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pour la pratiquer. Nous les trouvons principalement dans l'histoire sainte, qui nous apprend que lorsque Moïse établit les juges, pour se décharger du soin des petits différends du peuple, il fit un choix d'hommes sages, forts, craignant Dieu, pleins de la connaissance et de l'amour de la vérité, et ennemis de l'avarice. Exod. 18. 21. Prov. 24. 5.

Si ces personnes furent choisies si pleines de tant de qualités divines, pour juger seulement les moindres différends d'un peuple qui était gouverné par une conduite pleine de sagesse et de miracles visibles et continuels, elles le sont sans doute bien plus parmi nous.

Vous voyez donc bien que tout ce que nous pouvons dire avec plus de condescendance du devoir de tous les juges, et même des moindres, est qu'ils doivent être indispensablement pourvus de ces mêmes qualités, que Moïse exigeait pour ceux à qui il commettait les moindres affaires. Aussi, est-il véritable que nous trouvons dans ces qualités tout ce qu'on doit avoir pour être bon juge; et que si on manque d'une seule, on est indigne d'en tenir le rang.

Nous vous avons autrefois parlé de la connaissance et de l'amour de la vérité; nous toucherous maintenant le reste de ces qualités, mais succinctement.

Pour la crainte de Dieu, les juges doivent l'avoir d'une manière particulière, qui doit consister à se considérer comme dépositaires de ce pouvoir qui leur est donné, et ne pas croire qu'il leur soit propre, afin qu'ils en usent comme devant en rendre un compte sévère. Le juge qui manque de cette crainte, se rend maître et usurpateur de l'autorité dont il n'était que dépositaire; il en use comme si elle lui était propre; et au lieu de maintenir parmi les hommes injustes l'honneur et l'intérêt de la justice, qui est celui de Dieu mème, qui lui en avait commis la dispensation, et qu'il doit toujours avoir en vue dans son ministère, comme on voit que les ambassadeurs des princes de la terre conservent avec jalousie le rang et les intérêts de leurs maîtres chez les étrangers; ce juge, qui ne regarde pas Dieu, prend pour soi-même tout l'honneur que l'on rend à sa dignité, non comme s'il tenait seulement la place de Dieu, mais comme s'il l'était lui-même, et il fait servir son autorité à ses intérêts et à ses passions jusqu'à l'employer contre la justice. Que si l'injustice et la violence des particuliers est un objet de colère et d'indignation, que doit-on dire de çet horrible renversement, de voir la violence dans l'autorité, et l'injustice s'armer des forces de la justice contre elle-même ? Nous n'avons point de paroles pour exprimer l'excès de ce mal. Cependant c'est une suite ordinaire et infaillible du manquement de la crainte de Dieu : car le défaut de cette crainte est la source de toute sorte de déréglemens; et c'est pourquoi nous remarquons

dans l'évangile, qu'il est dit d'un très-mauvais juge, qu'il ne craignait pas Dieu, Luc. 18. 2, pour nous apprendre par cette simple expression que le défaut de cette crainte renferme toute l'iniquité qui se peut trouver en un juge.

Il nous reste à parler du détachement ou de la haine de l'avarice, de la force et de la sagesse, qui sont les autres qualités que Dieu demande pour un juge. Dans la haine de l'avarice, nous remarquons la tempérance, comme nous verrons dans la suite. Dans la sagesse, nous reconnaissons la prudence. Ainsi, dans ces trois qualités, nous trouvons la tempérance, la force et la prudence, qui sont trois vertus sans lesquelles on ne saurait s'acquitter d'aucun devoir. Car, tout devoir consiste à s'attacher à quelque fin juste; et pour cela, la tempérance est nécessaire, afin qu'on s'abstienne du désir de tout autre objet contraire à la fin qu'on s'est proposée, ou qui en détourne. La force est nécessaire pour vaincre toutes les difficultés, et la prudence pour régler toute la conduite. Nous allons voir en peu de paroles le besoin particulier que nous avons de ces trois vertus, et nous verrons en même temps qu'elles forment l'imitation de Dieu dans les jugemens, ce que nous avions établi pour la règle universelle du devoir des juges.

Quand nous parlons de la tempérance en un juge, on voit bien que cela ne s'entend pas au sens qui comprend seulement la sobriété. Ce n'est pas qu'un juge ne doive être sobre; nous serions réduits à une extrémité bien étrange, s'il nous fallait mettre en peine de le prouver, après que les anciennes ordonnances voulaient inême qu'on rendit la justice à jeún. Car. magn. 1. 1. c. 62. confer. des ord. 1. 1. §. 1. Mais il le faut entendre dans le sens général que nous avons touché, suivant lequel la haine de l'avarice est une tempérance universelle à l'égard de tous les objets capables de corrompre un juge. Car il n'y a aucun de tous ces objets qui ne s'acquière par les richesses. Ainsi, la haine de l'avarice, qui renferme le mépris du bien, est la véritable tempérance nécessaire au juge.

Par cette vertu le juge imite cette qualité qu'on remarque en Dieu, qu'étant lui-même sa seule fin, il ne peut s'arrêter qu'en soi-même, et n'a besoin d'aucune chose. Car tout de même le juge doit s'attacher tellement à sa fin de rendre justice, qu'il s'abstienne de tout ce qui pourrait l'en détourner, comme s'il était hors de tout besoin. Que s'il n'est pas en cet état par sa fortune, il faut qu'il s'y mette par sa tempérance. Nous verrons la nécessité de cette vertu dans un seul exemple; et que non-seulement il faut que le juge ne soit point avare, pour ne point faire de concussions, mais qu'encore il ait de la haine contre l'avarice, pour ne se pas laisser corrompre aux présens. Car l'avarice dans les présens n'a rien qui paraisse inhumain, elle y trouve son

objet sans travail et sans violence. Il s'offre soi-même dans le secret tout plein d'agrément, et d'une manière si surprenante, que l'écriture dit que les sages même en sont aveuglés; de sorte que si un juge n'est pas préparé contre ces surprises par une forte habitude de haine formée contre l'avarice, il se laissera vaincre sans doute aux présens, et il éprouvera la vérité de cette parole du sage, que celui qui donne un présent gagne la victoire, et qu'il ravit et enlève le cœur de celui qui le reçoit, Prov. 22. 9, et qu'étant devenu le maître du cœur, il le tourne selon ses desseins; jusques-là que nous apprenons encore de la sagesse, qu'un présent caché éteint la colère et l'indignation la plus extréme. Prov. 21. 14.: et comme nous allons voir que le juge doit être toujours en colère contre l'injustice, s'il reçoit un don, il se désarme de cette colère, et de toute sa vigueur contre l'injustice.

Ce n'est pas assez qu'un juge ait la tempérance pour s'abstenir de tout ce qui pourrait le corrompre; il faut encore qu'il ait la force, afin qu'il surmonte toutes les difficultés qui s'opposeront pour l'empêcher de rendre justice; et qu'il méprise tous les maux qui lui arriveront pour l'avoir rendue. Autrement il est visible que s'il cède à ces difficultés, et s'il craint ces maux, il abandonnera son devoir pour les éviter. Et afin qu'un juge soit toujours dans cette disposition de n'abandonner jamais son devoir, il faut que son courage ne soit animé d'aucune passion, comme celui des hommes injustes, dont les plus grandes entreprises ne sont que faiblesse et aveuglement: car ce ne sont pas eux, mais leurs passions qui sont fortes. Mais la force du juge doit être un zèle divin, exempt de trouble et de passion, toujours égal, et toujours incapable de se ralentir. Car cette force est renfermée dans l'imitation de deux qualités que nous remarquons en Dieu, qui mettent ses jugemens au-dessus de toute faiblesse, Psal. 7. 12.; l'une, qu'il est, comme dit un prophète, dans une indignation continuelle contre l'injustice, parce qu'il est la justice même; et l'autre, qu'il ne fait point d'exception de personnes, parce qu'il est indépendant, et ne peut étre touché d'aucune espérance, ni d'aucune crainte. Deut. 10. 17.; ce qui le rend inflexible et inexorable à toute injustice.

Les juges qui doivent imiter Dieu n'étant pas la justice même, ils la doivent aimer, et concevoir une noble indignation contre l'injustice, afin d'agir contre elle de toutes leurs forces, et de vaincre toutes sortes de difficultés pour rendre justice. Et s'ils ne sont pas indépendans par leur condition, il faut qu'ils le deviennent par leur courage, afin qu'ils ne se laissent jamais affaiblir ni par le désir d'obliger, ni par la crainte d'offenser les personnes les plus puissantes, et qu'ils se rendent inexorables et inflexibles comme Dieu même à toute espérance et à toute crainte. Que si l'on voulait dire que Dieu se laisse fléchir quelquefois,

ce n'est jamais contre la justice, ni pour l'injustice. Mais surtout il est inexorable en ce qui regarde l'ordre politique de la société. civile: car il vent indispensablement que les juges qu'il a établis pour la maintenir, se rendent inflexibles pour réprimer de tous leurs efforts tous les excès et tous les violemens qui troublent cet ordre. C'est pour cela qu'il est dit que quand la loi est violée, il est temps d'agir. Ps. 118. 126., et de mettre en usage cette sainte indignation contre l'injustice. Et c'est encore pour cela même que la force est si nécessaire à tous les juges, que le sage a dit: que personne ne doit entreprendre de se faire juge, s'il n'a pas un courage et une fermeté invincible pour combattre contre l'injustice, et forcer toute la violence de l'iniquité, afin de ne céder pas même aux plus grands. Eccli. 7. 6. Et c'est une remarque singulière sur ce sujet dans l'histoire, que le premier commandement qu'elle marque avait été fait aux juges, fut celui que leur fit Moïse, de faire mourir ceux de leurs frères qui étaient tombés dans l'idolatrie. Car ce premier ordre si exprès de faire mourir, marque d'une part la haine irréconciliable, et l'autre la généreuse vigueur qu'un juge doit avoir pour agir contre l'injusjustice; et quand il doit faire l'office de juge, bien loin qu'il s'y doive jamais porter pour obliger ses amis, ou pour en faire de nouveaux, comme on s'imagine, il doit au contraire s'animer de cette haine parfaite dont il est parlé dans les livres saints. Ps. 138. 20. 21, qui lui fasse mettre au nombre de ses ennemis, et juger dignes de toute haine et de tout mépris, ceux qui voudraient le corrompre ou par leurs prières, ou par leurs menaces Matth. 10. 34. et seq. Luc. 14. 26. Ps. 13.

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Ces vérités ne sont pas seulement fondées sur la pureté de la loi divine; les lois humaines les ont reconnues, et ont pourvu par divers réglemens à conserver aux juges la liberté que donne cette force dont nous parlons: car elles ont défendu aux juges d'obéir même aux lettres des princes, si elles leur ordonnaient quelque chose de contraire à la justice, et ces défenses subsistent encore (1); elles avaient aussi défendu même, sous peine de sacrilége, qu'on entreprît l'administration de la justice dans son pays, de peur qu'on ne s'y laissât corrompre par ses amis, ou par ses proches et l'on remarque encore que c'était autrefois une discipline du parlement, observée dans ce même esprit, que ceux de ce corps ne fréquentaient point les maisons des princes, ni des seigneurs (2), et n'allaient pas au Louvre, s'ils n'étaient mandés par le roi.

Si ces derniers réglemens ne s'observent plus, et s'il est aujourd'hui permis de fréquenter les grands, et de se faire juge

(1) L. pen. cod. de prec. imp. v. code Henry. 1. 7. T. 13. n. 1. l. ult. c. de crim. sacri, tit. c. ut nullo patriæ suæ. (2) Loysel. fol. 679.

dans son pays, même dans les premières charges, cette liberté n'est qu'une occasion de faiblesse aux juges, qui les doit obliger à se rendre plus forts et plus fermes. Car étant toujours obligés à ne rien accorder contre la justice à la faveur des grands, ni des proches qui les environnent, ils doivent être comme étrangers dans leur patrie, et comme s'ils n'avaient ni alliance, ni amitié, ni engagement, ni dépendance, et ils doivent encore regarder toutes les personnes les plus éclairées et les plus puissantes, comme infiniment abaissées au dessous de Dieu qu'ils représentent, afin qu'ils se tiennent dans une fermeté inébranlable, pour soutenir la justice contre tous les efforts et toutes les surprises de l'iniquité.

Nous finirons par la sagesse, que nous avons appelée la prudence du juge, qui se rapporte à la sagesse et à l'intelligence divine. On voit assez la nécessité de cette vertu, et que sans elle toutes les autres pourraient nuire autant que servir; et l'on voit bien encore que le principal fondement de cette sagesse est que le juge ait un bon sens; car sans la lumière naturelle du bon sens, on ne saurait en posséder le moindre degré; mais il faut aussi la connaissance du droit, et l'expérience dans les affaires selon la charge qu'on entreprend; et qu'on apporte beaucoup de diligence et d'exactitude, pour bien prendre la vérité des faits que l'on doit juger; et il faut enfin qu'on ne rende jamais justice dans la passion; car la passion aveugle le jugement, et produit le même effet que l'ignorance et le manquement de bon sens, qui sont les contraires de la sagesse.

Personne ne peut douter de la nécessité de ces qualités, qui composent en partie la sagesse du juge, et sans lesquelles il est évident qu'on ne pourrait rendre que des jugemens pleins d'ignorance et d'aveuglement; et l'on ne peut aussi douter que l'aveuglement et l'ignorance dans les jugemens ne soient un grand mal, puisqu'il est si grand, que l'Écriture a dit qu'il est cause que tous les fondemens de la terre sont ébranlés. Psal. 61. 5., pour marquer par cette forte expression le renversement étrange que cause dans la société civile l'ignorance des juges.

Nous laisserons tout le reste que nous avions à dire sur cette sagesse; mais nous ne pouvons supprimer que le premier et le principal usage qu'en doivent faire tous ceux qui veulent être juges, c'est d'examiner, avant qu'ils s'engagent dans ce ministère, s'ils ont les qualités nécessaires pour s'en acquitter, surtout en ce temps, que chacun se choisit soi-même pour se faire juge; et de considérer que, s'ils n'ont pas ces dispositions, ils commettent une imprudence capitale, et ils font une injustice insigne au public, de s'ingérer dans cette fonction sacrée : car, osant ainsi s'élever à la place de Dieu, ils troubleront l'ordre de la justice par mille erreurs et mille faiblesses où ils tomberont infailliblement; et ils seront cause par leurs injustices, que le

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