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ETUDE

SUR LA

PHILOSOPHIE D'HORACE

Par M. A. BÉZIERS.

Membre Résidant.

Dans les travaux de la Société d'Agriculture de la Marne, j'ai remarqué une notice intéressante « sur l'amour d'Horace pour la campagne. » Cette notice est faite avec les vers mêmes du poète, parfaitement liés entre eux par de courtes et habiles transitions. Son auteur s'est trouvé amené naturellement par son sujet à parler de la philosophie d'Horace; il a l'air de dire que le poète n'est pas aussi Epicurien qu'on le croit généralement. « Personne plus que lui, dit-il, n'a loué la frugalité et la sobriété, et personne plus que lui ne paraît avoir pratiqué ces vertus. » Ceci m'a rappelé que dernièrement un professeur distingué conseillait à un candidat au doctorat ès-lettres de prendre pour sujet de sa thèse la question de savoir si Horace était épicurien ou stoïcien, afin que l'on pût discuter avec les textes.

J'ai fait cette thèse, Messieurs, non dans l'intention de me

présenter au doctorat, ni avec le désir de discuter, mais par pure curiosité. Afin d'apprendre du poète lui-même ce qu'il était réellement, j'ai eu la patience, je me trompe, j'ai eu le plaisir de le feuilleter d'un bout à l'autre, de choisir des textes nombreux, de les rapprocher, de les coordonner, et de faire le poète seul juge dans cette question que je m'étonne que l'on ait posée. Vous allez me dire: nous savons tous aussi qu'il est épicurien, et vous allez peut-être me reprocher intérieurement de vous entretenir ainsi sans utilité. Cependant vous me pardonnerez facilement, j'espère, quand je vous rappellerai quelques uns de ces beaux vers qui vous ont charmés au temps de la rhétorique, à cette époque de la vie où l'on est aussi un peu épicurien, ce qui est une raison de plus pour aimer le poète de Tibur et l'ami de Mécène.

Je vous montrerai donc Horace épicurien; je chercherai comment et à quel degré il l'était, s'il le fût constamment et toujours, et à quoi il faut attribuer ses inconstances appa

rentes.

On sait que l'épicuréisme, à son origine, faisait une distinction entre les plaisirs, qu'il classait ainsi plaisirs des sens, plaisirs de l'esprit et plaisirs du cœur, ou de la vertu. Il mettait au premier rang les plaisirs de la vertu, et au dernier, les plaisirs des sens que le maître condamnait, comme apportant le trouble dans l'âme. Mais les disciples les ont admis avec une faveur croissante, à mesure qu'on s'éloignait de l'enseignement primitif et que cette philosophie facile passait dans les mœurs privées et publiques. On sait aussi que le grand inconvénient de ce système de morale, même dans sa pureté primitive, c'était de ne point rechercher la vertu pour elle-même, comme le but nécessaire de nos actions, mais seulement comme un moyen de parvenir au bonheur.

Au temps d'Horace, l'épicuréisme bien déchu ne consistait plus que dans la recherche des plaisirs sensuels. Horace s'y livra comme presque tous ses contemporains, comme

Mécène son protecteur, avec un certain penchant naturel, et avec la facilité de mœurs de ces temps-là. Mais il fut épicurien surtout dans la pratique, car Horace n'était pas un philosophe dogmatique, tenant école ouverte.

Dans la pratique, il y a encore bien des degrés depuis l'épicuréisme grossier, se livrant à tous les penchants vicieux de la nature humaine, à toutes les habitudes dépravées que fait naître la profession du libertinage, jusqu'à cet épicuréisme raffiné qui calcule et arrange ses plaisirs, de manière à ce qu'ils ne soient jamais nuisibles, et que le désir même ne s'éteigne jamais par la jouissance.

Horace me paraît être un délicat, ennemi des excès, principalement des excès de la table, quoiqu'il vante souvent le Falerne et le Massique. Vous allez en juger par ses propres paroles. Mais mon but, avant tout, est de montrer qu'il est épicurien, contre ceux qui veulent en faire, sinon un stoïcien, au moins un homme vertueux.

On n'a, Messieurs, que l'embarras du choix entre cent passages qui établissent ce fait. Dans l'ode là Plancus (Liv. 4, O. 6.), il invite son ami à noyer le chagrin dans le vin: c'est la sagesse !

Sic tu sapiens finire memento
Tristitiam vitæque labores

Molli, Plance, mero.

Ailleurs (Liv. 1, 0. 8) il recommande à Thaliarchus de chasser le froid de l'hiver par des rasades. Il exhorte Lamia (Liv. 3, 0. 12) à passer gaiment la journée du lendemain qui semblait devoir être sombre et pluvieuse, et à se régaler d'un cochon de lait rôti. Il invite Varus (Liv. 1, 0. 16) à planter la vigne et à boire, car le vin chasse les soucis et les Dieux n'aiment pas les buveurs d'eau :

Siccis omnia nam dura Deus proposuit neque
Mordaces aliter diffugiunt sollicitudines.

Dans l'ode onzième du premier livre, où il se met en scène, il développe cette pensée que l'homme de bien,

Integer vitæ scelerisque purus,

est en sûreté partout

mais à quoi se réduit cette sécurité ?

à pouvoir aimer librement sa maîtresse,

Dulce ridentem Lalagen amabo

Dulce loquentem,

<< J'aimerai Lalagé au doux sourire, au doux parler.

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Dans l'ode quatorze du troisième livre, il engage Téléphe à laisser là les lettres et l'histoire pour ne songer qu'au vin et à la bonne chère, et il boit en cette occasion plus qu'à l'ordinaire. Il fait remplir sa coupe trois fois de suite; il boit la première à la Lune nouvelle, la seconde à la Nuit qui est déjà à la moitié de sa course, la troisième à l'augure Muréna. Il n'est pas encore satisfait l'amant des neuf muses videra neuf fois la coupe, quoique Aglaé et ses deux sœurs défendent de la toucher plus de trois fois, mais il veut aujourd'hui du délire insanire juvat!

Il serait superflu de citer toutes les odes, tous les passages dans lesquels il invoque Bacchus et Vénus il offre son encens à ces deux divinités bien plus souvent qu'aux

autres.

Même dans des circonstances graves et solennelles, qui devraient exciter dans l'âme une autre enthousiasme que celui des sens, Horace chante encore la volupté. Voici le début d'une ode qui célèbre la bataille d'Actium et la mort de Cléopâtre :

Nunc est bibendum, nunc pede libero
Pulsanda tellus

<< Maintenant il faut boire, il faut boire librement. >>

Quant Auguste revient vainqueur des Cantabres, Horace charge son esclave d'apporter des parfums, des couronnes et du vieux vin, et d'aller chercher une chanteuse, nommée Néera. «Si son portier ne te laisse pas passer, dit-il, reviens. » Puis il se rappelle qu'autrefois, dans sa jeunesse, il n'eût pas supporté un tel affront; mais aujourd'hui ses cheveux blanchissent (Liv. 3, O. 40).

La pensée de la mort, cette pensée si triste, si grave au moins, est pour Horace un motif de plus de s'amuser. Il invite Sestius (Liv. 1, O. 4) à jouir promptement de la vie, parce qu'elle n'est pas longue, et qu'après on ne tire plus au sort la royauté des festins:

Non regna vini sortiere talis.

Semblable recommandation à Dellius (Liv. 2, 0. 3). Près de ces lieux où un pin élevé, un blanc peuplier se plaisent à marier leurs rameaux et leur ombre hospitalière, près de cette onde fugitive qui se presse et frémit dans le lit tortueux qui la gêne, ordonne qu'on apporte et des vins et des parfums et des roses, fleurs charmantes d'un jour, tandis que l'âge et le noir fuseau des trois sœurs te le permettent encore.» Mêmes conseils à Virgile dans cette ode où il l'invite à souper :

« Souviens-toi des sombres flammes du bûcher, et, tan» dis que tu le peux, mêle un peu la folie à la sagesse. »

Nigrorumque memor, dunc licet, ignium,

Misce tristitiam consiliis brevem.

En voilà, je crois, plus qu'il n'en faut, pour prouver l'épicuréisme d'Horace.

Son épicuréisme, il est vrai, a eu des intermittences; notre poète a eu des moments de vertu; il la prêche même aux autres; et ceux qui n'entendraient que le prédicateur,

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