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de la sévérité déployée par les autorités françaises contre les draps de mauvaise fabrication que l'Angleterre importait chez nous, des impôts nouveaux dont se plaignaient les commerçants anglais établis en France. A ces griefs il faut ajouter la lenteur avec laquelle Henri IV remboursait à Élisabeth les sommes que la reine lui avait prêtées dans les mauvais jours, le mécontentement causé à celle-ci par la paix de Vervins, ses prétentions sur Calais. Ses ressentiments l'empêchèrent peut-être de réprimer aussi efficacement qu'elle aurait pu les actes de piraterie de ses sujets; elle ne pouvait cependant éluder constamment les instances du roi. En 1598, l'équipage du navire la Diana, de Londres, fut poursuivi pour avoir pris des marchandises sur un bateau français. Élisabeth eût été d'ailleurs mieux disposée envers la France qu'elle n'aurait pas eu le pouvoir de supprimer complètement des habitudes de piraterie très fructueuses pour les particuliers et qui s'autorisaient de l'honneur et de l'intérêt national. Le grand-amiral, les premiers personnages de l'Angleterre, la reine elle-même étaient intéressés dans les prises maritimes. Le grand-amiral trafiquait ouvertement de passe-ports que les étrangers achetaient pour se mettre à l'abri des corsaires. anglais 3. Il poursuivait rigoureusement ceux contre lesquels nos commerçants portaient plainte, mais uniquement dans le but de s'approprier leurs biens par voie de confiscation, et il refusait de les faire servir à indemniser les victimes 1.

Le gouvernement anglais, de son côté, prétendait que la marine anglaise souffrait aussi de nos corsaires, qu'il y avait des Français sur les vaisseaux flamands armés en course à Dunkerque. Le grand-amiral, lord Howard, écrivait le 7 octobre

1. Calendars of state papers, p. 45.

2. Lettres miss., V, 266.

3. Prevost-Paradol, Elisabeth et Henri IV, p. 90, d'après le journal d'Hurault de Maisse. Voy. aussi Lettres miss., IX, 4.

4. Lettre de La Boderie à Villeroy, 23 sept. 1606. Lettre de La Boderie à Puisieux, 22 oct. 1606. Lettre de Puisieux à La Boderie, 3 nov. 1606. Ambassades de M. de La Boderie en Angleterre. 5 vol. in-12, 1750, aux dates indiquées.

5. Dépêche d'Henri Neville à Cecill, 28 déc. 1599, p. 141. Rien d'impossible à cela; en 1607, les armateurs de Dunkerque chercheront à attirer des pilotes et des matelots par de grands avantages, et Henri IV sera obligé de défendre aux pilotes et aux marins de son royaume de passer au service d'un prince étranger. Lettre de Puisieux à La Boderie, 13 mars 1607. Ambassades de La Boderie, II, à la date.

REV. HISTOR. XVI. 1er FASC.

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1594 à Thomas Edmonds, l'ambassadeur d'Angleterre, que la France avait donné aux Anglais des sujets de grief bien plus légitimes qu'elle n'en avait elle-même, que les prises faites par les Français s'élevaient dans les huit dernières années à 400,000 livres1. En 1599, Neville réclame satisfaction pour la prise d'un vaisseau anglais par les Marseillais 2.

Le 8 février de la même année, la reine publia une proclamation défendant aux capitaines qui avaient obtenu des lettres de marque contre l'Espagne de porter préjudice aux vaisseaux de France, d'Écosse et des autres pays en paix avec l'Angleterre. Le 3 janvier précédent, elle avait nommé une commission pour examiner les réclamations de la France3. De son côté le roi créa le 19 juillet de la même année une commission française pour connaître des actes de piraterie commis au préjudice des Anglais, et instruire de ceux dont les Français seraient victimes. Les jugements de cette commission devaient être sans appel. A la fin de 1601 fut constituée une commission internationale pour régler la réparation des actes de piraterie et établir entre les deux États la liberté du commerce et de la navigation. Composée du comte de Nottingham, de Robert Cecill, de John Fortescue, de John Popham, de John Herbert, de Jules-Cesar-Thomas Parry, de Daniel Dun, de Thomas Edmonds pour l'Angleterre, et pour la France de Jean de Thumery, sire de Boissise, et de Christophe de Harlay, comte de Beaumont, elle siégea sans préjudice des deux premières. Leur but était différent. La commission internationale avait à régler les rapports futurs de la France et de l'Angleterre; les deux autres connaissaient des prises dont les intéressés avaient à se plaindre. Les membres de la commission internationale se mirent d'accord conditionnellement sur les points suivants :

1. Les deux souverains garantissent respectivement à leurs sujets la liberté du commerce.

2. L'armateur, le capitaine ou l'écrivain fournira à l'amirauté deux cautions qui pourront être poursuivies lorsque le vaisseau aura été employé à la piraterie.

1. Th. Birch, Op. laud., p. 14.

2. Winwood's Memorials, p. 114.

3. Rymer's Fœdera, éd. orig., XVI, 364, 368. Dépêche de Neville à Cecill, 15 mai 1599.

4. Isambert, XV, 224. Winwood's Memorials, 125, 128, 141.

5. Des lettres de représailles pourront être accordées lorsqu'il n'aura pas été fait droit dans les trois mois à la réclamation du souverain ou de l'ambassadeur.

6. Les vaisseaux d'un État ne pourront pas saisir et arrêter les vaisseaux de l'autre, lorsque ceux-ci ont arboré leur pavillon; mais le transport d'armes dans un pays en guerre avec l'une des puissances contractantes est défendu, comme il est défendu d'abuser en général de la liberté du commerce au détriment de l'une de ces puissances.

7. Défense de saisir à l'avenir les vaisseaux de l'un des souverains ou de ses sujets, lorsqu'ils sont dans les ports de l'autre, ou leur cargaison, et de forcer l'équipage à vendre celle-ci, sinon à un prix équitable. Toutefois, chacun des souverains pourra, en cas de nécessité et moyennant une juste indemnité, s'approprier les vaisseaux des sujets de l'autre, ainsi que leur cargaison 1.

8. Les sujets de l'une des puissances contractantes qui tueront ou vendront comme esclaves les sujets de l'autre seront passibles des peines les plus rigoureuses.

9. Les lettres de marque concédées seront révoquées. Les parties qui les ont obtenues se pourvoiront devant les commissaires nommés par les deux parties contractantes. Si elles n'obtiennent pas justice dans les trois mois, elles pourront se faire délivrer de nouvelles lettres de marque. Ces lettres ne seront expédiées à l'avenir que sous le grand sceau.

10. Les navires mis en mer par l'ordre du souverain, ceux qui ont été appliqués au service de l'État et qui sont immatriculés, sont considérés comme navires de l'État, qui est responsable des dommages causés par eux.

11. La vente et le recel des prises faites sur mer seront défendus, à moins qu'ils n'aient lieu en vertu d'une sentence de l'amirauté. Il sera également défendu de donner asile et assistance aux pirates; on devra au contraire les arrêter et les faire passer en justice 2.

Ce projet de traité, rédigé en latin, est intitulé: Propositio

1. Cet article défend seulement l'abus d'une pratique consacrée par le droit international et dont il est question dans le Guidon de la mer sous le nom d'arrêt de prince. Pardessus, Recueil des lois maritimes, II, 407. On en trouvera plus loin un exemple, p. 37.

2. Winwood's Mem., I, 392-394.

nes ultimo loco inter dominos commissarios hinc inde agitatae. Le mot agitatae indique que ces articles donnaient encore lieu à discussion. En effet, l'accord des commissaires des deux nations sur ces articles était subordonné à l'acceptation d'autres points sur lesquels, après une discussion de plusieurs mois, l'entente ne s'était pas encore faite1. Les commissaires convinrent de suspendre leurs conférences pour attendre les instructions de leurs souverains sur ces points litigieux, et en 1602 ils dressèrent acte de cette résolution.

Cette négociation fut stérile et, si nous avons cru devoir faire connaître les points arrêtés conditionnellement entre les négociateurs, c'est qu'ils donnent l'idée du droit maritime de cette époque. L'un des deux commissaires français, M. de Boissise, reçut l'ordre (1602) de quitter sans éclat la conférence pour revenir en France. Élisabeth, qui n'avait renoncé qu'avec peine au droit de visite3, élevait de nouveau la prétention de l'exercer sur les vaisseaux français, pour s'assurer qu'ils ne transportaient pas d'armes. Elle prétendait en outre s'approprier les vaisseaux et les marchandises qui étaient dans les ports anglais en en payant la valeur droit qui est reconnu aux deux souverains par le projet de traité, mais contre lequel Henri IV protestait dans une lettre aux commissaires français 1.

Comme on le pense bien, Henri IV ne se bornait pas à réclamer justice pour ses sujets; quand il n'avait pu triompher de la force d'inertie, de la mauvaise volonté des gouvernements étrangers, il usait des moyens que le droit des gens alors en vigueur mettait à sa disposition. Au mois de juin 1601, il réunit un conseil extraordinaire pour délibérer sur les moyens de tirer raison des préjudices causés à notre commerce maritime par les Espagnols, les Flamands et les Anglais. En 1602 il autorise les habitants de Marseille à saisir les marchandises et les navires des Anglais qui se trouvent en Provence. Un arrêt du conseil du

1. ... in quibus [difficultatibus] eo usque processum est ut de quibusdam inter nos convenerit, dummodo de reliquis quoque conveniret, quod hactenus

nullo modo fieri potuit. » Ibid., p. 394.

2. Lettres miss., V, 752.

3. Th. Birch, Op. laud.

4. 6 mars 1602. Lettres miss., V, 752. 5. Groulart, Voyages en cour, 586-587. 6. Lettres miss., V, 629.

13 juillet 1604 accorde à un marchand rouennais des lettres de représailles contre les sujets de l'archiduc1. Le roi d'Espagne ayant décidé que tous les vaisseaux français, porteurs de marchandises des Indes occidentales qui n'avaient pas été achetées en Espagne ou en Portugal, seraient considérés comme de bonne prise, Henri IV fit réunir à Rouen en 1607, sous la présidence de l'amiral de France, une assemblée solennelle, composée des officiers des 27 sièges d'amirauté de Normandie et des principaux capitaines du temps, qui déclara que nous traiterions de même les vaisseaux espagnols trouvés au-delà de la ligne. Le lieutenant général de l'amirauté de Rouen procéda en même temps au recensement des navires étrangers amarrés dans les ports de Rouen, de Honfleur, du Havre et de Dieppe, en vue d'en faire l'arrêt et de les armer en course. Ces menaces de représailles firent respecter notre marine marchande, au moins pendant un temps, par la marine espagnole.

Du reste, le roi ne recourait à la course qu'à la dernière extrẻmité. Les Hollandais ayant pris un navire de Calais, le SaintGeorges, l'échevinage et les marchands de cette ville obtinrent du Conseil des lettres de marque et de représailles. Avant de faire expédier ces lettres aux impétrants, Henri ordonna à son ambassadeur, Buzanval, d'insister de nouveau auprès des États-Généraux pour obtenir restitution du navire et de sa cargaison 3. Le 24 septembre de la même année, il écrivait à Aerssens, résident des Provinces-Unies, pour solliciter son intervention en faveur de ses sujets lėsés par les Hollandais, avant d'accorder aux victimes des lettres de représailles'.

La mort d'Élisabeth, l'avènement de Jacques Ier (1603), permettaient de reprendre avec plus de chance de succès les négociations interrompues en 1602. Le nouveau roi, esprit étroit, passionné pour la théologie, était animé de dispositions pacifiques. Dans une lettre à M. de Brèves du 22 juin 1603, Henri IV exprimait l'espoir que l'avènement du premier des Stuarts mettrait un terme aux pirateries des Anglais. Il n'en donnait pas moins l'ordre aux négociants marseillais et bretons d'armer des vais

1. Arch. nat. Collection des arrêts du conseil des finances, à la date.

2. Th. Le Fèvre, Op. laud., 99-100, 182.

3. Lettre d'Henri IV à M. de Buzanval, 17 juillet 1606. Lettres miss., VI, 634-635.

4. Ibid., VII, 3.

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