Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

payé par les Anglois eux-mêmes. Cette bonne foi parfaite, le sublime du calcul, est la base des finances d'Angleterre, et la confiance dans la durée de cette bonne foi tient aux institutions politiques. Le changement des ministres, quels qu'ils soient, ne peut porter aucune atteinte au crédit, puisque la représentation nationale et la publicité rendent toute dissimulation impossible. Les capitalistes qui prêtent leur argent, sont les hommes du monde qu'il est le plus difficile de tromper.

Il existe encore de vieilles lois en Angleterre qui mettent quelques entraves aux diverses entreprises de l'industrie dans l'intérieur; mais on les abolit par degrés, et d'autres sont tombées en désuétude. Aussi chacun se crée-t-il des ressources, et nul homme doué de quelque activité ne peut-il être en Angleterre, sans trouver le moyen de s'enrichir en contribuant au bien de l'état. Le gouvernement ne se mêle jamais de ce que les particuliers peuvent faire aussi bien que lui : le respect pour la liberté individuelle s'étend à l'exercice des facultés de chacun, et la nation est si jalouse de s'administrer elle-même, quand cela se peut, qu'à beaucoup d'égards on manque à Londres de la police nécessaire à l'agrément de la ville, parce

que

les ministres ne peuvent pas empiéter sur les autorités locales.

La sécurité politique, sans laquelle il ne peut y avoir ni crédit ni capitaux accumulés, ne suffit pas encore pour développer toutes les ressources d'une nation : il faut que l'émulation anime les hommes au travail, tandis que les lois leur en assurent le fruit. Il faut que le commerce et l'industrie soient honorés, non par des récompenses données à tel ou tel individu, ce qui suppose deux classes dans un pays, dont l'une se croit le droit de payer l'autre ; mais par un ordre de choses qui permette à chaque homme de s'élever au plus haut rang s'il le mérite. Hume dit que le commerce a encore plus besoin de dignité que de liberté. En effet, l'absurde préjugé qui interdisoit aux nobles de France d'entrer dans le commerce, nuisoit plus que tous les autres abus de l'ancien régime au progrès des richesses françoises. Il y a des pairies en Angleterre accordées nouvellement à des négocians de première classe : une fois pairs, ils ne restent pas dans le commerce , parce qu'ils sont censés devoir servir autrement la patrie; mais ce sont leurs fonctions de magistrats, et non des préjugés de caste qui les éloignent de l'état de négociant, dans lequel les fils ca

dets des plus grands seigneurs entrent sans hésiter, quand les circonstances les y appellent. La même famille tient souvent à des pairs d'une part, et de l'autre aux plus simples marchands de telle ou telle ville de province. Cet ordre politique encourage toutes les facultés de chacun, parce qu'il n'y a point de bornes aux avantages que la richesse et le talent peuvent valoir, et qu'aucune exclusion n'interdit ni les alliances, ni les emplois, ni la société, ni les titres, au dernier des citoyens anglois, s'il est digne d'être le premier.

Mais, dira-t-on, en France, même sous l'ancien régime, on a nommé des individus sans naissance aux plus grandes places. Oui, on s'est servi d'eux quelquefois, quand ils étoient utiles à l'état; mais dans aucun cas on ne pouvoit faire d'un bourgeois l'égal d'un gentilhomme. Comment donner des décorations de premier ordre à un homme de talent sans naissance, puisqu'il falloit des preuves généalogiques pour avoir le droit de les porter? A-t-on vu faire un duc et pair de ce qu'on auroit appelé un parvenu? Et ce mot de parvenu à lui seul n'étoit-il pas une offense? Les membres des parlemens françois eux-mêmes, nous l'avons déjà dit, n'ont jamais pu se faire

considérer comme les égaux de la noblesse d'épée. En Angleterre, les rangs et l'égalité sont combinés de la manière la plus favorable à la prospérité de l'état, et le bonheur de la nation est le but de toutes les distinctions sociales. Là, comme ailleurs, les noms historiques inspirent le respect que l'imagination reconnoissante ne sauroit leur refuser: mais les titres restant les mêmes, tout en passant d'une famille à l'autre, il en résulte dans l'esprit du peuple une ignorance salutaire qui lui fait accorder les mêmes égards aux mêmes titres, quel que soit le nom patronymique auquel ils sont attachés. Le grand Marlborough s'appeloit Churchill, et n'étoit sûrement pas d'une aussi noble origine que l'antique maison de Spencer dont est le duc de Marlborough actuel; mais, sans parler de la mémoire d'un grand homme, qui auroit suffi pour honorer ses descendans, les gens du monde savent seuls que le duc de Marlborough de nos jours est d'une beaucoup plus grande naissance que le fameux général, et sa considération dans la masse de la nation n'y gagne et n'y perd rien. Le duc de Northumberland, au contraire, ne descend que par les femmes du célèbre Percy Hotspur, et cependant tout le monde le con

sidère comme le véritable héritier de cette maison. On se récrie sur la régularité du céré monial en Angleterre : l'ancienneté d'un jour, en fait de nomination à la pairie, donne le pas sur un pair nommé quelques heures plus tard. La femme et la fille participent aux avantages de leur époux et de leur père; mais c'est précisément cette régularité de rangs qui écarte les peines de la vanité; car il se peut que le pair le plus moderne soit meilleur gentilhomme que celui qui le précède : il peut le croire du moins, et chacun se fait sa part d'amour-propre, sans que le bien public en souffre.

La noblesse de France, au contraire, ne pouvoit être classée que par le généalogiste de la cour. Ses décisions fondées sur des parchemins étoient sans appel; et, tandis que l'aristocratie angloise est l'espoir de tous, puisque tout le monde y peut parvenir, l'aristocratie françoise en étoit nécessairement le désespoir; car on ne pouvoit se donner, par les efforts de toute sa vie, ce que le hasard ne vous avoit pas accordé. Ce n'est pas l'ordre inglorieux de la naissance, disoit un poëte anglois à Guillaume III, qui vous a élevé au trône, mais le génie et la vertu.

En Angleterre on a fait servir le respect des

« VorigeDoorgaan »