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HARANGUE

Prononcée aux assises de l'année 1680.

Pour nous acquitter de l'obligation indispensable qui nous engage à parler ici du devoir des juges, nous avons considéré quel est en général le premier fondement de tous les devoirs de l'homme, afin de mieux connaître en particulier les règles essentielles de celui des juges, et nous trouvons ce premier fondement par une voie toute naturelle dans la nature mème de l'homme.

L'Écriture nous apprend que l'homme a été fait à l'image et à la ressemblance de Dieu, et c'est cette ressemblance qui est le premier fondement des devoirs de l'homme: car l'évangile nous enseigne que l'homme qui par sa nature ressemble à Dieu doit être parfait dans ses actions, comme Dieu qui est son modèle. Estote perfecti, sicut et pater vester cælestis perfectus est. Math. 5. 48. Ce qui ne signifie pas que la perfection de l'homme doive tre égale à celle de Dieu; mais ces paroles signifient que l'homme qui, dans sa nature, est fait à l'image de Dieu, doit perfectionner et accomplir cette ressemblance, en imitant dans ses actions celui à qui il ressemble par sa nature, et que cette imitation doit étre proportionnée à la ressemblance. C'est pourquoi saint Paul, qui est le premier interprète de l'évangile, a dit que nous devons imiter Dieu. Estote imitatores Dei. Eph. 5. 1. Et en effet, rien n'est plus juste et plus naturel que ce commandement d'imiter Dieu; rien n'est plus proportionné à la dignité de la ressemblance à Dieu, qui est le fond de notre nature.

Que si tous les hommes sont obligés à imiter Dieu, les juges, qui n'ont pas seulement cette ressemblance naturelle à la divinité comme tous les autres, mais qui sont encore élevés par l'ordre de Dieu à tenir sa place en terre sur les autres hommes, et qui, par cette dignité, sont eux-mêmes appelés des dieux, sont bien plus singulièrement obligés à imiter dans leur ministère celui dont ils sent entreprendre de tenir la place et porter le nom; et aussi la mème Écriture, qui nous apprend que les juges sont des dieux, nous enseigne encore qu'ils doivent si bien imiter Dien dans leurs jugemens, que c'est le jugement mème de Dieu qu'ils doivent rendre. Quod justum est judicate, qu'a Dei judicum est, Deut. 1. 16. 17., et en un autre endroit : Videte quid faciatis, non enim hominis exercetis judicium, sed domini. 2. Paral. 19. 6. De sorte que la première règle du devoir des juges est d'imiter tellement Dieu dans leur ministère, qu'ils rendent la justice autant qu'il se peut, comme Dieu la rendrait lui-même s'il voulait se rendre visible pour exercer en cette vie la fonction divine de juge.

Puisqu'il est donc très-certain et très-naturel que le devoir des juges est d'imiter Dieu, il est important de savoir de quelle manière nous pouvons imiter un modèle si parfait et si élevé audessus de nous, et nous trouvons encore dans le fond de notre nature en quoi cette imitation doit consister,

Tout le monde sait que la ressemblance de l'homme à Dieu consiste en sou entendement et à sa volonté; mais il est nécessaire de considérer l'origine et le principe de cette ressemblance pour mieux comprendre, par ce qu'il y a d'essentiel dans cette ressemblance de l'homme à Dieu, ce qu'il y a aussi d'essentiel dans l'imitation dont nous parlons, qui en est la suite.

L'Écriture, qui nous apprend que Dieu est le principe de toutes choses, nous apprend aussi que c'est lui-même qui en est la fin; il en est le principe par sa toute-puissance, qui n'est autre chose que sa volonté et sa parole. Omnia quæcumque voluit fecit. Dixit et facta sunt, Psal. 113. 11.; et il est aussi la fin de tous ses ouvrages: car étant lui-même la vérité, la justice, le souverain bien, et sa sagesse infinie ne pouvant agir qué pour la vérité, que pour la justice, que pour le bien, Psal. 148. 5., il est évident qu'il ne peut agir que pour soi-même, et c'est cette même sagesse qui nous l'apprend: Universa propter semetipsum operatus est Dominus. Prov. 16. 4.

Il s'ensuit de cette vérité que tous les ouvrages de Dieu étant faits pour lui, ils doivent avoir quelque rapport qui les approche de Dieu, qui est leur principe, et qui est leur fin, et c'est ce rapport à la grandeur et à la beauté de ce modèle divin, qui fait tout ce qu'il y a de grand et de beau dans les créatures. Ainsi, par exemple, nous voyons dans les créatures corporelles et inanimées, que la perfection et la beauté du soleil consiste au rapport qui s'y trouve à la divinité par sa lumière, par sa sa chaleur et par sa fécondité, parce que sa lumière est une ombre des lumières infinies de l'intelligence de Dieu, que son ardeur est une image du feu de l'amour divin, et que sa fécondité est un trait et une figure de la toute-puissance divine. Ainsi, tout le reste de l'univers n'a de beauté que par son rapport à ce premier être qui est la principale fin et le modèle de toutes choses. Ainsi, dans les créatures spirituelles, nous voyons que toute l'excellence de l'ange et de l'homme consiste aux dons qui sont plus singulièrement destinés pour les approcher de Dien, et les élever à sa ressemblance. C'est par cette raison que, comme la grandeur et la beatitude de Dien consistent à se connaître et s'aimer soi-même, la perfection naturelle de l'ange et de l'homme consiste en leur entendement et leur volonté, qui sont les dons qui les élèvent à cette ressemblance, qui les rendent capables de cette connaissance et de cet amour; d'où il s'ensuit que le devoir essentiel à la nature de l'homme est d'élever son entendement et

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sa volonté à la dignité de leur usage naturel, qui est d'imiter Dien par cette connaissance et par cet amour; et commie Dieu ne fait autre chose que se connaître et s'aimer soi-même, et connaître et aimer en soi la justice et la vérité, et tous ses autres attribats divins, le devoir général de l'homme est de remplir son. entendement et sa volonté de cette connaissance et de cet amour; et le devoir particulier des juges est d'imiter Dieu par une vue perpétuelle et un amour immuable de la vérité et de la justice dans toutes les fonctions de leur ministère. C'est cette vue et cet amour qui font l'essentiel du devoir des juges, parce que cette vérité et cette justice de Dieu est la loi éternelle et immuable, qui est la source de toutes les règles de la justice et de l'équité. Justitia tua, justitia in æternum, et lex tua veritas. Psal 118. 142. C'est cette loi dont le sage a dit, que sa lumière est incorruptible. Incorruptum legis lumen. C'est elle qui est la source de la sagesse, Fons supientiæ, Eccl. 1. 15., et c'est cette lumière de la loi et de la sagesse, qui doit être la lumière de l'esprit des juges et l'objet de l'amour de leur volonté. Diligite lumen sapientiæ qui præestis populis. Sap. 6. 23.

Ainsi, la première règle de l'imitation de Dien, où les juges sont obligés, c'est d'éclairer leur entendement de cette lumière incorruptible de la loi, et de ne tenir pour juste et pour équitable que ce qui porte le caractère divin de cette lumière. Erudimini qui judicatis terram Psal. 2.; et la seconde règle de cette imitation est d'aimer tellement cette loi divine de la justice, qu'ils en fassent leur règle inviolable dans toutes sortes d'occasions. Diligite justitiam qui judicatis terram. Sap. 1. 1. C'est en ces deux règles que consiste l'imitation de Dieu, où les juges doivent élever leur entendement et leur volonté par la vue et l'amour de la vérité, et ce sont aussi les deux principes de tous leurs devoirs.

Mais pour mieux connaître l'importance et la nécessité de cette imitation qui fait le devoir des juges, il faut remarquer qu'il y a une autre sorte d'une fausse imitation de la divinité, qui est la source corrompue de toute sorte d'injustice et d'iniquité, afin que la connaissance du mal serve à l'éviter et à mieux connaître et suivre le bien par l'opposition de son contraire.

Pour comprendre quelle est cette imitation criminelle, et ses effets, il est nécessaire de remarquer que l'homme ayant été fait à la ressemblance de Dieu et pour l'imiter, il lui est si natu rel d'imiter Dieu, qu'il est impossible qu'il ne l'imite; et soit qu'il se porte au bien ou au mal, c'est toujours en imitant la divinité, mais de deux manières bien différentes, et étrangement opposées; s'il se porte au bien, il imite Dieu qui ne peut agir que pour le bien; et si au contraire il se porte au mal, c'est

qu'au lieu de se proposer pour la fin le bien véritable, et de s'y élever et s'y arrêter, il s'arrète en soi-même, et n'y pouvant trouver son repos, il cherche d'autres objets qu'il puisse attirer à soi pour se rendre heureux, et ainsi il imite la divinité, se mettant à la place de Dieu lorsqu'il s'établit lui-même pour sa profin. Ce fut ainsi que Lucifer imita la divinité, lorsqu'il voulut se rendre semblable à Dieu, Ascendam super altitudinem nubium, similis ero Altissimo, Is. 14. 14; et cette funeste imitation fut encore le crime de l'homme: Eritis sicut Dii, Gén. 2.

pre

Ce sont ces deux sortes d'imitations de la divinité qui sont les deux sources de tous les biens et de tous les maux; et comme elles partagent tous les anges et tous les hommes, elles partagent aussi tous les juges.

Les bons juges sont ceux qui se tiennent fermes dans l'imitation véritable de la divinité, par la vue et par l'amour de la vérité et de la justice, et qui se conduisent dans toutes leurs fonctions en imitant Dieu dans toutes ses œuvres, qui sout la justice mème et la vérité. Opera manuum ejus veritas et judicium. Ps. 110. 7. Mais les mauvais juges sont ceux qui tombent dans cette imitation criminelle, de se mettre eux-mèmes à la place de Dieu, lorsque, s'arrêtant en eux-mêmes, ils se proposent quelqu'autre objet qui leur fait abandonner la justice et la vérité; et ce crime les engage encore dans une espèce d'idolatrie: car, comme la volonté de l'homme a été faite pour aimer le vrai bien et pour s'y plaire, et que c'est Dieu seul qui est le vrai bien et l'objet naturel de la volonté, il s'ensuit que l'objet, que nous mettons à cette place pour être l'objet de l'amour qui domine en nous, nous tient lieu de divinité; et c'est par cette raison que l'Écriture nous apprend que le principe de l'idolâtrie est l'attrait que les hommes trouvent dans les créatures, selon cette parole du Quorum si specie delectati, Deos putaverunt. Sap. 13. 3.

sage:

Il serait maintenant facile de faire voir en détail que ce sont ces deux sortes d'imitations qui distinguent toute la conduite des bons et des méchans juges; mais, pour abréger, il suffira de proposer seulement en peu de paroles le caractère de l'imitation qui fait les bons juges, et le caractère opposé de l'imitation des méchans juges; et nous laisserons à chacun de juger sincèrement de son caractère, et de prendre soin de s'appliquer en particulier ces vérités générales, qui font assez voir quel est en chaque occasion le devoir des juges.

Le caractère d'un bon juge est d'imiter Dieu dans son entendement par une vue perpétuelle des vérités et des règles de la justice dans toutes les fonctions de son ministère, et d'ajouter aux principes généraux de la justice l'étude et la connaissance particulière des lois humaines qui en sont les suites, afin d'éclairer son entendement de toutes les lumières nécessaires pour l'intelli

gence de tous ces devoirs; ce sont ces règles qui sont l'objet de son étude et le principe de sa conduite. Testimonia tua meditatio mea est, et consilium meum justificationes tuæ. Psal. 118. 24. Le caractère d'un bon juge est d'imiter Dieu dans sa volonté, par un zèle et un amour ardent de la vérité et de la justice; c'est l'amour de cet objet divin qui fait qu'il le regarde comme sa fin unique, et qu'il y trouve ce plaisir qui est inséparable de l'objet dominant de la volonté; c'est ce plaisir qui donne à l'amour toute la force qui le fait agir; cette force souveraine que rien ne peut vaincre, non plus que la mort: Fortis est ut mors dilectio, Cant. 8. 6.; et c'est le plaisir qu'un bon juge trouve dans la vérité et dans la justice, qui est le principe de toute sa force, selon cette parole d'Esdras: Gaudium Domini est fortitudo nostra, 2. Esd. 8. 10., et cette autre parole du sage, Dilectio, custodia legum. Sap. 6. 19.

C'est cet amour de la vérité et de la justice qui élève le cœur du juge à s'unir et s'attacher à cet objet par une union si ferme, qu'elle le rend participant de l'immutabilité et de l'indépendance qui sont le propre de la vérité et de la justice; et il en prend le parti dans toute sorte d'occasions, grandes et légères, faciles et difficiles, avec une vigueur qui lui fait briser les efforts de l'iniquité: Virtute irrumpunt iniquitates, Eccle. 7. 6.; avec une force qui délivre les oppressés des entreprises du violent: Conterebam molas iniqui, et de dentibus illius auferebam prædam, Joh. 29. 17.; avec une fermeté que nulle crainte et nulle espérance ne peuvent ébranler, parce qu'il n'aime, ne craint et n'espère que celui qui est la justice et la vérité: Nihil trepidabit et non pavebit, quoniam ipse est spes ejus, Eccl. 34. 16. Et enfin le sage nous apprend que cet amour lui fera garder inviolablement toutes les lois qui sont ses règies, que gardant ces règles il s'élevera à une intégrité qui le mettra au-dessus de tout ce qui pourrait le corrompre et l'affaiblir, et que dans cet état il sera auprès de Dieu même dont il tient la place: Dilectio, custodia legum illius est, custoditio autem legum consummatio incorruptionis est, incorruptio autem facit esse proximum Deo. Sap. 6. 19. Ce Juge dans cet état sera bien éloigné de rien donner ni à la faveur, ni aux amis, ni aux présens, ni à l'intérêt, ni à toute autre considération; car quelle faveur pourrait engager dans l'injustice celui qui regarde l'iniquité comme le plus grand monstre de la nature, qui tend à détruire son souverain bien; quels amis pourraient attirer hors de son devoir celui qui n'aime autre chose que la justice et la vérité, et qui ne peut ne pas haïr ce qui l'en détourne; quels présens peuvent corrompre, et quel intérêt peut aveugler celui qui est éclairé de la lumière incorrup tible de la loi, et qui fait son trésor des richesses du souverain bien de la vérité et de la justice, et qui, étant auprès de Dieu,

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