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ser du moins ces occasions, où il faut employer toute la générosité et toutes les forces, pour faire voir que si la justice ne règne pas, c'est plus par l'impossibilité de l'état des choses, que par l'impuissance de leur amour,

Ce que nous avons touché jusqu'à cette heure ne regarde pas seulement le devoir des juges, c'est encore la règle de tous ceux qui participent aux fonctions de la justice, qui doivent tous être animés de la vérité, et qui seraient tous dignes de respect s'ils l'aimaient autant que chacun d'eux y est obligé par son ministère; mais si tous également sont obligés à cet amour, ceux là le sont encore en quelque façon au-dessus des autres, qui sont les premiers dans l'ordre de nos fonctions à faire connaître la vérité dans leurs conseils aux parties qui la leur demandent, et dans le rang desquels et parmi lesquels nous pouvons dire tous tant que nous sommes, que nous avons été élevés à sa connaissance. Nous marquerons encore mieux la dignité de leur fonction, en leur proposant une idée de leur devoir, qui soit digne de l'excellence de leur ministère; ce devoir indispensable de tous ceux qui veulent porter le nom d'avocats, les oblige à se rendre les arbitres de la vérité contre leurs parties, et à condamner les premiers tous ceux qui leur font l'injure de les prendre pour protecteurs du mensonge et de l'injustice, et de quelque qualité que puissent ètre ces mauvais plaideurs, à leur faire entendre qu'il n'y a que la vérité qui trouve des défenseurs dans la justice, mais qu'elle en trouve d'assez généreux pour la défendre dans sa plus grande oppression contre les plus violens et les plus redoutables de ceux qui l'oppriment.

Le plus grand témoignage que nous demanderions aux procureurs de leur amour pour la vérité, ce serait qu'en conservant l'ordre des formalités nécessaires ils travaillassent de toutes leurs forces pour abolir les longueurs et les misères de la chicane, par une sincérité qui fit qu'ils fussent plus touchés de cet amour que de la crainte du châtiment et de la vengeance terrible qu'ils ne peuvent éviter, s'ils méprisent ou s'ils négligent ce premier devoir de leurs charges.

Que si nous n'osons pas espérer que tous les ministres de la justice se trouvent unis dans une même fermeté pour faire cesser toute l'injustice, quelque grand que soit ce désordre, il y aura du moins quelques-uns à qui la vérité sera chère et toujours aimable en quelque état qu'elle paraisse; car, lors même qu'elle semble opprimée par la violence, elle conserve toujours ce rang de gloire et de majesté si auguste et si divine, qu'elle est encore plus aimable et plus digne de respect dans ceux même qui souffrent pour elle, que dans ceux qui la font régner; ainsi, quand il arriverait que ses amateurs ne seraient pas assez puissans pour la faire régner, leur amour ne sera pas pour cela stérile; car,

soit que leurs efforts soient inutiles par le défaut de la correspondance des autres, soit que produisant quelque effet ils ne servent qu'à les exposer à la violence, ils auront la joie de ne point abandonner leur devoir, et ils pourront dire ces paroles de Josué, ce saint et premier juge du peuple juif, encore que tous les autres quittent le Seigneur, ma maison seule demeurera dans son service. Josué, 24. 15. Et s'il arrive qu'ils souffrent pour la vérité, elle ne manquera pas, comme c'est son propre, de les délivrer, et de même qu'elle les a rendus libres au-dessus de la malice de ses ennemis. Joan. 8. 32, elle les rendra pareillement libres de tous les maux qu'ils pourraient endurer pour elle.

Mais pour ceux qui se contentent de faire justice quand elle s'accorde à leur intérêt, et qui l'abandonnent quand cet intérêt leur est contraire, soit qu'ils la trahissent dans les grandes occasions, soit qu'ils la méprisent ou la négligent dans les moindres, ou qu'ils l'altèrent dans les unes et dans les autres par le mélange de quelque autre amour, dans le dessein secret d'élever leur fortune sur la vérité qu'ils apprennent de sa bouche même, que tous leurs desseins seront confondus, qu'ils tomberont euxmêmes, ct se briseront sur elle s'ils marchent contre elle. Matth. 21, parce que dans la stabilité elle est la pierre angulaire du fondement sur lequel on ne peut élever que des ruines, et qu'ils sachent encore qu'après leur chute, cette pierre tombera sur eux, et que tous ceux sur qui elle tombera, selon la propre expression de l'évangile, en seront écrasés: Super quem ceciderit, conteret eum. Matth. 21. 44.

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Nous sommes obligés d'avouer dès l'entrée de ce discours que nous ne nous y sommes engages qu'avec peine, et pour ne pas troubler la coutume; car, outre la connaissance que nous avons de notre faiblesse, nous ne pouvons d'ailleurs assez remarquer le peu d'utilité des remontrances qu'on fait en ce lieu.

L'expérience d'une part nous fait bien voir qu'une harangue ne suffit pas pour faire un bon juge, et de l'autre nous pouvons encore ajouter que toute l'éloquence humaine est incapable de produire un pareil effet; car elle peut bien instruire et persuader l'esprit de quelques vérités sensibles; mais elle ne peut pas changer les mauvaises inclinations, ni guérir l'avarice, la timidité et toutes les autres passions qui occupent les cœurs des juges.

Que si nos remontrances sont inutiles pour nous guérir de nos passions et de nos faiblesses, nous aurions bien plus de sujet de garder le silence que de parler. Mais puisque nous sommes indis

pensablement obligés de remontrer aux juges quel est leur devoir, , nous avons pensé que la manière la moins inutile que nous pourrions prendre, serait de nous servir de la parole divine, qui nous enseigne toutes les règles de ce devoir. Car comme cette parole, dont il est dit qu'elle a parlé, et que toutes choses ont été faites, et que c'est elle qui a formé l'esprit de l'homme. Ps. 32. 6. g. ; c'est elle aussi qui seule peut le rétablir dans sa rectitude par la lumière et par la vertu des vérités divines qu'elle publie. Ainsi, nous pouvons emprunter quelques-unes de ces vérités, pour annoncer le devoir des juges dans la force et dans l'autorité de cette parole qui en est la source. Pour bien entendre en quoi consiste le devoir d'un juge, il est nécessaire de bien concevoir la grandeur de ce caractère. Et c'est ce que nous trouvons en une seule parole dans l'écriture; car on ne peut rien dire de plus grand ni de plus véritable de la qualité de juge, que le mot qu'elle répète en divers endroits, et que l'on n'oserait seulement penser qu'après elle, que les juges sont des dieux. C'est Dieu mème qui l'a prononcé; et il l'a dit deux fois entre autres bien remarquables, et en propres termes. L'une, en parlant au peuple par la bouche de Moïse, pour leur apprendre l'honneur qu'ils doivent aux juges, lors même qu'ils croyaient en avoir reçu quelque injustice. Car il leur dit ces mêmes paroles, vous ne parlerez jamais mal des dieux. Exod. 22. 28. Et l'autre, en parlant aux juges mèmes par la bouche d'un roi prophète, pour leur apprendre ce qu'ils sont, et ce qu'ils doivent être au peuple; car il leur dit en propres termes, vous êtes des dieux. Ps. 81. 6. Ce qui a été dit avec tant de vérité dans son sens, que le fils de Dieu a dit que cette parole ne pouvait étre reprise ni contredite. Joan. 10. 35., et qu'il s'en est servi d'argument pour prouver sa divinité par cette conséquence, que si les juges sont appelés des dieux par l'écriture qui ne peut mentir, les Juifs ne doivent pas l'accuser de blasphème pour s'être dit le fils de Dieu.

Mais ce n'est pas assez pour marquer la grandeur du ministère des juges, que de dire qu'ils sont des dieux, nous pouvons dire encore que ce nom leur est donné par un privilége si singulier, qu'il n'a été donné à aucune autre dignité. De sorte que cette singularité jointe à la grandeur de ce titre marque clairement que la divinité se communique davantage dans la qualité de juge, que dans aucune autre.

En effet, de tous les attributs de Dieu qui ont un rapport particulier aux créatures raisonnables, nous devons considérer celui de juge comme le premier, le plus grand et le plus auguste. Car, c'est en qualité de juge que Dieu regarde et qu'il conduit la créature libre et raisonnable, qui est le plus grand ou plutôt l'unique objet qu'il puisse avoir dans ses créatures, et sur lequel il fait paraître singulièrement l'excellence de sa conduite et la grandeur

de sa domination souveraine. C'est en cette qualité qu'il commande ou qu'il défend; qu'il justifie ou qu'il condamne; qu'il ré- compense ou qu'il punit; ce qui comprend également toutes les fonctions de juge et toute la conduite de Dieu envers l'homme. Tellement qu'il faut que cette qualité de juge, en laquelle Dieu regarde et conduit son plus noble objet, soit aussi celle qui ait plus d'éclat et de majesté, et qui attire davantage le plus profond respect et la soumission entière de la créature. Ainsi, lorsque Dieu communique aux hommes ce titre de juge, il leur communique ce qu'ils peuvent voir en lui de plus élevé et de plus auguste et par conséquent, il est véritable que la divinité se communique davantage dans la qualité de juge, qu'en aucune autre, sans en excepter même le sacerdoce. Car il y a cette différence bien remarquable entre la fonction de prêtre et celle de juge, que le propre du prêtre est d'intercéder, Hebr. 5. 1; et qu'ainsi, la principale fonction du sacerdoce renferme l'assujettissement et la dépendance, et ne se peut trouver que dans une nature sujette et inférieure, au lieu qu'au contraire, la fonction de juge marque une nature supérieure; et c'est pourquoi si le fils de Dieu prend le nom de pontife, c'est seulement depuis qu'il est homme; mais il est juge par sa nature avant qu'il fût homme. Ainsi, au lieu qu'il faut qu'il s'abaisse à la nature de l'homme pour prendre la qualité de prêtre et de pontife, il faut au contraire qu'il élève l'homme à sa nature divine pour lui donner celle de juge. Nous pouvons donc dire que la qualité de juge est bien plus propre à Dieu que celle de prêtre, et qu'elle est aussi plus élevée qu'aucune autre dignité qui soit sur la terre.

Aussi lisons-nous en divers lieux dans les livres saints, que les juges exercent le jugement de Dieu méme et non pas le leur, 2. Paral. 19. 6. La remarque est singulière dans la réponse que fit Moïse à son beau-père, qui, l'ayant visité, le trouva accablé de la foule du peuple qui lui venait demander justice. Ce peuple, lui dit Moïse, vient à moi pour consulter Dieu, et pour me demander son jugement. Exod. 18. 15. Et pour faire voir encore combien est propre à Dieu ce droit de juge, il en a voulu faire la fonction lui-même, et sans le ministère des hommes, dans quelques occasions extraordinaires, où il a fait éclater sa justice en envoyant le feu du ciel, et faisant ouvrir la terre pour la punition de quelques crimes.

Mais ce qui marque singulièrement et par-dessus tout, que c'est son propre pouvoir que Dieu donne aux juges, c'est qu'il leur donne le pouvoir de faire mourir. Car, après qu'il a défendu l'homicide, il n'y a point d'homme qui eût droit d'en tuer un autre; et il faut dire, selon l'expression d'un père, que c'est Dieu qui tue lorsque le juge fait mourir, Aug. de civ. l. 1. c. 21, comme c'est aussi lui qui venge, lorsque le juge punit le coupable; parce

qu'il communique au juge le droit de vengeance, qui lui est propre comme le droit de vie et de mort.

Et il a été bien nécessaire que Dieu donnât ce pouvoir aux hommes; car tous les hommes étant égaux par la nature (Charte, 1), il a fallu qu'il communiquát à quelques-uns une participation de sa souveraineté (Charte, 13, 14, 57, 3. ), pour les élever au-dessus des autres, afin qu'ils exercent la justice entre eux; et que pendant le temps qu'il souffre et permet l'injustice, il y ait des puissances visibles sur la terre qui le représentent pour la réprimer, jusqu'à ce que lui-même à la fin des temps se rende visible, pour réparer toutes les injustices et tous les désordres.

Voilà pourquoi Dieu donne son pouvoir et son nom aux juges, afin qu'étant établis pour tenir sa place parmi les hommes leurs semblables, l'égalité de nature n'empêche pas qu'ils ne soient considérés et respectés comme lui-même dans les jugemens. Et cet honneur est tellement communiqué à tous les juges, que Dieu le donne même aux plus petits et aux plus indignes; car l'écriture nous apprend en divers endroits, qu'ils tiennent tout leur pouvoir de lui, Exod. 22. 8. 6; et c'est sans aucune distinction qu'il leur a dit qu'ils sont tous des dieux, Sap. 4. 5; parce que dans la distance infinie où sont tous les juges au-dessous de Dieu, Joan. 19. 11. Rom. 13. 1. 2. Pet. 2. 13. 14, la gloire de son nom ne s'abaisse pas davantage, ni dans les uns, ni dans les autres; et ils le représentent tous dans le point unique qui consiste au droit de juger. Joa. 10. 35. ps. 81.

Nous croyons avoir assez montré la grandeur des juges, et le solide fondement du respect qui leur est dû par le nom qu'ils portent; les plus ambitieux d'entre eux n'avaient peut-être pas pensé que leur dignité fût si élevée. Mais si nous avons tâché d'établir solidement la dignité de leur caractère, c'est seulement pour leur proposer leur devoir d'une manière qui en soit digne : car s'ils sont appelés des dieux, c'est afin qu'ils pensent quels ils doivent être pour soutenir cette dignité.

La plus simple règle et la plus générale du devoir des juges, est qu'ils doivent imiter Dieu pour user de son pouvoir qu'il leur a donné, comme lui-même en userait, autant qu'ils peuvent en être capables. Cette règle est bien naturelle, mais nous la trouvons encore dans l'écriture, qui nous l'apprend par la bouche d'un roi, qui parle aux juges de son peuple. Prenez bien garde, leur dit-il, à ce que vous faites; car ce n'est pas le jugement d'un homme que vous devez rendre, mais celui de Dieu. 2. Paral. 19. 6. S'il faut donc que les juges rendent le jugement de Dieu, et non pas le leur, il est évident qu'ils doivent juger comme Dieu jugerait lui-même.

Ce n'était pas assez que l'écriture prescrivît cette règle aux juges, elle leur a aussi marqué les qualités qu'ils doivent avoir

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