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COMMERCE DES FRANÇAIS ÉTABLIS A L'ÉTRANGER.

Les Français établis à l'étranger devaient pour la plupart se livrer à la fois au commerce d'importation et d'exportation entre leur pays d'origine et leur pays d'adoption; il n'y aurait donc pas lieu de leur consacrer un chapitre distinct si leur séjour prolongé au sein d'une population étrangère n'en avait fait une classe à part. Cette classe qui étend les relations commerciales de la France en portant à l'étranger ses mœurs, sa langue, son influence, mérite que nous nous occupions de l'accueil qu'elle y recevait comme de celui que les étrangers trouvaient chez nous.

Quelques années après la mort de Henri IV, le nombre de nos compatriotes qui allaient chercher du travail à l'étranger était considérable, mais ils n'allaient pas y fonder des maisons de commerce, et c'était dans des emplois subalternes qu'ils y gagnaient leur vie2. Quant à ceux qui allaient s'établir au dehors pour faire le commerce, ils devaient être en petit nombre. L'attachement des Français au sol natal, l'hostilité qu'ils rencontraient dans les mœurs comme dans les lois de leurs voisins, ne sont pas les seules raisons qui nous portent à le croire. Nous savons par une lettre de La Boderie du 20 juin 1608 qu'il n'y avait à cette époque à Londres qu'un seul négociant français qui ne fût pas naturalisé 3. On comptait au contraire un assez grand nombre de négociants français en Espagne, aussi est-ce par eux que nous commencerons à nous occuper des représentants du commerce français à l'étranger.

Le traité de Vervins obligeait les rois de France et d'Espagne

1. Il pouvait se faire aussi, mais cela était moins fréquent, qu'ils fissent exclusivement le commerce des produits du pays avec ses habitants.

2. «... la pluspart de nos hommes sont contrains d'aller chercher ailleurs lieu d'employ et de travail, qui en Espagne, qui en Angleterre, qui en Allemagne, qui en Flandres. » Montchrestien, p. 35. Il est certain que l'auteur, préoccupé par la pensée de faire ressortir les dangers de notre situation économique, a exagéré cette émigration.

3. «Seulement suis-je empêché à trouver des marchands françois qui en veulent ou puissent prendre la charge [de conservateur du commerce] de notre côté; car il n'y en a qu'un seul ici qui ne soit point naturalisé, et encore assez pauvre homme pour competer avec ceux qu'ils nous donneront. Des naturalisés il y en a bien quelqu'un qui le pourroit faire, et qui le feroit fidelement, mais l'important est qu'il ne veut pas s'en charger et que je ne l'y puis contraindre. » Op. laud., III, 317.

à accueillir dans leurs royaumes leurs sujets respectifs. Henri IV se conforma à cette obligation en refusant de livrer à Élisabeth des Irlandais au service de l'Espagne que la tempête avait forcés d'aborder en France. Les Espagnols, au contraire, se montraient fort inhospitaliers pour les Français, nos négociants étaient fort maltraités en Espagne. L'Adelantado était le principal auteur de ces mauvais traitements. Le roi convoqua pour la fin de mai 1601 un conseil composé de l'amiral et des personnes les plus au fait du commerce et de la navigation, pour adopter des mesures de représailles. Le 3 août fut prononcée l'interdiction générale du commerce avec l'Espagne, à peine d'emprisonnement et de confiscation des marchandises 3. Le même jour, le roi ordonna au connétable de Montmorency de faire observer cette défense par ses sujets du Languedoc et de faire revenir en France ceux qui étaient établis dans les états de Philippe III. Aux avanies subies par nos nationaux se joignait un autre grief: la franchise du palais de l'ambassade française avait été violée par la justice espagnole. Les représailles exercées par le roi furent efficaces. Le roi d'Espagne fit publier dans tous ses ports une ordonnance pour assurer aux Français, conformément à la paix de Vervins, un bon accueil et un bon traitement, pourvu qu'ils ne transportassent pas de marchandises appartenant aux ennemis de l'Espagne. Henri IV fit notifier cette ordonnance aux marchands français trafiquant en Espagne. Ceux-ci avaient à souffrir de la malveillance intéressée des autorités locales non moins que de celle de l'Adelantado. Notre gouvernement obtint en 1606 que les causes de nos négociants seraient soustraites à leur juridiction et déférées au conseil. La même année une difficulté nouvelle menaçait de s'élever entre les deux couronnes. Le gouvernement de Philippe III avait interdit le commerce des Rochelois avec l'Espagne, en prétendant que ceux-ci y introduisaient des marchandises de Hollande, et que d'ailleurs c'étaient des sujets du roi si peu obéissants qu'ils ne méritaient pas son intérêt et sa protection".

1. Lettre de Henri IV à Élisabeth. 5 oct. 1599. Lettres miss., V, 168.

2. Lettre au connétable. 28 mai 1601. Lettres miss., V, 416.

3. Pierre de Lestoile, Registre-journal, 327. Collect. Michaud et Poujoulat. 4. Lettres miss., V, 446.

5. Ibid., 447.

6. Lettre du roi au connétable. 21 janv. 1602. Lettres miss., V, 534.

7. Lettre de M. de Puisieux à M. de la Boderie. 3 nov. 1606. Ambassades de La Boderie, I, 404.

Nos négociants établis en Angleterre avaient encore plus à se plaindre que ceux qui s'étaient fixés en Espagne. Ils avaient à faire à une population qui, non moins jalouse de l'étranger que les Espagnols, était bien plus en état de s'en passer parce qu'elle était plus laborieuse, et qu'animait contre nous le fanatisme religieux. Le traité d'alliance défensive signé à Blois le 29 avril 1572 entre Charles IX et Élisabeth avait accordé aux Anglais des avantages commerciaux dont les Français n'obtenaient pas la réciprocité en Angleterre. Les intérêts français avaient été complètement sacrifiés. A la vérité, ce traité ne régissait plus officiellement les relations commerciales des deux pays. Il avait cessé d'être en vigueur parce qu'il n'avait pas été renouvelé par le roi dans l'année de son avènement1. Cela est si vrai, que le but poursuivi par l'Angleterre dans ses négociations avec la France de 1599 à 1604 était le renouvellement de ce traité et que, par suite de son abrogation tacite, les Anglais furent de nouveau soumis au droit d'aubaine dont il les avait exemptés. Mais en fait les Anglais n'en jouissaient pas moins des avantages que le traité de Blois leur avait accordés et dont ils s'étaient hâtés de profiter : ils avaient établi des entrepôts pour leurs marchandises à Rouen, Caen, Dieppe, Bordeaux2; ils inondaient le marché français de leurs draps communs, dont les gens de la campagne ne pouvaient se passer, parce que l'industrie française ne leur en offrait pas d'aussi économiques, mais qui étaient souvent fort défectueux 3. La saisie de ces draps prononcée par arrêt du Conseil du 21 avril 1600, le règlement adopté par le Conseil à leur égard, la prohibition des étoffes de couleur unies donnèrent lieu entre les deux gouvernements à de longues négociations auxquelles mit fin le traité de commerce du 24 février 1606. Ce traité révoquait l'arrêt en question et soumettait

1. Sir Ralph Winwood's Memorials of affairs of State, 111. London, 1725. « ..... demeurera encore entre leurs successeurs pourveu que dans l'an apres que l'un desd. princes sera décédé, son successeur déclare par ambassadeur et ses lettres au survivant qu'il accepte les mêmes conditions et veut contracter la même confédération... mais si dedans l'an, etc.... » Dumont, Corps dipl., V, part. I, p. 212.

2. Un arrêt du parlement de Normandie du 5 octobre 1593 avait même accordé aux commerçants anglais établis à Caen les privilèges des bourgeois de cette ville, notamment l'exemption du droit de sortie pour les toiles, bougrans et canevas. Th. Le Fèvre, Op. laud., p. 190.

3. Lettre de Winwood à Cecill. 12 juin 1601. Winwood's Memorials, I, 334.

les contestations auxquelles la qualité des draps anglais pourrait donner lieu au jugement des commissaires des deux nations qui, sous le nom de conservateurs du commerce, devaient être établis dans les villes fréquentées par les commerçants anglais et français. Le même traité prépara la solution d'une question qui était un sujet de grief pour les Anglais et qui avait occupé une place importante dans les négociations: nous voulons parler des taxes que les villes servant d'entrepôts aux marchandises anglaises avaient mises sur ces marchandises et qui s'ajoutaient aux taxes prélevées par le fisc. Par exemple, les officiers municipaux de Rouen avaient doublé le droit d'octroi sur les draps anglais. Le commerce anglais avait été atteint par des taxes établies à Caen sur les creseaux (kerseys), le plomb, l'étain, la cire, les harengs, et par un droit d'entrée d'une couronne par tonneau sur les vaisseaux abordant en Normandie. Le traité, en confirmant les droits levés dans les deux royaumes au profit de l'État et en ordonnant que le tarif en serait affiché dans les lieux publics, mit les municipalités des villes que nous avons nommées en demeure de produire au Conseil les lettres en vertu desquelles elles levaient ces taxes, dont la perception devait être provisoirement continuée (art. 3 et 4). Enfin la situation des commerçants résidant dans les deux pays fut considérablement améliorée par l'abolition du droit d'aubaine. Ce vieux droit féodal et barbare s'exerçait d'une façon qui le rendait plus odieux encore; à la mort d'un marchand étranger, ses livres de commerce étaient fouillés, souvent dérobés, ses caisses, ses comptoirs dévalisés, on saisissait et on mettait sous séquestre les biens de ses associés et même de ses confrères, sous prétexte des relations d'affaires qu'ils avaient pu avoir avec le défunt, et ils ne pouvaient obtenir main-levée de la saisie qu'à prix d'argent. Le droit d'aubaine ne produisait qu'une somme insignifiante, que l'ambassadeur anglais Winwood estime à 200 couronnes par an et dont le roi faisait don au premier venu, mais il faisait perdre au roi bien davantage. Les marchands étrangers, exposés aux avanies que nous venons de décrire, se contentaient d'envoyer leurs facteurs et leurs commis, qui logeaient en garni, et n'apportaient que la quantité de marchandises dont ils espéraient pouvoir se défaire immédiatement.

1. Calendars of stale papers. Domestic series. Elizabeth, 1598-1603. P. 503. Voy. aussi p. 276. Jacques I, p. 229.

N'ayant plus à redouter le droit d'aubaine, les négociants étrangers n'auraient plus de raison pour ne pas venir s'établir en France avec leurs familles, y former des approvisionnements considérables et faire profiter notre pays de leur industrie1.

En 1603, la commission du commerce élabora et fit approuver par le Conseil un projet d'édit réglant la situation des marchands étrangers qui voudraient s'établir en France. D'après ce projet, ces marchands pouvaient, dans les trois mois postérieurs à la promulgation de l'édit, s'établir à Paris et dans d'autres villes désignées par le roi, pour faire le commerce en gros des matières premières, ainsi que des produits manufacturés en France, et des produits manufacturés à l'étranger qui n'avaient pas leurs congénères en France. Pour jouir de ce privilège, auquel s'ajoutait l'exemption du droit d'aubaine, ils devaient obtenir des lettres de naturalité, qui leur seraient accordées un an après qu'ils auraient fixé leur domicile dans l'une de ces villes et qu'ils y auraient apporté des marchandises pour une valeur de 2,000 écus au moins. Ils pouvaient même jouir dès la première année de l'exemption du droit d'aubaine et du droit de faire le commerce dans les conditions sus-énoncées en fournissant la preuve qu'ils possédaient un capital de 2,000 écus et en donnant caution de prendre à la fin de l'année des lettres de 'naturalité et de continuer leur commerce en France. Dix ans après la vérification des lettres de naturalité, ils devaient être, à condition de rester en France, absolument assimilés aux nationaux 2.

On voit que nous nous occupons presque autant de la condition des commerçants étrangers établis en France que de celle de nos commerçants établis à l'étranger. Ces deux questions sont inséparables. Le sort de nos nationaux à l'étranger devait se ressentir de l'accueil que les étrangers recevaient chez nous. L'inégalité dans le traitement fait aux uns et aux autres tendait à s'effacer, la réciprocité à s'établir. Nous étions moins inhospitaliers pour les Anglais, par exemple, que les Anglais ne l'étaient pour nous cela tenait à ce que notre gouvernement n'avait pas adopté aussi fermement, ne suivait pas avec autant de rigueur le système de la protection, mais il ne faut pas exagérer la liberté

1. Dépêche de Winwood à Cecill. 18 mars 1602. I, 399.

2. Comptes-rendus de la Commission publiés par M. Champollion Figeac dans les Documents historiques inédits tirés des collections mss. de la Biblioth. royale, IV, 25, 26, 60-62, 83.

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