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ciliation de la Turquie avec l'Angleterre par le traité des Dardanelles (5 janvier 1809), qui rétablit les rapports entre ces deux puissances dans l'état où ils se trouvaient avant le commencement de la guerre.

La nouvelle de la conclusion de cette paix mécontenta les Russes au plus haut degré. Le 6 mars 1805, le prince Prosorowski fait savoir à la Porte que l'armistice ayant expiré, les hostilités recommenceront immédiatement si le résident anglais n'est pas expulsé de Constantinople et si le porteur de la note russe ne retourne pas dans les 24 heures avec une réponse favorable. La Porte se refusant d'exécuter les demandes de la Russie, la guerre recommence. La première mesure appliquée par les Turcs fut la prohibition du commerce russe, par laquelle ils portaient aux Russes un coup assez grave.

La campagne de l'année 1809 se passa en luttes sans importance; les Russes réussirent seulement à prendre Ismaïl et se retirèrent ensuite dans les principautés pour y passer l'hiver, pendant que les Turcs s'en retournaient à Andrinople. Dans le courant de l'année 1810, les Russes prirent encore quelques forteresses Turtucaï, Bazardjik et Silistrie. L'Angleterre, qui avait pris à la place de la France le rôle de médiatrice de la paix, se heurtait sans cesse contre une difficulté qui paraissait insurmontable, les prétentions de la Russie sur les principautés, prétentions qu'elle fondait surtout sur la circonstance que ces pays étant de religion grecque devaient appartenir bien plutôt à la Russie qu'à la Turquie; mais plus les Russes se montraient désireux de mettre la main sur les pays roumains, plus les Turcs s'opiniâtraient à ne pas renoncer à leur possession, de sorte que la guerre continua aussi dans le courant de l'année 1811 sans être conduite avec énergie ni d'un côté ni de l'autre.

C'était à l'année 1812 que le sort avait réservé de voir la fin de cette guerre qui traînait depuis plus de cinq ans, et ce fut toujours la France qui, après l'avoir provoquée, devait y mettre un terme. L'amitié de Napoléon pour la Russie ne dura pas longtemps; celle-ci refusant d'adhérer au système continental, Napoléon lui déclara la guerre et se mit en marche contre elle à la tête d'une armée de 500,000 hommes. On comprend très facilement que, dans une pareille circonstance, la Russie eût tout intérêt à conclure la paix avec la Turquie. Ce qui est plus

difficile à saisir, c'est comment la Turquie se décida à consentir à une paix par laquelle on la dépouillait de nouveau d'une partie de son territoire, quand elle aurait pu tirer un profit si avantageux de la guerre qui venait d'éclater entre la France et la Russie et forcer même celle-ci à lui céder quelque chose pour la conclusion de la paix ! Ce qui paraît avoir déterminé les Turcs à souscrire à des conditions aussi désavantageuses, c'est le manque de confiance que leur inspirait la France par suite de l'idée fausse qui les dominait qu'en politique, comme dans la vie habituelle, l'ennemi d'aujourd'hui doit être celui de demain et que l'intérêt ne saurait changer momentanément les rapports des peuples; idée honnête mais barbare, car elle donne un rôle au sentiment là où seul l'intérêt domine.

Puis il est à remarquer que la dépêche même par laquelle Napoléon annonce aux Turcs qu'il se met en marche contre la Russie avait été reçue par le dragoman de la Porte, Panaïote Morouzi, lequel, au lieu de la transmettre à son gouvernement, l'envoya à son frère Dimitri Morouzi, l'un des représentants de la Porte qui négociaient avec les Russes la paix de Bucharest, et ce dernier, qui était gagné par les Russes, « envoie immédiatement une estafette au divan de Constantinople par laquelle il lui fait savoir que si le traité n'est pas signé par le sultan dans l'espace de dix jours, Kutusow passera les Balkans avec son armée et ne s'arrêtera que sous les murs d'Andrinople pour y dicter une paix bien autrement onéreuse. Une pareille nouvelle, si terrifiante pour les Turcs, étant rapportée au sultan qui avait eu tant à souffrir de Kutusow et avant qu'il eût connaissance de la communication de Napoléon, il ne put faire autrement que de signer le traité et de l'expédier à ses plénipotentiaires qui le remirent aux Russes. Napoléon, étant informé de cette trahison, met la main sur la correspondance secrète des négociateurs turcs avec la Russie et l'envoie au sultan, et, pendant que le prince Dimitri célébrait la conclusion de la paix dans les principautés par les bals les plus brillants, on signait à Constantinople le firman de mort contre lui et contre ses frères, lequel fut exécuté peu de jours après 1. >>

1. Emmanuel Draghici. Histoire de la Moldavie. (En roumain; l'auteur était contemporain des événements.) II, p. 78.

La paix conclue à Bucharest le 28 mai 1812 contenait les conditions suivantes : Le Pruth, depuis son entrée en Moldavie jusqu'à son embouchure dans le Danube, formera désormais la limite des deux empires. Les habitants des principautés seront exemptés du tribut pour deux ans ainsi que des contributions pour toute la durée de la guerre et obtiendront les autres faveurs stipulées habituellement dans les traités entre les Russes et les Turcs. Les Serbes obtiennent aussi une amnistie complète et l'indépendance administrative.

IV.

Cette guerre avait été entreprise par les Russes pour sauver les pays roumains du joug et des vexations des Turcs; on pouvait donc s'attendre à un changement de régime pendant la durée de l'occupation russe (1806-1812), d'autant plus que les Russes voulant les incorporer définitivement à leur empire, il était naturel de leur présenter en perspective un autre genre de gouvernement que celui qu'ils avaient dû souffrir sous la domination des Turcs. C'est ce qui aurait dû être; nous verrons ce qui eut lieu.

L'un des maux les plus criants de la domination phanariote avait été l'abus que l'on commettait dans la distribution des boyaries, lesquelles, emportant exemption des contributions et droit aux fonctions, n'étaient pas seulement honorifiques. La Russie, au lieu de mettre fin à cet abus, trouvant que c'était un excellent moyen pour se faire des partisans, se mit à l'exploiter sur une échelle beaucoup plus étendue. La précieuse chronique contemporaine déjà citée dit à ce sujet : « Il n'était pas moins curieux de voir la manière dont on créait les boyards d'après un nouveau système, c'est-à-dire par des titres écrits, qui arrivèrent même à être vendus pour de l'argent, ce qui les dégrada tout à fait, car tous les misérables et les vauriens pouvaient en obtenir2. »

Un autre mal que la Russie aurait dû combattre de toutes ses forces, c'était la corruption des fonctionnaires, chose qui, il est

1. Titres de noblesse.

2. Chronique inédite de Zilote le Roumain.

vrai, ne devait pas lui être trop facile, vu la profonde corruption dans laquelle elle-même était plongée; d'où il suit que l'administration des principautés ne pouvait être qu'une copie fidèle de celle de la Russie. La même chronique raconte : « Et on commença à « pousser » de l'argent et à commettre toutes les turpitudes pour pouvoir arriver aux fonctions et aux faveurs; les petits boyards voyant que, pour y arriver, on n'avait nullement besoin de mérite mais seulement d'argent, imitaient l'exemple des grands, et, comme celui qui donnait davantage était le plus favorisé, on vit bientôt tous les mauvais sujets placés dans les emplois de l'État, dépouillant le pays à qui mieux mieux; les plaintes n'étaient reçues par personne, car tous étaient gagnés à la corruption. Loi, âme, Dieu et récompense étaient traités par eux de songes et mensonges. L'argent était la seule chose qu'ils adoraient, la seule idole à laquelle ils sacrifiaient1. » La même chronique ajoute que les Russes étaient les premiers à voler et à dépouiller le pays et cite comme exemple de leurs déprédations la lutte qui s'engagea entre deux boyards qui voulaient arriver au ministère le plus lucratif du pays, celui des finances : « Pour pouvoir lutter l'un contre l'autre ils avaient surtout besoin d'une bourse bien garnie. Voilà pourquoi ils s'efforçaient à l'envi de gagner de l'argent pour pouvoir en donner à ceux par l'influence desquels ils espéraient obtenir ce poste et suffire en même temps aux bals et autres cérémonies continuellement exigées par les commandants, les généraux et jusqu'aux plus petits officiers russes afin de gagner leurs bonnes grâces, et je puis dire que les Russes avaient si adroitement pris leurs mesures que tout ce que les boyards ravissaient au pauvre peuple était dépensé pour leurs

amusements. »

Ce tableau d'une horde de spoliateurs qui dansent et se repaissent aux dépens d'un peuple malheureux a quelque chose de révoltant. Au temps des Turcs, les fortunes ravies allaient enrichir au loin les familles des ravisseurs; maintenant elles étaient bues et mangées, jetées au vent au bruit des verres et des cris d'allégresse, en face du peuple spoliẻ.

Si nous ajoutons à ces faits la protection encore plus marquée

1. Chronique inédite.

2. Idem.

des religieux grecs, qui dépouillaient les couvents de leurs biens, protection d'autant plus naturelle que les Russes venaient au nom de l'église pour soustraire les malheureux chrétiens au joug des mahomėtans, — l'introduction dans les pays roumains d'une monnaie fausse imposée par les Russes comme paiement imaginaire pour leurs achats, et principalement les abus sans nombre commis par les armées russes, ce qui fait dire à notre chroniqueur que par où les armées russes passaient << la terre en gémissait», tout cela peut donner une idée affaiblie de l'état des pays roumains pendant l'occupation russe.

Les habitants des principautés, s'étant plaints d'abord au commandant général Kutusow, reçurent pour réponse « qu'il leur laisserait les yeux pour pleurer. » Voyant que les Russes ajoutaient l'insulte aux malheurs dont ils les accablaient, les Roumains se plaignirent directement à l'empereur Alexandre. On dit que celui-ci, apprenant leurs souffrances intolérables, se serait écrié dans un moment d'indignation : « De pareilles cruautés ne sauraient être tolérées », et il ordonna à Tschitschakoff, qui avait remplacé Kutusow dans le commandement, de prendre les mesures nécessaires pour combattre les désordres et les abus de toute sorte qui se commettaient. On peut juger, d'après les mesures que le commandant fut obligé de prendre, de ce que les pays avaient dû souffrir jusqu'alors, et ce n'est que le contraste entre un état désespéré et un autre quelque peu plus supportable qui explique les couleurs sous lesquelles le chroniqueur peint les réformes de Tschitschakoff: « Il supprima la demande des innombrables chariots qui tuait les bêtes, faisant transporter les objets nécessaires à l'armée par un service organisé; les déprédations même des employés du pays furent jusqu'à un certain point enrayées; les juges se corrigèrent et, en un mot, une sollicitude paternelle s'étendit sur le malheureux pays. »

Un pareil état de choses ne pouvait inspirer aux Roumains des sympathies pour leurs soi-disant libérateurs. Se rappelant aussi les souffrances endurées pendant les guerres précédentes, ils en vinrent à se convaincre que la domination russe n'était point destinée à répandre sur leurs pays le bonheur qu'ils attendaient. Quelle blessure bien autrement profonde dut leur causer l'enlèvement d'une portion si considérable de territoire ! Si la prise de la Bukovine, qui n'était qu'un lambeau en compa

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