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regarde toute la grandeur et toute la beauté des créatures comme une ombre et comme un néant à l'égard de cette beanté divine de la vérité et de la justice; car c'est cette justice que Salomon appelle un trésor infini, thesaurus infinitus, Sap. 7. 14.; et ce prince le plus éclairé de tous les juges, la propose aux rois et aux juges comme un trésor que les rois doivent préférer à leurs royaumes, et les juges à toute leur autorité, à toutes les grandeurs et à toutes les richesses de l'univers, et il en jugeait ainsi, autant par sa propre expérience que par sa sagesse : Præposui illam regnis et sedibis, et divitias nihil esse duxi in comparatione illius, nec comparavi illi lapidem pretiosum : quoniam omne aurum in comparatione illius arena est exigua, et tanquam lutum æstimabitur argentum in conspectu illius. Sap. 7. 8.

On voit assez, par ce caractère d'un bon juge, quels sont ces devoirs, et la manière dont il s'en acquitte, et il est facile de juger quel est le caractère opposé des mauvais juges.

Ce caractère d'un mauvaisjuge est de n'avoir pas pour son principe perpétuel la vue et l'amonr de la vérité et de la justice, c'est d'imiter malheureusement la divinité, en s'établissant soimème pour sa propre fin, et se laissant vaincre et dominer à d'autres objets qui peuvent lui plaire plus que la justice, et qui l'en détournent. Ce sont les differentes impressions de ces objets qui forment dans son esprit autant d'erreurs qui lui tiennent lieu de règles proportionnées à l'égarement de ses désirs.

Ainsi, les mauvais juges sont différemment corrompus selon la diversité des objets qui les éloignent de la vérité et de la justice. Quelques-uns l'ont tellement abandonnée qu'ils n'en ont pas la moindre vue ni le moindre amour, et aimant toute autre chose plus que la justice, ils sont toujours également prêts à l'injustice pour un léger intérêt, pour une vengeance, pour un présent, pour une recommandation et pour une infinité d'autres engagemens qui les attirent selon les différentes faiblesses de leurs passions.

D'autres ont une conduite mêlée d'un amour apparent de la justice, et d'un amour effectif de leur intérêt et de leurs autres passions, et ceux-là font le plus grand nombre : ils paraissent quelquefois et souvent même aimer la justice, parce qu'ils ne manquent pas d'en regarder les règles, lorsqu'elles n'ont rien de contraire à leurs autres vues; et surtout ils font éclater l'apparence de cet amour de la justice lorsqu'ils peuvent joindre son parti avec leur honneur et leur intérêt; mais lorsque la conjoncture est telle qu'il faut choisir et se déclarer ou pour la justice ou pour l'intérêt, l'amour dominant découvre et met en évidence le fond du cœur qui n'aimait effectivement que soi-même et son intérét, et fait bien voir qu'il aimait dans la justice, non la justice, mais les avantages qu'il y rencontrait.

Ainsi, par exemple, ou voit le même juge qui paraît allumer son zéle contre le crime lorsque l'honneur, l'intérêt, la recommandation ou d'autres vues l'engagent à la recherche et à la punition du criminel, et qui demeure dans le repos et dans le silence, si rien ne l'excite que la justice et le bien public.

Il serait facile de rapporter d'autres exemples des égaremens et des illusious des mauvais juges, qui se tournent différemment à la justice ou à l'injustice, selon les différentes impressions dont ils se trouvent prévenus; mais il faut finir, et il suffit d'avoir proposé le caractère qui renferme les qualités nécessaires pour faire un bon juge, et le caractère opposé des mauvais juges, pour faire voir à chacun quel il est et quel il doit être. Le bon Juge est celui qui sait les règles de sa profession, et qui a le cœur tellement animé de l'amour, de la justice que jamais il ne l'abandoune; et le mauvais juge est celui qui, soit qu'il sache ou qu'il ignore sa profession, n'a que les apparences de cet amour, qui disparaissent par les impressions contraires de l'amour des autres objets qu'il préfere à la vérité et à la justice.

Ces deux idées renferment en abrégé toute la conduite des bous et des mauvais juges, et chacun peut reconnaître s'il est de ccs bons juges qui considèrent leur ministère comme une fonction divine, et qui ne l'ont pas profané par leurs injustices; ou s'il a mérité d'être mis au nombre des mauvais juges, que le juge souverain exterminera par ces paroles: Discedite à me omnes operarii iniquitatis. Luc. 17. 27.

HARANGUE

'Prononcée aux assises de l'année 1682.

L'engagement où nous nous trouvons à parler ici du devoir des juges, et la nécessité de nous réduire à peu de paroles dans une matière si vaste et si importante, nous obligent à nous restreindre à la première de leurs règles, et qui est le fondement de toutes les autres.

Tous les devoirs de tous les hommes sont renfermés dans une loi d'où dépendent toutes les autres, et cette loi n'est autre chose que la règle qui prescrit à l'homme ce qu'il doit aimer, et la manière dont il doit aimer; et la même vérité qui nous enseigne que c'est cette loi de l'amour qui fait la justice de tous les hommes, et que toutes les lois ne sont que des suites de cette première, nous apprend aussi que c'est un amour qui fait la justice de tous les juges, et que c'est l'amour mème de la justice: Diligite justitiam qui judicatis terran. Sap, 1. 1. C'est cet amour qui est le caractère du juge souverain des hommes, et il est remarqué que sa qualité de juge est un effet de son amour pour la justice,

et de sa haine contre l'injustice, Sedes tua Deus in sæculum sæculi: dilexisti justitiam et odisti iniquitatem: propterea unxit te Deus, Ps. 44 8.; et toutes les lois du devoir des juges sont tellement des dépendances de cet amour, que Salomon, demandant à Dieu les qualités nécessaires pour juger son peuple, ne lui demanda que la bonne disposition du cœur: Dabis ergo servo tuo cor docile, ut populum tuum judicare possit, 3. Reg. 3. 9.; parce qu'il savait qu'il ne pouvait rendre la justice s'il ne l'aimait, et n'avait un cœur flexible à tous les mouvemens de l'amour de la justice, et que cet amour était un principe universel qui le conduirait dans tout le détail de tous ses devoirs.

C'est donc une vérité divine, et la loi générale de tous les juges, que pour rendre la justice ils doivent l'aimer, et que c'est l'amour de la justice qui doit être le principe de leur conduite; et c'est par conséquent une vérité divine aussi, que, sans cet amour, les juges les plus éclairés et les plus habiles sont indignes de tenir ce rang, et que leur science n'est qu'une lumière froide, languissante et inutile, si elle n'est animée d'un amour actif, qui les applique à tous leurs devoirs.

Il n'y a donc rien de plus important que de bien connaître et bien observer cette loi si courte et si essentielle du devoir des juges, d'aimer la justice; et pour comprendre cette loi dans toute sa force et son étendue, il faut la considérer sur ses fondemens, qui sont les mêmes que ceux que la loi générale qui commande l'amour aux hommes, et c'est aussi le même esprit qui fait la force et la justice de l'une et l'autre.

Nous ne pouvons nous instruire des fondemens et de l'esprit de ces deux lois, qui règlent en général l'amour qui fait la justice de tous les hommes, et celui qui fait la justice de tous les juges, par une voie plus sûre et plus naturelle, qu'en considérant cette loi divine de l'amour dans le fond de la nature que nous a donné celui qui nous a fait ce commandement, et dans l'ordre de la société qu'il a mis entre les hommes: car nons verrons dans notre nature et dans notre société, que Dieu nous a formés pour l'exercice de cette loi, et cette vue nous découvrira le caractère général de la justice de tous les hommes, et le caractère propre de celle de juges, et nous fera voir en même temps que c'est l'amour de la justice qui est le principe unique par lequel les juges doivent exercer toutes les fonctions de leur ministère, et qu'ils ne peuvent s'en acquitter que par cet amour; de sorte que nous ne pouvons nous dispenser de considérer la manière dont Dieu a formé la nature de l'homme et l'ordre de la société, pour y découvrir les fondemens et l'esprit de cette loi de l'amour qui en est la règle.

Personne n'ignore que Dieu a composé l'homme d'une ame et d'un corps, qu'il a mis dans cette ame deux puissances, un en

tendement propre pour connaître, et une volonté propre pour aimer; c'est-à-dire, pour porter l'homme à un objet qui l'attire par son amour, qui est le poids qui le fait mouvoir, et le ressort qui le fait agir; et il a composé son corps de sens et de membres propres aux mouvemens et aux fonctions différentes que la raison et la volonté peuvent demander.

Il a fait cette ame immortelle et spirituelle, et il lui a donné cet entendement et cette volonté pour connaître et pour aimer un principal et premier objet immortel et spirituel, et c'est luimême qui est cet objet qui doit être le souverain bien de l'esprit et du cœur de l'homme, et qui doit faire sa félicité; et pour lui faire mériter ce souverain bien, il a lié cette ame à un corps, matériel et corruptible, et il lui a donné une vie dans ce corps pour laquelle il a rendu nécessaire tout cet univers, et pour cette vie et pour l'usage de l'univers : il a rendu les hommes si nécessaires les uns aux autres, et les a tellement assujettis et liés entre eux, qu'ils ne peuvent ni naître, ni vivre, ni user de rien que par autant de liens et d'engagemens qui les unissent, et les font dépendre les uns des autres; et c'est par ces engagemens et par ces liens que, comme il a destiné les hommes pour s'unir à lui, il les a formés pour s'unir entre eux, et il a fait dépendre leur dernière union du souverain bien qui doit faire leur félicité, du bon usage de cette première union qu'il forme entre eux pendant cette vie, et qui doit faire leur société.

Il suffit d'ouvrir les yeux et de regarder l'homme et sa situa tion dans l'univers, pour voir en lui et autour de lui tous les différens liens qui engagent les hommes à l'amour du souverain bien et à l'amour mutuel entre eux, et qui forment cette société si naturelle et si universelle, qu'elle assemble de l'un à l'autre tout le genre humain; et sans entrer dans les vérités propres à la religion sur cette matière, il suffit pour notre dessein de considérer dans la nature les liaisons que Dieu a mises entre les hommes pour composer leur société, et en former l'ordre.

L'enchaînement de ces liaisons commence par un premier lien que Dieu a mis dans l'homme même par l'alliance de l'ame et du corps.

Ce premier lien qui unit l'esprit au corps, et qui fait la vie de l'homme, tient à un second qui lie à l'homme tout le reste des créatures nécessaires pour ses besoins, et ce second lien consiste au rapport et aux proportions de nos sens et de nos membres à l'usage de toutes choses.

Ce même lien d'esprit au corps fait encore un autre lien des esprits entre eux, et c'est,par l'usage des sens que les esprits et les cœurs se communiquent mutuellement, et tout ce qui se passe parmi les hommes fait un enchaînement d'autant de différens liens qu'il y a de diverses manières qui assemblent les hommes et qui les unissent.

Le lien du mariage unit les deux sexes la naissance qui en est une suite; en fait une autre qui lie les ascendans aux descendans, et qui s'étend aux parens et aux alliances, et la nature fait une liaison universelle entre tous les honimes, qui les engage les uns aux autres, selon que l'ordre de la Providcuce les approche et les lie ensemble pour les divers usages qu'elle leur a rendus nécessaires pour les unir; et c'est pour cette union que Dieu a ajouté aux principes naturels de l'amour mutuel qu'il commande aux hommes les autres liens que forme dans leur société la multitude de tous leurs besoins, qui leur rend nécessaire la communication mutuelle de leur industrie et de leurs travaux, dans l'agriculture, dans les arts, dans le commerce, et dans tous les au

tres différens emplois.

On voit assez par cette idée de la nature de l'homme, et par ce plan raccourci de l'état de la société, quels sont les fondemens de l'ordre que Dieu y a mis, et quel est l'esprit des lois qui la règlent, et que toutes ces liaisons et tous ces engagemens de l'homme envers Dieu, et des hommes entre eux, sont un effet de l'ordre divin, qui a établi pour la loi de l'homme la loi de l'amour.

C'est donc l'amour qui doit être le lien de la société des hommes, et qui est l'esprit de toutes les lois, et c'est seulement par l'amour qu'elles s'accomplissent, et c'est aussi l'amour qui est le principe naturel et l'unique ressort que Dieu a donné à l'homme pour le faire agir.

C'est cette loi capitale et fondamentale de la société qui, obligeant les hommes à s'aimer entre eux, leur commande tous les effets naturels, qui sont les suites nécessaires de l'amour qu'ils se doivent réciproquement; c'est cette loi de l'amour qui fait les lois de la sincérité, de la fidélité, de la vérité, de la boune foi que les hommes se doivent entre eux; et tous les autres devoirs que la nature et les lois commandent aux hommes ne sont que des suites de cette loi capitale de l'amour; et toutes les injustices ne sont au contraire que des violemens de cette loi.

Cet ordre divin, qui a rendu cette loi de l'amour si essentielle à la nature de l'homme et à la société, a rendu aussi inséparables de la raison toutes les vérités qui sont les suites nécessaires de cette loi, et en a fait autant de lois immuables et inviolables. Ainsi, les vérités qui nous enseignent qu'il ne faut faire tort à personne; qu'il faut rendre à chacun ce qui lui appartient; qu'il faut garder la fidélité, la sincérité, la bonne foi, et toutes les autres vérités semblables, sont évidemment des suites naturelles et nécessaires de la loi de l'amour; et ce sont aussi des lois immuables écrites dans tous les esprits, et tellement inséparables de la lumière naturelle de la raison, qu'il faut l'avoir perdue pour, les ignorer; parce que Dieu qui commande par la nature meine l'amour mutuel entre tous les hommes a gravé dans la nature

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