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En obligeant par une déclaration de 1585 toutes les marchandises de Flandre, d'Angleterre, d'Allemagne à destination de l'Italie et du littoral méditerranéen de l'Espagne à passer par la douane de Lyon, Henri III fit perdre à la France la plus grande partie de ce transit: la Flandre et l'Angleterre créèrent alors pour leur commerce une navigation directe avec l'Italie. On n'avait pas encore eu l'idée d'établir, pour les marchandises qui n'entraient en France que pour être exportées, des entrepôts où elles auraient pu séjourner en franchise. Ce fut Colbert qui accorda le premier cette facilité au commerce de transit, mais les commerçants étrangers obtenaient déjà des passe-debout, c'est-à-dire une réduction des droits de douane pour les marchandises qui ne devaient pas être consommées en France. En 1606, des marchands milanais présentent requête au conseil pour faire passer debout des marchandises d'Espagne et d'Italie à destination de la Flandre et de l'Allemagne3.

La nature n'avait rien refusé à la France de ce qui est nécessaire au développement d'une marine marchande : habiles charpentiers de navire, fer, bois en abondance pour la construction', chanvre excellent et poix pour la voilure et le gréement5, population de pêcheurs nombreuse, ne se bornant pas à la pêche côtière, mais habituée à aller pêcher le hareng sur les côtes d'Écosse et d'Irlande, la morue et la baleine en Amérique.

Malgré ces ressources naturelles, notre marine marchande était inférieure à celles de l'Espagne, de l'Angleterre et de la Hollande. De ces trois marines marchandes, la première était en déclin, la seconde se relevait avec Élisabeth de la décadence où l'avaient laissée tomber Édouard VI et Marie Tudor, la troisième était à son apogée. Dans un mémoire présenté en 1603 à Jacques Ier, l'un des plus grands esprits du temps, sir Walter Ra

1. Forbonnais, Recherches et considérations sur les finances de France. 2 vol. in-4°. I, 70-71, 437.

2. Ibid., 370.

3. Arrêt du Conseil des finances du 21 mars 1606. Arch. nat. Collection des arrêts dudit Conseil à la date.

4. «Il se trouve des meilleurs charpentiers du monde pour bastir et construire des navires de toutes sortes ..... à Dieppe, Honnefleur et au Havre, et de fort bon bois pour cet effect aux forests prochaines avec tout ce qui y est necessaire d'ailleurs pour les equipper, appareiller et mettre hors.... » Th. Le Fèvre, Op. laud., 30.

5. Mémoire pour l'establissement du traffic, commerce et négoce de mer en France. Brienne, 319, f. 7.

leigh, compare la marine et le commerce de son pays à la marine et au commerce des Provinces-Unies. Il nous apprend que c'était la marine des Provinces-Unies qui transportait dans la Poméranie, la Pologne, le Danemark, la Norwège, la Suède, l'Allemagne et la Russie presque toutes les marchandises de la France, de l'Espagne, du Portugal, de la Turquie, de l'Italie et de l'Angleterre. Celle-ci n'envoyait annuellement dans les pays de la Baltique qu'une centaine de vaisseaux et son commerce ne se faisait presque qu'avec Elbing, Koenigsberg et Dantzig, tandis que les armateurs hollandais y envoyaient environ 3,000 vaisseaux et étaient en relation d'affaires avec toutes les villes de la Baltique. Le commerce hollandais était représenté dans tous les ports et toutes les villes de France, le commerce anglais dans cinq ou six seulement. Les Provinces-Unies possédaient autant de vaisseaux que onze États ensemble, y compris l'Angleterre, elles en construisaient un millier par an. Leur commerce avec la Russie, auquel vingt ans auparavant suffisaient deux vaisseaux, en occupait maintenant trente ou quarante et était encore en voie d'accroissement. Le commerce maritime des Anglais avec cet État, si actif pendant soixante-dix ans, était réduit en 1600 à quatre vaisseaux, à deux ou trois en 1602. Et cependant les Provinces-Unies manquaient de bois de construction et leur territoire ne fournissait que peu de fret. C'était au commerce de transport que leur marine devait son développement, et, si elle obtenait la préférence du commerce européen, c'est que son fret était plus économique, parce que l'équipage des vaisseaux hollandais était moins nombreux. Tandis qu'un navire anglais de cent tonneaux exigeait un équipage de trente hommes, il aurait suffi de huit marins hollandais pour le manœuvrer. La Hollande attirait aussi dans ses ports le fret étranger en le faisant jouir de la franchise d'entrée et de sortie. Cette infériorité du commerce maritime anglais, qui contredit l'opinion que l'on s'en fait généralement, est confirmée par d'autres documents: citons seulement un document anglais qui constate en 1598 la décadence manifeste

1. C'est, on le sait, la même raison qui assure aujourd'hui la supériorité de la marine marchande des États-Unis.

2. Mémoire cité et analysé par Lindsay, History of ancient commerce and merchant shipping. 1874, II, 162-164. Cf. Forbonnais, I, 425, sur le développement de la marine marchande des Provinces-Unies en 1669. Voy. aussi Beer, ubi supra, 186, 201.

des ports de Newcastle, de Hull, de Boston, de Lynn, de Southampton, de Pool, de Weymouth, de Bristol et de Chester1.

Comment expliquer que la France se laissât devancer dans le commerce des transports maritimes par la Hollande, l'Espagne et l'Angleterre?

Cette infériorité s'explique par plusieurs raisons petitesse des bâtiments qui ne résistaient pas à la mer, manque de marins, mauvais état des ports 3, défaut de colonies, inégalité de traitement de notre marine marchande et des marines marchandes étrangères, morcellement de l'autorité maritime par suite de l'existence des amirautés, absence d'une marine militaire capable de protéger notre marine marchande.

L'esprit d'initiative de Henri IV se manifesta à l'égard de la marine marchande comme de toutes les branches de la richesse publique. Dès 1599 il encourageait ses sujets à construire et à acheter des vaisseaux dans l'espoir de ravir à l'Angleterre et à la Hollande le commerce de transit avec l'Espagne, qui contribuait tant à la richesse de ces deux pays. Cette prétention risquait même de nous brouiller avec l'Angleterre. L'année suivante, il fit procéder à une visite des ports et dresser l'état des réparations dont ils avaient besoin. Nous avons dit ses efforts pour fonder des colonies, qui, outre qu'elles devaient assurer à notre commerce d'échange de nouveaux débouchés et de nouveaux articles, étaient destinées à créer à notre profit le monopole du commerce de transport entre elles et l'Europe. Dans ses Remontrances en forme d'édit, Barthélemy Laffemas propose de soumettre le commerce maritime à un règlement élaboré par d'anciens négociants de Bordeaux, de Rouen, de Narbonne et de Marseille et accordant des privilèges à la marine marchande nationale (art. x).

1. Calendars of state papers. Domestic series, Elizabeth, p. 2.

2. L'édit sur l'amirauté de mars 1584 avait encouragé la construction des navires de plus de 300 tonneaux. Art. LXXII. Pardessus, Recueil des lois maritimes, IV, 295.

3. C'est ainsi que notre infériorité dans le commerce maritime est expliquée dans des mémoires rédigés au commencement du règne de Louis XIII par des navigateurs ou des marchands, et analysés par Dareste, Hist. de l'administration, II, 250-251. Le manque de marins, signalé par ces mémoires, ne contredit pas absolument ce que nous avons dit du grand nombre de pêcheurs. 4. Calendars of state papers, p. 156.

5. C'est du moins ce que dit Forbonnais sans en produire la preuve (I, 39); nous avons vainement cherché ce devis de travaux qui aurait tant d'intérêt pour nous.

Ici la protection était justifiée par l'exemple de l'étranger. En mettant un droit d'ancrage sur les vaisseaux étrangers entrant dans les ports et havres du royaume, le roi ne faisait qu'user de réciprocité1.

La marine militaire et la marine marchande étaient placées sous l'autorité de l'amiral de France et des amiraux de Bretagne, de Guyenne et de Provence. Nomination du personnel, connaissance des causes relatives aux pêcheries et au commerce maritime, telles étaient les principales attributions de ces grands officiers. C'est dire que le commerce maritime de la France, comme sa puissance navale, étaient à leur discrétion. Henri IV n'enleva rien à leur autorité, il ne chercha même pas à établir l'unité parmi ces pouvoirs distincts. A la fin de son règne, on n'a pas d'autre simplification à signaler dans cette organisation que la réunion de l'amirauté de Bretagne à l'amirauté de France, qui comprenait déjà celle de Normandie et Picardie et se trouvait dans les mains du duc de Damville. L'amirauté de Guyenne et l'amirauté de Provence avaient encore une existence indépendante. M. de Châtillon avait la première, et la seconde était attachée au gouvernement de Provence, qui appartenait alors au duc de Guise 3.

Il y avait eu un temps où la France disposait d'une marine militaire respectable. François Ier et Henri II avaient entretenu de vingt-cinq à trente galères qui leur avaient permis d'entraîner Gênes dans leur alliance, d'intercepter les secours que CharlesQuint aurait voulu envoyer dans le Milanais et le royaume de Naples et de tenir en respect la Toscane et le souverain pontife. Mais les guerres religieuses amenèrent la ruine presque complète de notre marine. Toutefois cette ruine n'était pas encore accomplie en 1572. Nous lisons en effet dans la relation d'un ambassadeur vénitien antérieure à celle qui nous apprend cette décadence, qu'à cette époque la marine du Levant, c'est-à-dire de la Médi

1. Ce droit, qui provoqua l'opposition des parlements de Rouen et de Rennes, fut concédé au maréchal d'Ornano en paiement de ce que lui devait le roi. Arrêt du conseil des finances, 21 mars 1600. Arch. nat. Collect. des arrêts du dit conseil, à la date. Lettres miss., VI, 58.

2. Sauf des assurances, dont la connaissance avait été attribuée aux jugesconsuls.

3. Sir George Carew's Relation of the state of France under King Henry IV, dans Th. Birch, An historical view of the negotiations between the courts of England, France and Brussels, from 1592 to 1617. In-8°. London, 1749, p. 429.

4. Relation de Gussoni et Nani dans le recueil de Barozzi et Berchet, I, 458.

terranée, se composait de dix-huit galères et de dix-sept vaisseaux de 400 à 1500 tonneaux. Le déclin de la marine militaire ne fit que s'accroître sous Henri III, malgré les efforts de ce prince pour la relever. En 1594, le nombre des galères était si réduit, que les condamnations aux galères ne pouvaient être exécutées et que cette peine dut être commuée en celle du bannissement ?. Le roi se préoccupait dès lors d'équiper, de réparer celles qui lui restaient et d'en faire construire de nouvelles. Au commencement de 1595, il faisait demander pour leur entretien 150,000 écus aux États de Languedoc et la même somme aux États de Provence3. A la fin de cette année, il chargeait son ambassadeur à Constantinople, M. de Brèves, d'en obtenir du sultan dix ou douze avec leur chiourme, en attendant celles qu'il se proposait de faire construire et armer sous peu. Le duc de Retz, général des galères, reçut des pouvoirs pour recruter des forçats. Le roi demanda à l'assemblée des notables d'assigner un fonds spécial pour l'entretien des galères qu'il voulait avoir à Marseille 5. Le 4 février 1597, il annonce l'intention d'affecter une partie des recettes du budget de cette année à l'entretien de douze galères au moins. Il se mit en effet de suite à en faire construire, comme on l'apprend par une lettre du 8 juillet 15977. En 1600, à la suite d'une inspection de nos ports et de notre flotte, celle-ci fut réparée, quelques galères furent mises à flot. Il projetait d'en construire et d'en armer vingt pour le printemps de l'année suivante, et pour se procurer des chiourmes il songeait à acheter en Orient des esclaves, mais il craignait d'indisposer le Grand-Seigneur et ordonnait à son ambassadeur de le sonder à ce sujet 10. Mais il fut obligé de rabattre de ce projet, son ambition se rédui

1. Relazione di Alvise Contarini, dans les Relazioni degli ambasciatori veneti d'Alberi, série I, IV, 235.

2. Lettre de Henri IV au parlement de Normandie, 29 janv. 1594. Lettres miss., IV, 93.

3. Commission au s' de Maisse, 25 janvier 1595. Arch. nat. Arrêts du Conseil des finances à la date.

4. Lettre à M. de Brèves, 11 décembre 1595. Lettres miss., IV, 475, 600.

5. Lettre du 23 janv. 1597. Ibid., 675.

6. Ibid., 685.

7. Ibid., 805.

8. Forbonnais, I, 39.

9. Lettre de M. de Brèves, 10 juillet 1600. Lettres miss., V, 247.

10. Lettre à M. de Brèves, 31 oct. 1600. Lettres miss., loc. cit., 334. Ce projet se réalisa au moins dans une certaine mesure : il y avait en 1607 des Turcs sur les galères du roi. Ambassades de La Boderie, II, 360.

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