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davantage. Les diverses littératures que, dans les siècles antérieurs, seuls quelques esprits d'élite avaient connues et fait connaître, se fécondent mutuellement grâce à l'abaissement des barrières politiques et à la propagation des connaissances communes. De nouvelles universités créent autant de nouveaux centres d'études. Des bibliothèques et des musées sont fondés un peu partout. Des expositions publiques de beaux-arts s'organisent et prennent un caractère international, puis cosmopolite. Les auteurs, jadis assez isolés et soutenus fréquemment par les Cours et les Mécènes, gagnent en nombre et s'émancipent au fur et à mesure que leur public s'accroît et, insatiable, fait une consommation toujours plus considérable de journaux, de revues, de romans, de livres d'école et de manuels, d'ouvrages scientifiques et d'œuvres d'art de toute espèce. La carrière d'homme de lettres et d'artiste devient une profession, et pour beaucoup d'entre eux un gagne-pain. Leur réputation et leur succès dépassent plus souvent les limites de leur région ou de leur pays. Les écrivains et les artistes, notamment ceux des pays où un noyau intellectuel manque, voyagent ou émigrent. Les artistes se groupent d'après les écoles, plutôt que d'après les nationalités.

A la suite de cette impulsion nouvelle donnée aux forces intellectuelles, des valeurs se créent, des us et coutumes s'établissent dans le domaine international, mais aussi des intérêts opposés prennent naissance. Des faits d'appropriation illicite se produisent dans les pays de même langue ou d'idiomes analogues. Les pays de langue différente se font des emprunts forcés; ils traduisent, sans autorisation et souvent en les adaptant à leur milieu et en les défigurant misérablement, les ouvrages qui leur plaisent; les peuples chez lesquels la littérature et les arts ont une éclosion pénible, vivent, sans se gêner, aux dépens de ceux dont la production est riche et prospère. En connexité avec les traductions non autorisées, la représentation des pièces dramatiques étrangères devient, vers le milieu du XIX® siècle, une affaire lucrative, tout comme l'exécution publique des œuvres musicales. Malheureusement, trop souvent, les impresarios sont peu soucieux de l'intégrité de l'œuvre dont ils s'emparent; ils portent ainsi un double préjudice, matériel et moral, à l'auteur et trompent le public d'une façon déloyale. Les intéressés, lésés par ces agissements, s'organisent et commencent comme, dans un domaine limitrophe, les inventeurs à solliciter un régime de sécurité et de garantie.

Ce régime tutélaire avance, toutefois, d'un pas embarrassé, non seulement parce que la contrefaçon, industrialisée dans plusieurs pays, sait paralyser les efforts les plus tenaces des défenseurs du droit d'auteur, mais aussi parce que la clarté dans les notions théoriques, l'examen des arguments contradictoires manque encore. C'est la science qui conduit dans la bonne voie l'esprit de justice et d'équité réveillé par

REC. LITT, — II

le choc des intérêts divergents, qui dévoile et désarme les préjugés et fait taire les préoccupations égoïstes ou, du moins, purement utilitaires. Aussi longtemps que l'étranger fut, par principe, dépouillé de tout droit et que la science n'eut pas combattu cette aversion ou cette méfiance innée des indigènes contre les gens du dehors, tenus soigneusement éloignés de toutes les corporations de métiers, le droit international resta une notion vide de sens. Il fallut supprimer d'abord le droit d'aubaine, puis sanctionner l'égalité des étrangers avec les nationaux en ce qui concerne les droits civils en général, avant de pouvoir songer à faire valoir le droit pour tous les travailleurs sans distinction, donc aussi pour les auteurs et les artistes, de jouir du fruit de leur travail. Une vive campagne scientifique, qui eut ses pionniers comme Pütter et Kant, dut être entreprise pour dégager ce principe de ses entraves. La science elle-même eut à s'affranchir du formalisme de la scolastique, de la tutelle du droit romain, et à construire le droit d'auteur, nouveau venu et impérieusement réclamé, sur une autre base, celle de la propriété immatérielle, pour pouvoir le classer dans le système du droit international privé. Les travaux juridiques éclairent le législateur, comme le prouvent les discussions parlementaires, parfois très approfondies au début, et les exposés des motifs des mesures débattues. Entre 1820 et 1830, on se rend déjà un compte exact du fait, illustré par quelques exemples, que les droits des étrangers peuvent être reconnus et protégés par des procédés différents1). En effet, ils peuvent l'être, soit par une prescription de la loi nationale, rattachée le plus souvent à la condition de la réciprocité, mais promulguée sans engagement bilatéral et dès lors sans garantie contre les velléités du législateur ou les surprises de la jurisprudence interprétative, soit par une convention particulière qui est signée entre deux pays et raffermit leurs rapports réciproques, soit enfin par des dispositions prises d'un commun accord entre plusieurs pays 2). Ces trois moyens ont été utilisés isolément et parallèlement, mais, en règle générale, ce n'est que lorsque le progrès des idées a provoqué la création ou la refonte de lois suffisamment compréhensives et libérales que leur action a pu être complétée par des instruments diplomatiques. Ce mouvement, d'abord hésitant et lent, s'accentue rapidement à partir de la seconde moitié du dernier siècle, pour aboutir à la création d'Unions qui lient tout un groupe de pays et élargissent définitivement les bases de la protection internationale du droit d'auteur. Les principaux faits qui marquent ce développement sont réunis ci-après dans un historique

1) Il ne s'agit ici que des étrangers non résidents. Les étrangers établis dans le pays et qui y publient leurs œuvres, ou même ceux qui, sans résider, font paraître leurs travaux dans un État, y sont presque toujours traités comme les natio

naux, soit personnellement, soit par l'entremise de leur éditeur.

2) Voir l'indication des dispositions de cette nature dans les notices insérées plus loin sous le nom de chaque pays.

auquel les considérations générales qui précèdent, servent de point d'appui.

Après une mesure rudimentaire prise en 1773 par la Saxe électorale pour exclure certaines contrefaçons de la foire des livres, tenue annuellement à Leipzig, et après une première tentative, restée infructueuse, de la République helvétique unitaire de faire adopter en 1799 une loi tutélaire applicable par réciprocité aux auteurs étrangers, la reconnaissance internationale de la propriété littéraire prend rang dans le droit public européen en premier lieu en Danemark où l'ordonnance du 7 mai 1828 prévoit la protection, sous condition de réciprocité, des œuvres littéraires dont les sujets d'États étrangers ont le droit d'édition. Mais c'est l'Allemagne qui a vu se conclure les premiers accords bilatéraux en la matière. Ce pays était divisé en États autonomes parlant la même langue, ce qui favorisait singulièrement les entreprises multiples des contrefacteurs. Déjà en 1815, le premier pacte de la Confédération germanique avait annoncé des mesures protectrices à concerter en commun; elles se firent attendre longtemps encore. Alors la Prusse, prenant l'initiative de ce mouvement, déclara, le 16 août 1827, vouloir entrer en relations avec les autres États allemands confédérés, pour stipuler l'assimilation réciproque de leurs auteurs aux nationaux, et elle conclut avec eux, sur cette base, les trente-deux premiers traités littéraires (1827 à 1829), puis elle proclama, en 1837, dans une première loi élaborée sous la direction de Savigny, le principe de la réciprocité, bien que sous la forme difficile à réaliser de l'équivalence matérielle des lois des pays respectifs. Sur ces entrefaites, la Diète germanique établit, en 1832 et plus spécialement à partir de 1837, par des actes législatifs, le premier régime interrégional en vue de faire jouir réciproquement les auteurs des divers États confédérés du traitement national; ces quelques dispositions comportaient pour ces États un minimum d'unification et réglaient les relations nationales comme si elles avaient été internationales.

De son côté, l'Autriche, en possession de la Lombardo-Vénétie, réussit à passer avec la Sardaigne, en mai 1840, le premier traité littéraire véritablement international, traité auquel adhérèrent, la même année, cinq autres États italiens. Deux mois plus tard, la France, désireuse de combattre la contrefaçon dans ses centres les plus actifs, introduisit dans un traité de commerce conclu avec les Pays-Bas une clause prévoyant l'élaboration d'un traité littéraire, lequel, toutefois, n'intervint que quinze ans plus tard. Puis en 1843 fut conclu le traité franco-sarde, le second par rang d'ancienneté.

La même année, l'éditeur allemand Tauchnitz se rendit en Angleterre où, en 1838, avait été votée une loi par laquelle le pouvoir royal était autorisé pour la première fois à protéger les étrangers en cas de réciprocité; en 1841, M. Tauchnitz avait fondé sa célèbre Col

lection of British Authors destinée à pourvoir le marché continental des trésors de la littérature anglo-américaine, et son voyage eut pour but de consolider son entreprise par des accords privés avec les auteurs ou avec ses confrères britanniques; ces accords préparèrent. selon l'heureuse expression de Longfellow, un silent international copyright. L'Allemagne et la Grande-Bretagne s'étaient ainsi assez rapprochées pour s'assurer mutuellement la propriété littéraire et, dans les années 1846 et 1847, la Grande-Bretagne conclut effectivement des traités avec six États allemands, en première ligne avec la Prusse (13 mai 1846).

Les actes se succèdent, dès lors, nombreux et de plus en plus développés. Le décret français si large du 28 mars 1852 permit à la France d'agir avec une autorité particulière auprès des autres Gouvernements; grâce à l'interdiction, sur son territoire, de toute contrefaçon des œuvres étrangères, sans aucune condition de réciprocité, ce décret resta longtemps le point culminant de la protection internationale. La France obtint pour ses auteurs le traitement national en Danemark (1858) et signa, dans les dix années qui suivirent la promulgation du décret, des traités avec vingt-trois pays dont quinze États allemands. Ce nombre s'accrut et monta à trente États allemands après que l'Empire français, disposé à racheter de nouveaux avantages en faveur des auteurs par des concessions économiques, eut fait adopter une nouvelle série de conventions littéraires liées à des traités de commerce; ces conventions, dont la première était conclue avec la Prusse (2 août 1862), furent suivies d'arrangements négociés avec ses voisins, l'Italie et la Suisse, lesquels s'entendirent à leur tour entre eux et avec l'Allemagne.

Une nouvelle étape fut franchie dans les années 1880 à 1885. L'Espagne, dont la loi de 1879 sur la propriété intellectuelle est une des plus avancées, substitua, en vertu de l'article 51 de celle-ci, de nouveaux traités très larges à ceux qu'elle avait dénoncés; d'autre part, l'Allemagne et la France en agirent de même entre elles et visà-vis de la Belgique, de l'Italie et de la Suisse, et la France conclut en outre deux nouveaux traités (Salvador, Suède).

Le 9 septembre 1886 eut lieu la signature de la Convention d'Union internationale, événement mémorable sur lequel nous reviendrons. L'époque qui le suivit a été caractérisée par la suppression d'un nombre assez considérable de traités entre pays unionistes (voir ci-après, p. XVI), par les négociations des États-Unis cherchant à assurer à leurs auteurs une protection internationale aussi étendue que possible en échange de celle prévue dans la loi du 3 mars 1891, par la forte tendance manifestée surtout de la part de l'Espagne, de la France et de l'Italie, de prendre pied dans l'Amérique latine, enfin par la conclusion de traités littéraires entre l'Italie, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, d'un côté, et l'Autriche-Hongrie, de l'autre côté, traités

destinés à tirer la monarchie des Habsbourg de son isolement en cette matière.

Le bilan de cette évolution législative et conventionnelle, qui prouve que la reconnaissance des droits des étrangers a fait, surtout dans la seconde partie du dernier siècle, des progrès notables, est le suivant:

I. Quatorze pays seulement ne protègent pas encore les auteurs étrangers, en voici l'énumération: Abyssinie, Afghanistan, Bulgarie, Chine, Congo, Corée, Libéria, Maroc, Oman, Perse, Russie, Serbie, Siam et Turquie; il est juste d'ajouter que la Russie, le Siam et la Turquie ont édicté des dispositions légales en faveur des auteurs indigènes.

II. Dans les autres nations, il existe des gradations au point de vue de la protection internationale; il y a d'abord les pays qui protègent uniquement ceux des étrangers dont la patrie a conclu avec eux des conventions sous une forme quelconque, à l'exclusion des étrangers non couverts par voie de traité; en voici la liste: Allemagne, Autriche, République Argentine, Brésil, Chili, Cuba, République Dominicaine, Équateur, Guatemala, Haiti, Honduras, Hongrie, Japon, Monténégro, Nicaragua, Paraguay, Pays-Bas, Pérou, Saint-Marin, Salvador, Tunisie, Uruguay, Vénézuéla.

III. Puis vient le groupe des pays qui ont adopté le principe de la réciprocité dite légale, diversement formulé, et qui comprend les États suivants: Bolivie, Colombie, Costa-Rica, Danemark, Espagne, États-Unis, Grande-Bretagne, Grèce, Italie, Mexique, Monaco, Norvège, Portugal, Roumanie, Suède et Suisse. Cependant, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Italie et dans les trois pays scandinaves la réciprocité n'intervient pas ipso jure, mais a besoin d'être sanctionnée formellement par unacte spécial.

IV. Une place à part doit être réservée aux pays qui protègent l'étranger sans traité et sans condition de réciprocité. Ainsi, en Égypte les droits des auteurs sont sauvegardés par la jurisprudence en vertu des principes du droit commun et de l'équité; la France possède son décret de 1852 qui interdit toute contrefaçon » sur son territoire; la Belgique traite les auteurs étrangers sur le même pied que les nationaux, pour tous les droits, y compris le droit de traduction, d'exécution, etc., sans leur accorder, toutefois, une durée de jouissance plus longue que celle prévue par la loi de leur pays d'origine; le Luxembourg enfin assimile les étrangers aux nationaux sans restriction aucune.

V. Abstraction faite des conventions qui lient plusieurs pays à la fois, il a été conclu 69 traités d'État à État (traités, traités supplémentaires, traités généraux, arrangements, proclamations, déclarations de réciprocité, etc.); dans dix-huit de ceux-ci, la France figure comme une des deux nations signataires, et dans quatorze, les États-Unis ont

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