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de lui appliquer le masque de l'enfant d'autrui. O histoire, voilà de tes cruautés !

Lorsqu'en juillet 1845, je quittai la Provence, après deux ans de séjour à Aix, emportant avec moi les matériaux des biographies de Finsonius, de Daret, de Levieux et des artistes de l'hôtel d'Aguilles, l'un de mes regrets fut de laisser là, sans les mettre dans mon sac avec leurs comprovinciaux, quatre habiles peintres, aussi dignes ou plus dignes même encore de gloire que la plupart de ceux que j'entreprenais de faire connaître : Faudran, Imbert, Laurent Fauchier et Michel Serre.

Sur ce gentilhomme marseillais dont parle Hilaire Pader dans le Songe énigmatique, Faudran, de la maison noble des Faudran de Lambese, je n'ai par malheur à vous répéter que ce qu'en a dit Achard dans l'Histoire des Hommes illustres de la Provence, d'après des mémoires de la famille de FaudranTaillades : « Il était né avant le milieu du dernier siècle et mourut vers l'an 1594. » (Achard veut écrire sans doute 1694. D'autre part, pour que le peintre-poëte de Toulouse le comptât si élogieusement dès 1658 parmi les illustres de son temps, il fallait que la réputation de Faudran fût déjà bien solide alors dans la Provence, et le faire naître plus tard que 1625 ne me semble guère acceptable.) « Son talent décidé pour la peinture l'engagea à s'y appliquer. On admire encore les ouvrages de ce noble artiste à Lambesc dans la chapelle de sa famille, à Marseille dans les églises des Pères de l'Oratoire et des Fères récollets. Le duc d'Orléans, régent du royaume, fit enlever un de ses tableaux qu'on trouvait chez les Grands Augustins, pour lui donner une place parmi les magnifiques peintures de la galerie du Palais-Royal. (Il n'est question de ce tableau de Faudran ni dans la Description des tableaux du Palais-Royal donnée en 1727 par Dubois de SaintGelais, ni dans la suite en trois volumes des estampes qui furent gravées vers 1786 sous la direction de Couché, d'après les peintures de cette collection fameuse.) On voit encore

dans l'église de Saint-Maximin un tableau de notre illustre peintre, et chez M. de Ramatuelle, à Aix, un sabbat ou assemblée de sorciers, qui est fort estimé des connaisseurs. » - Piganiol de la Force, dans sa description de la Provence, indique de lui dans la salle consulaire, à Marseille, sur la porte, l'Apothéose de la Ville de Marseille, par Defaudran, Marseillais, tableau d'une belle composition;... et à SaintMartin le tableau de la Sainte-Famille, par Défaudran. »

Bien que ne m'appuyant, je dois le dire, sur aucun point de comparaison, je n'ai jamais pu me défendre d'attribuer à Faudran deux beaux et énergiques tableaux représentant des martyres de saints, dont l'un se voit dans la cathédrale d'Aix, et l'autre dans l'église Sainte-Madeleine de la même ville. Ce sont deux compositions violentes et sombres, toutes deux d'un même pinceau, et que je donnerais au Calabrese, si je n'avais la foi qu'elles sont du Faudran. Celle qui se trouve à gauche, en entrant dans Saint-Sauveur par le portail, offre à son second plan, derrière la sainte martyre, un cavalier païen que l'on dirait certainement inspiré, pour la belle tournure de son dessin, par les frises du Parthénon, s'il faisait partie d'une composition contemporaine.

Quant à Imbert, j'ai mieux à offrir sur lui que mes souvenirs effacés. Réjouissez-vous, lecteur, voilà Mariette enfin, le vénéré Mariette, qui va entrer dans mon livre et y porter à droite, à gauche, sa belle lumière, sa sûre parole. Ceci mérite presque une petite préface à part, ou du moins une longue parenthèse bibliographique.

Le manuscrit inestimable auquel je vais emprunter la note qui suit sur Imbert, puis celle sur Michel Serre, va fournir à mon volume ses pages les plus sûres et les plus précieuses. Je veux parler de l'exemplaire de l'Abecedario pittorico du père Orlandi, que le fameux connaisseur P. J. Mariette avait fait interfolier, et qu'il avait chargé des remarques et des notices les plus justes, les plus curieuses, les plus nouvelles. C'est un trésor de lumières sur l'école française; c'est non

seulement la chronique de tous les artistes contemporains de Mariette, desquels ou de la famille desquels il tenait les renseignements les plus intimes sur eux-mêmes, c'est aussi, par la correspondance, souvent citée de son prédécesseur en expertise, le plus familier éditeur des graveurs d'Anne d'Autriche, François Langlois, dit Chiartres, et par les mémoires des descendants de tous nos grands artistes du dix-septième siècle, l'histoire la plus instructive, la plus exacte de l'école de Louis XIV. Que vous dirai-je encore? c'est le testament artistique, ce sont les mémoires d'outre-tombe du plus savant curieux du dix-huitième siècle; mémoires sans haine, mais équitables et scrupuleux jusqu'à la sévérité; confidences piquantes et parfois moqueuses, touchantes aussi parfois, car il a connu bien des misères d'artistes. Profondément pieux pour le souvenir et les traditions de son père, il redresse avec une plaisante inflexibilité les bévues ou les documents d'à peu près fournis par ceux de ses contemporains et amis qui se mêlaient d'écrire sur les arts et qui pour nous, aujourd'hui, sont les seules autorités, d'Argenville, Descamps, d'AndréBardon. Sa correspondance universelle lui attirait les renseignements et les avis de tous les connaisseurs d'Europe, et tous ces renseignements trouvaient place dans son abécédaire. Ce manuscrit de Mariette figura, après sa mort, dans le catalogue que Basan dressa des merveilleuses richesses de son cabinet; mais avec les autres manuscrits de Mariette il fut retiré de la vente, et il se trouve aujourd'hui au cabinet d'estampes de la Bibliothèque nationale. Mais cette source de renseignements dont la connaissance est désormais indispensable à qui s'occupe ou va s'occuper, à Paris ou en province, de l'histoire de nos arts, qui se chargera de sa publication? La société de l'histoire de France, la commission de nos documents nationaux, au ministère de l'Instruction publique, et l'Académie des Beaux-Arts, devraient s'en disputer l'honneur, bien que cette dernière ait déjà à donner au public les registres de l'ancienne Académie royale de Peinture,

Sculpture et Gravure, depuis 1648 jusqu'en 1792. L'entreprise de publication du Mariette serait bien ruineuse pour un particulier, car elle ne nécessiterait pas seulement une nouvelle édition de l'Abecedario d'Orlandi, mais aussi des annotations aux notes de Mariette. Quel beau livre l'Imprimerie nationale aurait à fournir aux recherches des érudits de toute l'Europe! Mais il est à craindre que la chose ne se fasse d'autre manière; et déjà chacun tire à soi sa part de butin légitime dans cette belle proie. Avant quelques années, l'Abecedario de Mariette sera publié complétement, jusqu'à la dernière virgule; mais c'est dans vingt ouvrages différents qu'il en faudra rechercher les notices éparses, et pour ma part, je compte bien n'y rien laisser de ce qui intéresse mes artistes de province; et si notre conscience en souffre, pour l'honneur de Mariette, de ce grand connaisseur, sacré pour nous tous, nous nous consolerons par cette pensée que la publication intégrale, et toujours possible, et toujours utile, de ses manuscrits, ne rendrait pas moins nécessaire la publication partielle que chacun de nous en fait aujourd'hui, dans l'intérêt de son étude spéciale.

<< Frère Joseph-Gabriel Imbert naquit à Marseille, en » mars 1666, et après avoir reçu dans sa patrie les premiers » éléments du dessin et de la peinture, il fut envoyé à Paris, » où, de l'école de Vandermeulen, dans laquelle il s'exerça >> pendant quelque temps, il passa dans celle de Le Brun, et » ne s'y fit pas regarder comme un de ses moindres disci» ples. M. le duc de Nevers ayant désiré avoir un peintre qui » lui fût attaché, Imbert lui fut donné par Le Brun, et il de» meura constamment auprès de ce seigneur, jusqu'au mo>>ment que, se sentant appelé à Dieu et voulant lui consacrer, » dans la retraite de la pénitence, le reste de ses jours, il >> prit la résolution de retourner dans sa patrie. Là, après » s'être suffisamment éprouvé, il demanda à être reçu frère >> chartreux, et il le fut dans la chartreuse de Villeneuve-lès» Avignon, où il fit sa profession et ses vœux le 29 septem

» bre 1703. Il croyait, en prenant l'habit religieux, faire pour >> toujours divorce avec la peinture, mais ses supérieurs en >> disposèrent autrement; ils ne lui permirent pas de quitter » le pinceau, et sentant, au contraire, combien il leur était >> avantageux de le tenir continuellement occupé, ils lui firent >> faire pour leurs maisons quantité d'ouvrages, dont les prin»cipaux sont à la Grande-Chartreuse et à celles de Ville>>> neuve et de Marseille. Un voyage qu'il fit à Rome, à la suite » de Dom Berger, son prieur, lui fit connaître les plus habiles >>> peintres qui fussent alors en Italie, et sa manière ne fit » que se bonnifier. Il revit la France, et ce fut alors qu'il fit » pour l'église de la chartreuse de Marseille ce grand tableau >> qui en occupe tout le fond du sanctuaire et qui représente » la mort de Jésus-Christ avec toutes les circonstances ef>> frayantes qui l'accompagnèrent. Ce fut son chef-d'œuvre. >>> Le frère Imbert joignait à ses heureux talents une poli» tesse, une pureté de mœurs et une exactitude à remplir les » devoirs les plus austères et les plus pénibles de son état, >> qui l'ont rendu respectable et qui en ont fait un saint. Il » mourut à Villeneuve, le 25 avril 1749, chargé d'années » (il avait quatre-vingt-trois ans) et le corps épuisé de péni>>tence. Étienne Parrocel, peintre d'histoire, et Manglard, >> peintre de marines, ont été ses principaux disciples. >>

Les deux notices, qu'avant et depuis Mariette, ont donné sur Imbert, Dandré-Bardon dans son Traité de Peinture, et Achard dans son Histoire des Hommes illustres de Provence, sont loin d'avoir les détails et l'intérêt de celle-ci; on trouve cependant dans la compilation d'Achard quelques mots que ne fournit point Mariette : « Imbert, y lit-on, né de parents honnêtes, à peine parvenu à l'âge de raison, se décida à suivre son penchant naturel, qui le portait à la peinture. Cette science fut dès lors l'unique objet de ses études et de son occupation. Ce fut à l'âge de trente-quatre ans qu'il entra dans l'ordre des chartreux en qualité de frère laïc. Son chef-d'œuvre, ajoute Achard, copiant presque textuellement le juge

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