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ses dons que par ses injustices, ce désordre étoit tel, qu'à son abdication un nombre incalculable de personnes, sans aucune ressource indépendante, se présentoient pour toutes les places, à la marine, ou dans la magistrature, au civil ou dans le militaire, n'importe. La dignité du caractère, la conséquence dans les opinions, l'inflexibilité dans les principes, toutes les qualités d'un citoyen, d'un chevalier, d'un ami de la liberté n'existent plus dans les actifs candidats formés par Bonaparte. Ils sont intelligens, hardis, décidés, habiles chiens de chasse, ardens oiseaux de proie; mais cette intime conscience, qui rend incapable de tromper, d'être ingrat, de se montrer servile envers le pouvoir et dur pour le malheur; toutes ces vertus, qui sont dans le sang aussi-bien que dans la volonté raisonnée, étoient traitées de chimères, ou d'exaltation romanesque, par les jeunes gens même de cette école. Hélas! les malheurs de la France lui rendront de l'enthousiasme; mais, à l'époque de la restauration, il n'y avoit presque point de vœux décidément formés pour rien; et la nation se réveilloit à peine du despotisme qui avoit fait marcher les hommes mécaniquement, sans que la vivacité même de leurs actions pût exercer leur volonté.

C'étoit donc, répéteront encore les royalistes, une belle occasion pour régner par la force. Mais, encore une fois, la nation ne consentoit à servir sous Bonaparte que pour en obtenir l'éclat des victoires; la dynastie des Bourbons ne pouvoit ni ne devoit faire la guerre à ceux qui l'avoient rétablie. Existoit-il un moyen d'asservir les esprits dans l'intérieur, quand l'armée n'étoit point rattachée au trône, et que, la population étant presque toute renouvelée depuis que les princes de la maison de Bourbon avoient quitté la France, il falloit avoir plus de quarante ans pour les connoître?

Tels étoient les élémens principaux de la restauration. Nous examinerons en particulier l'esprit de la société à cette époque, et nous finirons par le tableau des moyens qui, selon nous, pouvoient seuls triompher de ces divers obstacles.

CHAPITRE X.

De l'influence de la société sur les affaires politiques en

France.

PARMI les difficultés que

le ministère avoit à vaincre en 1814, il faut mettre au premier rang l'influence que les salons exerçoient sur le sort de la France. Bonaparte avoit ressuscité. les vieilles habitudes des cours, en y joignant dé plus tous les défauts des classes moins raffinées. Il en étoit résulté que le goût du pouvoir et la vanité qu'il inspire avoient pris des caractères plus forts et plus violens encore dans les bonapartistes que dans les émigrés. Tant qu'il n'y a pas de liberté dans un pays, chacun recherche le crédit, parce que l'espoir d'obtenir des places est l'unique principe de vie qui anime la société. Les variations continuelles dans la façon de s'exprimer, le style embrouillé des écrits politiques dont les restrictions mentales et les explications flexibles se prêtent à tout; les révérences, et les refus de révérences, les emportemens et les condescendances, ont pour unique but le crédit, et puis le crédit, et

toujours le crédit. De là vient qu'on souffre assez de n'en pas avoir, puisqu'on n'obtient qu'à ce prix les signes de la bienveillance sur la figure humaine. Il faut beaucoup de fierté d'âme et beaucoup de constance dans ses opinions pour se passer de cet avantage, car vos amis eux-mêmes vous font sentir ce que vaut la puissance exclusive, par l'empressement qu'ils témoignent à ceux qui la possèdent.

En Angleterre, le parti de l'opposition est souvent mieux reçu en société que celui de la cour; en France on s'informe, pour inviter quelqu'un à dîner, s'il est en faveur auprès des ministres; et, dans un temps de famine, on pourroit bien refuser du pain aux hommes en disgrâce.

Les bonapartistes avoient joui des hommages de la société pendant leur règne, tout comme le parti royaliste qui leur succédoit, et rien ne les blessoit autant que de n'occuper qu'une place très-secondaire dans les mêmes salons où jadis ils dominoient. Les hommes de l'ancien régime avoient de plus sur eux l'avantage que donnent la grâce et l'habitude des bonnes manières d'autrefois. Une jalousie constante subsistoit donc entre les anciens et les nouveaux titrés ; et dans les hommes nouveaux, ;

des passions plus fortes étoient réveillées par chacune des petites circonstances que les prétentions diverses faisoient naître.

Le roi cependant n'avoit point rétabli les conditions qu'on exigeoit sous l'ancien régime pour être reçu à la cour; il accueilloit avec une politesse parfaitement bien calculée tous ceux qui lui étoient présentés; mais, quoique les emplois ne fussent que trop souvent donnés aux cidevant serviteurs de Bonaparte, rien n'étoit plus difficile que de calmer des vanités qui étoient devenues avisées. Dans la société même, l'on vouloit que le mélange des deux partis eût lieu, et chacun s'y prêtoit du moins en apparence. Les plus modérés dans leur parti étoient encore les royalistes revenus avec le roi, et qui ne l'avoient pas quitté pendant tout le cours de son exil: le comte de Blacas, le duc de Gramont, le duc de Castries, le comte de Vaudreuil, etc.; leur conscience leur rendant témoignage qu'ils avoient agi de la manière la . plus noble et la plus désintéressée selon leur opinion, ils étoient tranquilles et bienveillans. Mais ceux dont on avoit le plus de peine à contenir l'indignation vertueuse contre le parti de l'usurpateur, c'étoient les nobles ou leurs adhérens, qui avoient demandé des places à ce

TOME III.

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