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dont jouissait chez nous le commerce étranger. Nous venons de voir que ce commerce ne pouvait se faire qu'en gros1, dans certaines villes, toujours sous le coup de saisies provoquées par les corporations, que la perspective du droit d'aubaine l'obligeait à limiter ses approvisionnements et à les écouler rapidement, enfin qu'il avait à subir les exactions des gouverneurs et des municipalités. Il n'en est pas moins vrai que les négociants anglais qui avaient des établissements en France causaient, grâce à l'abondance et au bon marché de leurs marchandises, un préjudice considérable à notre industrie et à notre commerce.

Si nos compatriotes étaient peu tentés de fonder des établissements dans des pays civilisés, mais fort inhospitaliers pour leurs rivaux commerciaux, étaient-ils attirés davantage par ces pays nouvellement découverts, en grande partie inexplorés, dont les Portugais et les Espagnols avaient montré la route aux autres nations européennes? En abordant cette question, nous n'avons pas l'intention de faire l'histoire des essais de colonisation tentés sous le règne de Henri IV; nous n'avons à nous en occuper ici qu'au point de vue de leur influence sur le commerce extérieur de la France.

La rapidité avec laquelle les Hollandais avaient établi leur commerce dans l'archipel de la Sonde (Java, Moluques), la fondation de la compagnie hollandaise des Indes orientales (20 mars 1602) devaient inspirer à Henri IV l'idée d'appliquer à une tentative analogue les épargnes et l'activité du peuple qu'il avait pacifié et qui s'enrichissait sous ses yeux. Dès 1603 d'ailleurs son attention avait été attirée de ce côté par un ambassadeur de Perse qui était venu lui demander son appui pour chasser les Portugais des Indes orientales. Le roi avait refusé de s'associer

1. A l'époque où écrivait Montchrestien (1615), les négociants étrangers avaient cependant réussi à tourner cette défense et à vendre en détail et en boutiques. Seulement leurs boutiques n'étaient pas sur la rue. P. 43.

2. Le 17 juin 1600, le lieutenant général du bailliage de Rouen condamne à l'amende un marchand flamand pour avoir déchargé des balles de chanvre dans cette ville, sans la permission de l'échevinage. La sentence renouvelle la défense faite aux étrangers d'emmagasiner des marchandises sans cette permission, comme de les vendre à des étrangers n'ayant pas acquis droit de bourgeoisie et de les vendre au détail. Ces étrangers ne pourront vendre qu'à la halle. Collection Rondonneau, série chronol., à la date.

3. Sur l'origine et le rapide progrès de la colonisation hollandaise aux Indes orientales, voy. Beer, Op. laud., 2te Abth., p. 179-180.

à des actes d'hostilité contre l'Espagne avec laquelle il était en paix et avait conseillé à l'ambassadeur de s'adresser aux provinces de Hollande et de Zélande 2. L'année suivante, un homme qui avait fait plusieurs voyages aux Indes orientales et qui les connaissait bien 3, Gérard de Roy, s'associa plusieurs personnes, entre autres Antoine Godefroy, trésorier de France à Limoges, et demanda au roi d'autoriser la création d'une compagnie des Indes orientales. La société prenait à sa charge tous les frais de l'entreprise, elle demandait le monopole du commerce des Indes pendant quinze ans à partir de son premier voyage, elle demandait en outre que le roi lui assignât un port pour y équiper sa flotte et y faire entrer en franchise les marchandises qu'elle rapporterait de son premier voyage, qu'il mît à sa disposition deux canons par vaisseau et les munitions de guerre nécessaires, qu'il obtînt pour elle du prince Maurice la permission d'acheter ou de faire construire des vaisseaux dans les Provinces-Unies et d'en tirer des marins, enfin que la participation à l'entreprise n'entraînât pas dérogeance. L'association était ouverte pendant six mois après le retour de la première expédition à tous ceux qui voudraient y apporter une somme de 3,000 liv. au moins. Ces conditions furent homologuées le 1er juin 1604 par un arrêt du Conseil qui désigna le port de Brest. Le 29 juin, des lettres de commission de capitaine général de la flotte royale des Indes orientales furent délivrées à Gérard de Roy. Elles lui donnaient pouvoir de faire construire et d'équiper des vaisseaux, lui permettait de s'emparer de ceux qui attaqueraient les siens et de garder les quatre cinquièmes de la prise pour lui et ses associés et lui ordonnait de réunir le plus tôt possible ses vaisseaux à Brest pour faire voile aux Indes. Les choses n'allèrent pas au gré de l'impatience du roi. En 1609 la compagnie n'avait encore envoyé

1. On sait que depuis 1580 le Portugal et ses colonies faisaient partie de la monarchie espagnole.

2. Calendars of state papers. Colonial series. East Indies. China and Japan, n° 323.

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3. « la cognoissance particuliere que vous avez des ports et havres des Indes orientales pour les voyages par vous cy-devant faictz. » Bibl. nat., fonds Brienne, 319, f. 110.

4. Fonds Brienne, 319, f. 102. On trouve dans le même ms., f. 106, d'autres conditions peu différentes non homologuées ni datées. C'est évidemment un projet.

5. Brienne, 319, f. 110.

aucun vaisseau aux Indes. En revanche, une partie du capital fixé à 4 millions de couronnes était versé, quatre vaisseaux allaient mettre à la voile à Saint-Malo, la plus grande partie de la flotte était achetée, Simon Dansa devait être attaché à l'entreprise pour escorter les convois avec ses vaisseaux, auxquels on en ajouterait d'autres 1. Le président Jeannin, chargé de négocier une trêve entre l'Espagne et les Provinces-Unies, avait profité de son séjour aux Pays-Bas pour procurer à la compagnie des hommes et des vaisseaux, il se servait pour cela d'un certain Isaac le Maire, originaire de Tournay, dévoué à la France, avec lequel il avait des entrevues secrètes, il consultait le cosmographe d'Amsterdam Plancius. Un Hollandais, Peter Lintgens, s'occupait aussi de recruter des marins et des ouvriers dans son pays3. Ces préparatifs causaient aux Provinces-Unies un vif mécontentement. Leur agent, Aerssens, reçut l'ordre de protester contre l'établissement de la compagnie et contre les moyens employés pour la constituer, contre le rôle qu'on voulait donner au flamand Dansa, contre l'embauchage de marins hollandais. Cette protestation était accompagnée de paroles comminatoires : les Hollandais menaçaient d'aborder les vaisseaux français et de pendre tous les Flamands qu'ils y trouveraient. A la suite de cette énergique protestation, adressée en 1610, le silence se fait sur cette entreprise. Elle ne pouvait réussir qu'à la condition d'emprunter à la Hollande ou aux autres puissances maritimes les ressources qui manquaient à la France en hommes et en matériel; l'opposition de nos voisins fit échouer une tentative qui était déjà assez avancée pour faire espérer de bons résultats 5.

Non moins stérile fut l'autorisation donnée en 1608 par Henri IV au s de Lhopital de fonder au Cap par la conquête des établissements qu'il posséderait sous la souveraineté du roi.

Si la France trouvait la place déjà prise dans les Indes et l'archipel indien par les Portugais et les Hollandais, elle rencontrait dans les deux Amériques des colonies déjà arrivées à un

1. Calendars of state papers. Même série, n° 469.

2. Négociations du président Jeannin, collect. Petitot. xm, 277 et suiv. 3. Philippson, Heinrich IV u. Philipp III. 3 vol. in-8°. Berlin, Duncker, 1873. 2 Theil, p. 378.

4. Calendars of state papers. Même série, no 469, 473, 478.

5. Cf. Philippson, ubi supra, 377-378.

6. Ibid., 378.

REV. HISTOR. XVI. 1er FASC.

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assez grand développement pour affecter l'indépendance et dont l'Espagne, leur métropole, se réservait avec un soin jaloux le débouché et les produits. Les Français qui tombaient dans les mains des Espagnols et qui étaient soupçonnés de faire le commerce avec les colonies hispano-américaines étaient mis à mort ou envoyés aux galères. Il nous était impossible de fonder dans les pays occupés par les Espagnols des colonies, ni même des comptoirs, tant que nous ne disposions pas d'une marine militaire capable de protéger nos vaisseaux marchands.

C'est vers l'Amérique du nord, vers les pays qui font aujourd'hui partie des États-Unis qu'il faut tourner les yeux pour voir des efforts suivis et couronnés dans une certaine mesure de succès. Les entreprises de colonisation dans la Nouvelle-France, qui comprenait le Canada et l'Acadie, c'est-à-dire la NouvelleÉcosse, exercèrent une influence sérieuse sur notre commerce.

Au marquis de la Roche (1598) et à Chauvin (1599) succéda une compagnie formée par le commandeur de Chastes et où entrèrent les principaux négociants de Rouen et de la Rochelle. Le privilège de la traite des pelleteries lui fut accordé. Le commandeur de Chastes fit entreprendre par deux officiers de la marine royale, du Pont-Gravé et Champlain, un voyage d'exploration du cours du Saint-Laurent et des pays qu'il arrose. Ce voyage d'exploration révéla l'existence de richesses naturelles qui étaient propres à attirer les colons: pêcheries, bois de construction, prairies, mines de cuivre et de platine.

A la mort du commandeur de Chastes, qui eut lieu pendant ce voyage, Pierre du Guast, s' de Monts, gentilhomme saintongeois, devint le chef de la colonisation. Le roi le nomma son lieutenant général en Acadie du 40° au 46° degré. Sa commission portait qu'il rechercherait et exploiterait les mines d'or et d'argent et autres, dans le produit desquelles le roi se réservait le dixième1. Henri IV accorda à de Monts et à ses associés le monopole du commerce pendant dix ans. Les commis des traites foraines ayant saisi vingt-deux balles de castor expédiées par de Monts en France, le roi lui en donna main-levée et déclara que les marchandises provenant de la Nouvelle-France ne payeraient

1. On trouvera sa commission en date du 8 nov. 1603 dans Marc Lescarbot, Hist. de la Nouvelle France, 2o édit. 1612.

2. Lettres du roi adressantes aux amirautés du royaume. 18 décembre 1603. Ibid.

que les droits d'entrée dus par les marchandises du cru passant d'une province dans l'autre1.

Henri IV faisait respecter le monopole de la compagnie de la Nouvelle-France par les nations étrangères, comme le constate une lettre où il demande aux États généraux des Provinces-Unies d'interdire à leurs nationaux le trafic dans ce pays 2. Ce monopole était une des raisons qui empêchaient le parlement de Rouen d'enregistrer la commission de de Monts. Dans les lettres de jussion que le roi lui adressa le 17 janvier 1604, il représente au parlement que l'entreprise n'a pas le caractère d'un véritable monopole, puisqu'il est permis à tout le monde de s'y associer en entrant dans la compagnie3. L'établissement de Tadoussac était le centre principal de la traite des fourrures. De Monts en créa un second à Port-Royal (aujourd'hui Annapolis) où il transporta la colonie. En 1606 commença sérieusement l'exploitation agricole de cette colonie. De nouveaux voyages d'exploration mirent en évidence la fertilité du littoral depuis le 45° degré et demi de latitude jusqu'au 41°, et la colonisation semblait destinée à réussir, lorsque le conseil du roi, sur la requête des marchands de Saint-Malo, enleva à la compagnie son monopole au commencement de 1607. Celle-ci, qui déjà l'année précédente avait souffert de la concurrence des Basques et des Hollandais 5, se voyait privée par l'arrêt du conseil du moyen de relever ses affaires; il ne lui restait qu'à se dissoudre. Cependant, en présence des preuves fournies par de Monts sur la richesse et l'avenir de la colonie, le roi renouvela pour un an le privilège de la société et, encouragės par cette faveur, elle fit partir trois vaisseaux en mars 1608. Les colons qu'ils portaient sous la direction de Champdoré et de Champlain repeuplèrent Port-Royal et fondérent Québec (1608).

Champlain dirigea dès lors ses explorations dans le Canada proprement dit. En 1609 il occupa l'embouchure de la rivière des Iroquois, affluent du Saint-Laurent, et le lac Champlain. Il créa au saut Saint-Louis un nouveau comptoir et un nouvel éta

1. Lettres du roi à la cour des aides de Rouen, aux maîtres des ports, officiers de l'amirauté et des traites foraines de Normandie. 8 février 1605.

2. Lettres miss., VII, 465.

3. Ibid., VII, 897, 899.

4. Lescarbot, 592.

5. Lescarbot, 591.

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