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le sentiment des effets nécessaires de cet amour, et en a fait autant de vérités qu'aucun aveuglement ne peut effacer, et autant de lois qu'aucune autorité ne peut abolir, et elles n'ont la force de lois, que parce qu'on ne peut les violer sans violer la loi de l'amour car on cesse d'aimer celui à qui on manque de bonne foi, de sincérité, de fidélité, et des autres devoirs semblables.

Toutes ces réflexions nous font assez voir que, puisque c'est la loi de l'amour que Dieu a mise pour le fondement de la société, et que c'est l'amour qui est l'esprit de toutes les lois, toute la justice des hommes consiste dans un exercice continuel de tous les devoirs où l'amour engage, et qu'ils ne tombent dans l'injustice que quand ils cessent de s'aimer: et comme ils ne manquent de s'aimer que lorsqu'ils perdent l'amour de ces vérités et de ces lois, qui sont les liens qui les unissent, et qui font leur justice par leur union, il s'ensuit que chacun est juste à proportion qu'il aime ces vérités et qu'il les observe; et qu'an contraire, on est injuste à mesure qu'on les néglige, qu'on les méprise et qu'on les viole.

Que si la justice des particuliers, qui sont les membres qui composent cette société, dépend de l'amour de ces lois qui en sont les règles, quel doit être l'amour que les juges doivent avoir pour ces mêmes lois et pour l'ordre de la société; puisqu'ils doivent être animés de la force nécessaire, ou pour faire observer ces lois, ou pour réprimer ceux qui les violent, selon les occasions que leur en donne l'exercice de leur ministère? Et si l'amour est le principe naturel de tous nos mouvemens et de toutes nos actions et le lien que Dieu a formé pour unir les hommes et pour régler leur société les juges qui sont appelés à conserver l'ordre de cette société selon l'étendue de leurs fonctions sont indignes de ce ministère, qui ne peut s'exercer que par l'amour de la justice, si cet amour n'est le principe unique qui les fasse agir.

C'est par cet amour des règles de la justice et de l'ordre de la société que les juges s'appliquent à toutes les fonctions de leur ministère; c'est cet amour qui les porte à la recherche et à la punition des crimes et des entreprises qui troublent cet ordre; c'est par cet amour qu'ils préfèrent la justice à toute autre vue, et que les intérêts de leurs amis et de leurs proches et les leurs memes ne les touchent pas quand ils sont contraires à leur devoir; c'est par cet amour qu'ils méprisent les présens, les promesses, les menaces, et toute sorte d'événemens, et que rien ne peut les empêcher de rendre justice; c'est par cet amour qu'ils la rendent également en toute sorte d'occasions sans aucune accep tion de personnes, et avec un zèle proportionné à l'état des choses; c'est par cet amour qu'ils s'attachent fidèlement à l'étude nécessaire pour leurs fonctions, et qu'ils s'appliquent exactement à la discussion de tous les faits et de toutes les circonstances des

affaires qu'ils doivent juger; et c'est enfin par cet amour que les juges sont dans une disposition continuelle de s'acquitter de chaque devoir avec une vigilance et une force qui les attachent inséparablement à tous les moindres intérêts de la justice, et qui leur rendent odieux et méprisable tout ce qui peut les en dé

tourner.

Il est facile de comprendre que, comme c'est l'amour de la justice qui est le principe unique qui doit porter les juges à tous leurs devoirs, ils ne peuvent s'en acquitter s'ils ne sont animés de cet amour: car s'ils en manquent, l'amour contraire à d'autres objets les portera à mille injustices; l'amonr de leur intérêt et de leur repos, l'amour de leurs proches, l'amour des présens, et toutes leurs autres inclinations les éloigneront des dispositions nécessaires pour rendre justice, à proportion que les objets qu'ils rechercheront y seront contraires : car l'amour est un poids qui ne peut nous porter qu'à un seul objet, et c'est un esclave qui ne peut servir qu'un seul maître; de sorte qu'il est autant impossible de voir un bon juge, s'il n'aime la justice par-dessus tout, que de voir un poids libre dans deux mouvemens, et un esclave contenter deux maîtres.

Nous n'entrons pas plus avant dans le détail des devoirs particuliers et des occasions singulières où les juges sont obligés de faire paraître un amour ferme et invincible pour la justice, ni à expliquer les effets de cet amour, et les chutes de ceux qui en manquent. Ce détail demanderait un trop long discours, et il faut finir; mais il suffit que nous laissions à tous les juges à qui nous avons l'honneur de parler le souvenir de cette parole divine qui leur servira d'une règle universelle et perpétuelle dans toutes sortes d'occasions. Diligite justitiam qui judicatis terram.

HARANGUE

Prononcée aux assises de l'année 1683.

Parmi les règles du devoir des juges qui doivent être toujours l'unique sujet du discours que nous sommes obligés de leur faire ici, l'une des plus importantes et moins observées est celle qui leur prescrit le bon usage de l'autorité qui leur est commise: car on voit assez quelle est dans le monde la multitude des injustices que cause l'abus de l'autorité.

Pour concevoir une juste idée de l'importance de cette règle et du mal que commettent ceux qui la violent, il est nécessaire de considérer quelle est la nature de l'autorité des juges, quelle en est la fin, quel en est l'usage.

Personne n'ignore que Dieu a mis les hommes en société, et que, pour assortir cette société, il a formé des liaisons de plu

sieurs natures, et les premières réflexions sur ces liaisons font assez connaître qu'elles ne pourraient subsister sans un ordre qui élève quelques personnes au-dessus des autres avec une puissance et une autorité proportionnées à la nature et à l'usage de la liaison.

Ainsi, dans la liaison naturelle du mariage, où le mari et la femme forment un seul tout, Dieu a rendu le mari chef de la femme, et l'on a donné une puissance et une autorité proportionnées à la manière dont il les unit, et à toutes les suites de leur union.

Ainsi, dans la liaison naturelle que fait la naissance entre ceux qui la reçoivent et ceux qui la donnent, Dieu donne aux parens une puissance et une autorité proportionnées à l'état où la naissance met les enfans, et à toutes les suites de leur éducation et de leur conduite.

Ainsi, dans les liaisons que Dieu a formées entre tous les hommes pour les divers usages de tous leurs besoins, il a établi des puissances avec une autorité proportionnée à la nécessité de contenir les hommes dans l'ordre que demande leur société; et parce qu'il règle cet ordre entre des personnes que la nature ne distingue pas de la manière qu'elle distingue le mari et la femme, et les parens, et les enfans, par des relations d'une puissance et d'une dépendance naturelle, il est nécessaire qu'il les distingue d'une antre manière, et qu'il en élève quelques-uns au-dessus des autres par d'autres voies, pour former entre eux un ordre universel d'un gouvernement qui les contienne dans les différens devoirs où les engage leur société, et qu'il donne aux puissances qu'il met dans cet ordre la force nécessaire pour assujettir des hommes que la nature a rendus égaux, et qui la plupart sont éloignés et de l'inclination à leurs devoirs, et de la soumission aux puissances qui sont établies pour les y tenir.

Cette simple réflexion générale sur la nécessité des puissances et de l'autorité qui leur est donnée nous découvre une vérité essentielle en cette matière, que toutes les puissances sont établies de la main de Dieu : car, comme il est le seul maître et le seul juge commun des hommes, il est aussi le seul qui peut donner à quelques-uns une autorité au-dessus des autres et leur faire part du droit de juger, et c'est une suite naturelle de cette vérité qu'une autorité qu'on ne peut avoir que de la main de Dieu, et qui n'est établie que pour maintenir l'ordre qu'il a formé dans la société, ne doit pas avoir d'autre usage que pour cet ordre.

Il s'ensuit de ces vérités, que l'autorité des juges n'est autre chose que la force de la justice, et un effet de l'autorité naturelle que la justice elle-même doit avoir sur l'homme.

L'autorité naturelle de la justice sur l'homme consiste en cette force divine qu'elle doit avoir sur l'esprit et le cœur de l'homme,

et sur sa conduite. Ainsi, cette autorité s'exerce différemment sur l'esprit et le cœur de l'homme dans l'intérieur, et sur sa conduite dans l'extérieur.

L'autorité de la justice sur l'esprit de l'homme n'est autre chose que la force de la vérité et de la justice sur la raison et sur le bon sens; et l'autorité de la justice sur le cœur de l'homme n'est autre chose que la force de son attrait qui en fait naître l'amour dans le cœur; mais, parce que tous les esprits et tous les cœurs ne se laissent pas éclairer de la lumière et toucher des attraits de la vérité et de la justice, et que plusieurs non-seulement la rejettent dans l'intérieur, mais se portent à la violer dans l'extérieur, il est de l'ordre divin que la justice ait d'autres armes que sa lumière pour éclairer l'esprit et ses attraits pour toucher le cœur, et qu'elle règne d'une autre manière dans l'extérieur sur ceux qui résistent à son empire naturel sur l'intérieur; et comme il est de ce même ordre divin que la justice règne sur tous les hommes, et qu'aucun ne se soustraye à son empire, elle l'exerce différemment selon les différentes dispositions des hommes: car elle règue par sa lumière et par ses attraits sur tous ceux qui savent la reconnaître et veulent l'aimer, et elle règne sur ceux qui ne l'aiment pas et qui lui résistent, en réprimant et punissant leur rebellion.

C'est ainsi que Dieu, qui est lui-même la justice et la vérité, règne sur les hommes ou par l'amour de la justice sur les bons, ou par sa force toute-puissante sur les méchans; et c'est ainsi qu'il veut que les juges, à qui il confie le ministère de la justice qui doit régler la société, la dispensent de telle manière qu'ils rendent leur ministère agréable à ceux qui aiment la justice et terrible à ceux qui ne l'aiment pas, et qui entreprennent de lui

résister.

Il est facile de connaître par ces vérités de quelle manière les juges doivent user de l'autorité de la justice qu'ils ont en leurs mains, et c'est sur ces règles que nous tous qui avons l'honneur de participer au ministère de la justice, et d'exercer son autorité, devons juger si c'est pour nos intérêts et pour ceux de nos amis et de nos proches, que cette autorité nous est confiée, et si nous pouvons en user autrement que pour la justice; et c'est enfin sur ces mêmes vérités et ces mèmes règles qu'on peut reconnaître quel est le crime des juges qui osent employer l'autorité contre la justice, qui dépouillent le pauvre, l'orphelin, la veuve, qui oppriment l'innocent et favorisent le criminel, qui se portent à des exactions et des concussions, et qui font servir leur autorité à leurs intérêts et à leurs passions, et à celles de leurs amis et de leurs proches.

Nous n'avons pas besoin d'exagérer la malice de cet usage criminel de l'autorité, il est facile de juger qu'il ne peut y avoir de

puissance séparée de la justice, qui ne soit une tyrannie à l'égard des hommes, et une rebellion à l'égard de Dieu, et c'est aussi à ce crime qu'il a préparé une vengeance si sévère, qu'il apprend aux juges qui auront abusé de la puissance et de l'autorité qu'il leur avait donnée pour la justice, qu'il fera lui-même éclater sa puissance dans leurs supplices.

Nous pourrions et devrions peut-être ajouter ici quelques réflexions sur les différentes manières dont les juges peuvent abuser de l'autorité; mais nous passerions les bornes d'un petit discours, et il suffit d'avoir remarqué ces vérités générales sur lesquelles il est facile à tous ceux qui ont l'honneur d'exercer le ministère de la justice de juger de l'usage qu'ils doivent faire de l'autorité, et de reconnaître qu'ils ne doivent jamais la refuser à la justice, et qu'ils ne doivent jamais l'employer contre elle; qu'ils doivent se considérer comme ses protecteurs et ses défenseurs, et qu'ils doivent enfin savoir que, s'ils n'ont pas assez de courage pour exercer leur autorité contre l'injustice, ils sont très-indignes de tenir un rang où ils ne sont élevés que pour cet usage. Noli quærere fieri judex, nisi valeas virtute irrumpere iniqui

tates. Eccle.

FIN DES HARANGUES,

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