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la nôtre, et où l'art trouve tant de représentants distingués, ne pouvait se passer d'une Société qui servît de lien à tous les artistes, et fût pour eux une source de stimulation. Vous vous êtes donc mis à l'œuvre pour relever de ses ruines la Société des Amis des arts qui avait fonctionné pendant plusieurs années, vivant en quelque sorte de votre vie, et s'était éteinte par des motifs indépendants de l'Académie. Une commission, choisie parmi nos collègues les plus dévoués aux arts, est venue vous proposer les moyens de rassembler les éléments épars de cette Société et de la reconstruire sur de nouvelles bases. Bientôt, Messieurs, nous ne saurions en douter, vous serez assez heureux pour recueillir le fruit de vos soins.

Enfin, permettez-moi deux mots encore avant de terminer. Le mouvement est un des caractères des sociétés savantes, qui ont pour mission de suivre le progrès intellectuel et de lui servir d'auxiliaires. Le règlement constitutif de chaque société, comme les lois des Etats, doit suivre une marche parallèle à ce mouvement, et il vous a semblé nécessaire de soumettre celui qui nous régit à une commission chargée d'élaborer les modifications qu'il pourrait être utile d'y introduire. Après un travail long et consciencieux, vos commissaires ont reconnu que l'ensemble du règlement s'approprie bien aux besoins de la Société et fonctionne d'une manière régulière, mais qu'il est susceptible de plusieurs modifications de détail. Vous avez reconnu l'utilité de ces modifications et vous les avez sanctionnées; mais quelque intéressantes qu'elles puissent être pour nous, je n'aurais point entretenu de ces petits détails de famille le public d'élite qui nous entoure, si je n'avais tenu à signaler une heureuse innovation qui résulte de ce travail. Jusqu'aujourd'hui, rien ne constatait l'existence scientifique ni les titres des membres de l'Académie, rien n'indiquait, lorsqu'un de nos collègues

avait disparu de nos rangs, comment il avait fait partie de la Société, ni l'importance et la durée des services qu'il avait pu lui rendre; trop souvent même la trace qu'il avait laissée s'effaçait sous le souffle du temps. Eh bien! Messieurs, un tel oubli n'est plus à craindre depuis que votre règlement a ordonné la création d'un livre d'or sur lequel chacun de nous aura une page ouverte à ses titres et à ses services. Ce sont là d'incontestables éléments de biographie; heureux ceux dont la carrière aura été assez brillante pour exiger un jour la mise en œuvre de ces précieux matériaux!

NOTICE

SUR

VICTOR-FRANÇOIS DESVIGNES,

MUSICIEN-COMPOSITEUR,

Fondateur de l'Ecole de Musique et Membre titulaire de l'Académie impériale de Metz.

PAR M. EUGÈNE GANDAR.

Messieurs,

Bien que, par un caprice de la destinée, Desvignes ait vu le jour au-delà même de nos frontières (a), et qu'une partie de sa jeunesse se soit écoulée à Paris (b) ou dans d'autres départements (c) que celui de la Moselle, la ville de Metz aime à le revendiquer, et nous pouvons dire qu'il lui en a donné le droit. Il avait trois mois à peine lorsque, de Trèves, il y fut amené par sa famille (d), qui l'y garda douze ans auprès d'elle; à dix-sept ans, il y revint comme second chef d'orchestre, comme premier chef un peu plus tard; enfin, depuis vingt-deux années, quoique de grandes villes lui aient fait pour l'attirer de brillantes promesses, il n'a plus voulu en sortir. Vous voyez que Metz est bien

sa patrie; il ne lui a manqué que d'y venir au monde, car c'est parmi nous qu'il fut élevé, qu'il se maria, qu'il vit naître et grandir ses enfants, qu'il est mort enfin après nous avoir légué l'œuvre de toute sa vie (e).

Cette œuvre, Messieurs, vous savez mieux que personne ce qu'elle vaut; il y a treize ans déjà que, pour rendre solennellement hommage aux succès de l'artiste et aux services du professeur, vos suffrages spontanés ont appelé Desvignes à faire partie de votre compagnie (f). C'était donc à vous qu'il appartenait de rappeler ce qu'il a fait et quel vide il a laissé: puissé-je le faire, en votre nom, selon votre cœur et selon le mien!

Sous nos yeux encore, Messieurs, combien d'hommes, même parmi les premiers et les meilleurs, oublient aisément ce qu'ils doivent à la société, et nonchalamment jouissent, sans le faire partager, du bonheur qu'ils tiennent des hasards de la naissance, du rare privilège d'une éducation complète, du choix aveugle de la fortune! Inspiré par son enthousiasme pour l'art dans lequel il a excellé, et par un zèle ardent pour le bien, Desvignes ne mesura jamais à ce qu'on avait fait pour lui ce qu'il s'estimait obligé de faire pour les autres. Il avait peu reçu; il donna beaucoup: toute sa vie est dans ces deux mots. Quels qu'aient été le mérite de ses œuvres et l'éclat de ses succès, c'est là le plus solide de ses titres à vos regrets comme à la reconnaissance publique.

Fils de comédiens, destiné dès le berceau à une profession aventureuse, précaire, il monta lui-même sur la scène, joua son rôle et chanta, lorsqu'il avait à peine cinq ans. Son père, homme d'esprit et de cœur, entouré d'estime, n'avait pourtant ce qu'il eût fallu ni pour l'instruire lui-même, ni pour le faire instruire par d'autres. Aussi ses premières études ne furent-elles nullement di

rigées. On ne lui enseigna rien d'une façon régulière, ni les sciences, ni l'histoire, ni sa langue, ni même la musique. Tout ce qu'il savait, il le devait à l'instinct et à l'usage. Sa curiosité naturelle lui tint lieu d'encouragements et de conseils. Il vit, il écouta, il lut un peu, il devina beaucoup. Un jour seulement, ayant mis la main sur un violon, il demanda un maître. A quoi bon? Une telle étude était sans fruits, et le maître eût coûté quelque chose. Mais l'enfant s'obstine: il apprendra seul. C'est trop encore. Quel ennui dans la famille! On était logé étroitement, les cloisons étaient minces; lorsque le père revenait, fatigué, ces gammes troublaient sa paix. Et puis, elles absorbaient l'enfant, qui s'isolait des jeux de son âge; on l'appelait en riant le jeune vieillard et, lui ôtant des mains l'archet, on l'envoyait rajeunir, jouer. Il fallut qu'il se cachât pour étudier encore.

Toutefois, les premières années s'écoulèrent, et il trouva enfin ce maître qu'on n'avait pu lui donner. A douze ans son frère aîné le réclama, le prit avec lui de ville en ville et lui apprit avec amour tout ce qu'il avait appris luimême. Chanteur demeuré obscur, parce qu'il avait peu de santé et peu de voix, il promit de ne pas laisser perdre les dispositions précoces de Desvignes et de lui ouvrir bientôt, à côté et au-dessus de lui, puisque envers lui la nature avait été plus prodigue, une belle carrière sur la scène. Ces tendres soins touchèrent Desvignes profondément. Toute sa vie, ce frère, mort jeune, fut pour lui l'objet du culte le plus tendre. Son noble cœur lui fit illusion: il crut qu'il devait tout à ce guide de sa jeunesse; il en donna le nom au premier né de ses enfants; au lit de mort, c'était pour lui une ineffable consolation de penser qu'après avoir quitté ici-bas tant d'êtres chèrement aimés, il allait du moins retrouver au sein de Dieu ce bon frère qu'il avait trop tôt perdu.

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