représentons Emmanuel de Beaumanoir un homme honnête, de bonne mine, de mœurs faciles, qui, sans être porté par un goût naturel vers l'intempérance, hante les libertins, parce que les libertins se trouvent en majorité parmi les courtisans, et qui, sans donner dans tous leurs écarts, les laisse volontiers puiser dans sa bourse lorsqu'il s'agit de solder le compte de leurs déréglements. Il n'y a rien en lui de personnel, si ce n'est beaucoup de vanité; mais, à la condition qu'on le flatte, il se laisse gouverner et fait ce qu'on désire. S'il est pris pour dupe par des gens d'esprit, ce n'est pas qu'il soit ignorant ou que ses études littéraires soient restées imparfaites; il a beaucoup lu, il a beaucoup appris, mais ne sait pas mieux faire emploi de son érudition que de son patrimoine. Est-il dans une compagnie de femmes légères et d'étourdis? il se pose en docteur et fait de grands discours qui prêtent à rire. Devant des gens graves, il tient des propos galants. Il veut, à la cour, jouer le grand personnage et prendre le haut du pavé, et le dernier venu des

(1) Dans la lettre latine déjà citée, et dans une lettre française qui se lit au t. I des OEuvres de Balzac, p. 620 de l'édit. in-fol.

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