Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

Mais, pour cacher aux hommes la grandeur et la gloire de cette conduite, et pour les tenir dans les voies sensibles dont ils sont capables, il laisse sur la terre un ministère visible et continuel de l'un et de l'autre de ces deux règnes.

C'est pour cela qu'il a mis le ministère du règne spirituel et invisible de la religion sur les cœurs dans le sacerdoce, dont les fonctions sont de procurer la paix intérieure par la justice des cœurs dans les voies, et par les moyens qu'il dispense dans son église; et il a mis le ministère du règne temporel de la police sur le corps politique dans la puissance visible qu'il donne aux rois et aux juges qui tiennent sa place, pour maintenir la paix extérieure par les voies de la force et de l'autorité qu'il leur confie.

C'est dans ce ministère du règne temporel de la police que Dieu a établi la justice que nous exerçons, et la fin de ce ministère est de maintenir la paix et l'ordre parmi les hommes dans le mélange où ils doivent vivre, pour s'aider les uns les autres de leur industrie par les arts, de leurs biens par le commerce, et pour former les autres liaisons et dépendances mutuelles que la nature et les lois ont mises entre eux.

Nous voyons dans cet objet de la justice, que la principale fonction des juges est de réprimer par leur force et par leur courage les violences et les injustices qui rompent les liens de cette société qui doit être parmi les hommes, et qu'ainsi l'office des juges est d'exercer sur les actions extérieures l'empire de la justice qu'ils ne peuvent porter jusque dans les cœurs et de faire sur le corps politique, dont ils sont les chefs, ce que chaque particulier est obligé de faire en soi-même sur ses passions.

C'est par cette raison que, comme dans la conduite spirituelle de la religion sur les coeurs, Dieu anime les particuliers d'une force divine qui les élève au-dessus de leurs passions, afin qu'ils puissent s'en rendre les maîtres, il a de même établi dans la conduite temporelle du corps politique une autorité divine qui élève une partie des hommes au-dessus du reste, pour les rendre les juges et les vengeurs des injustices qui troublent ce corps.

Mais cette force et cette autorité que Dieu donne aux juges n'est qu'un instrument d'une autre force spirituelle, qui est celle dont nous parlons, qui doit étre dans le cœur du juge, pour animer et employer cette autorité contre les rebellions et les entreprises des particuliers qui sont les membres qui composent le corps politique. Car ces membres, que l'on compare si communément aux membres du corps humain, sont assemblés d'une manière bien différente; les membres du corps naturel n'ont aucun bien particulier qui leur soit propre, leur usage unique et leur fin commune est le bien du corps. Ainsi, ils s'exposent tous pour le corps sans se faire la moindre violence, et il faudrait au contraire leur faire une extrême violence pour retenir leur pente na

turelle à s'exposer pour le bien du corps; et loin de se nuire les uns aux autres, ils s'exposent aussi les uns pour les autres. Mais les particuliers, qui sont les membres du corps politique, ayant leurs fins différentes et leurs intérêts séparés de celui du corps, ils considèrent peu la paix commune à l'égard du bien particulier qu'ils se proposent en la violant.

C'est pourquoi ce corps politique ne pouvant subsister comme le corps naturel par un concours universel et mutuel de tous ses membres dans une union volontaire, Dieu y a mis les principes d'une autre union par l'autorité des rois et des juges, qui contient ce corps et régit ces membres. Car le principal du devoir des rois est de prévenir les entreprises et les rebellions des membres contre le corps; et le principal du devoir des juges est de réprimer les injustices et les entreprises des membres entre eux.

Il serait facile de venir au détail de ces entreprises qui sont les occasions où les juges ont besoin de force; mais ce serait une longueur superflue que d'entreprendre ce qu'il y aurait à dire sur ce détail. Il suffit en un mot que les juges doivent s'animer de cette vertu dans toutes les rencontres où la justice se trouve opprimée; quand les riches oppriment les pauvres, quand les violens accablent les faibles, quand les seigneurs veulent abuser de l'autorité de la justice contre leurs justiciables, et dans toute sorte d'autres rencontres où les inégalités et les disproportions des particuliers opposés entre eux mettent l'injustice en balance contre la justice.

Ce n'est que pour ces sortes d'occasions que les juges sont établis, et Dieu ne leur donne sa place que pour les élever audessus du reste des hommes par le caractère et l'autorité qu'il ne leur communique, qu'afin qu'ils élèvent aussi la justice par leur force et par leur courage au-dessus de toutes les forces de l'injustice.

On dira peut-être que cette force est une vertu peu nécessaire aux juges dans les petites justices; mais nous pouvons dire tout au contraire qu'ils en ont autant ou plus de besoin que les plus grands juges, parce qu'il leur arrive souvent des occasions difficiles, et qu'étant dépouillés de l'éclat de la dignité qui environne et soutient les autres, ils ne peuvent soutenir que par leur vertu le caractère de la Divinité que leur donne le titre de juge, et ils doivent faire éclater du moins leur courage s'ils ne peuvent faire sentir leur autorité.

Ce courage suffit seul au juge pour résister à tous les efforts qu'on pourrait faire pour le corrompre, sans qu'il ait besoin d'aucunes forces extérieures pour se soutenir, et lors même qu'il faut entreprendre et qu'il faut agir, il ne laissera pas de remplir l'étendue de son devoir par les preuves qu'il pourra donner de sa resistance et de ses efforts contre l'injustice, et conservant par

cette conduite le respect et la dignité de son ministère, il préviendra même et arrêtera plusieurs injustices. Mais le juge qui manque de cette vertu, quelque dignité et quelques forces extérieures qu'il ait d'ailleurs, au lieu qu'il devrait étre une image vivante de la divinité qu'il représente dans sa fonction, ce ne sera, selon. l'expression d'un prophète, qu'une statue sans bras et sans yeux. Zach. 11. 17; et loin d'attirer le respect, il n'attirera que le mépris, non-seulement sur sa personne, mais encore sur sa dignité.

Nous voyons maintenant la vérité et l'importance de cette parole du sage; que celui qui n'a pas le courage et la force de s'élever pour la justice, et de briser la force opposée de la violence et de l'injustice, ne doit pas s'exposer à se faire juge. Eccle. 7. 6.; car le ministère des juges étant de tenir la place de Dieu, et d'être comme les cautions et les garans qu'il donne aux hommes pour la justice qu'il leur promet, afin de les garantir de l'oppression et de l'injustice, ils ne peuvent soutenir la grandeur de ce ministère que par leur courage et par une généreuse indignation qui les anime et les excite incessamment contre l'injustice, d'une manière digne de Dieu, et ceux qui manquent de ce courage ont déjà violé la première des règles qu'ils doivent s'ètre proposées en se faisant juges.

[ocr errors]

Ce devoir des juges dans cette place qu'ils doivent remplir nous fait comprendre le caractère d'un juge faible et d'un juge fort, et la différence de l'un et de l'autre, et cette opposition sera une dernière preuve de la nécessité indispensable où sont tous les juges d'avoir beaucoup de courage et beaucoup de force. Le juge faible n'est qu'une figure inanimée, une statue et un tronc informe qui déshonore la place qu'il occupe de la divinité vivante et qui n'est que l'objet du mépris et de la colère de Dieu et des hommes. Mais voici une description que nous trouvons dans l'écriture du caractère d'un juge fort. « Les premiers du peuple «< demeuraient en sa présence dans le silence et dans le respect, « et il était l'objet de l'admiration de la multitude, parce qu'il délivrait le pauvre et l'orphelin de l'oppression, et qu'il était l'appui et le vengeur des veuves et des misérables. Sa gloire était de relever ceux qui étaient sur le point de périr sans lui. « Son cœur était plein de l'amour et du zèle de la justice, et cette plénitude se répandait et éclatait au dehors dans toute sorte d'occasions. S'il lui survenait quelque obscurité dans la recher« che de la justice, il s'appliquait avec une extrême diligence pour la découvrir, et quand il voyait l'injustice, il s'élevait «contre les injustices, il brisait les efforts et la violence des méchans, et il leur arrachait la proie des mains. Job. 29. 9. et « seq. »

[ocr errors]
[ocr errors]

"

་་

[ocr errors]

Ces paroles divines nous donnent un exemple singulier et une pleine idée d'un juge fort, et si nous y ajoutions quelque chose,

nous ne ferions que les obscurcir et les affaiblir. Tous les juges pourront faire leurs réflexions particulières, selon leur usage, sur toutes les occasions, qui n'arrivent que trop souvent, d'exercer leur force contre les menaces, contre les promesses, contre les violences, contre les finesses, contre les chicanes, contre les sollicitations, contre les présens qui aveuglent et affaiblissent le cœur du juge (P. 177, 178.), contre leur propre fortune et leurs inté réts particuliers, et contre tous les autres obstacles qui peuvent s'élever contre la justice.

Nous n'ajouterons que deux simples réflexions qui ne sont que deux conséquences nécessaires des vérités que nous avons établies, mais que l'on ne sentirait peut-être pas comme les autres suites de ces principes sans une observation particulière. Nous croyons avoir montré que la paix est l'objet de la justice; c'est une conséquence très-évidente de ce principe, que les juges ne doivent jamais empêcher ni prévenir les accommodemens entre les parties; car, au lieu de la paix seulement extérieure qu'ils peuvent procurer par leurs jugemens et après beaucoup de dépenses et de longueurs, les accommodemens forment une paix plus prompte, plus entière et plus naturelle, et nous pouvons encore ajouter à cette première réflexion, qu'il est même quelquefois de la prudence et du devoir du juge, dans de certaines rencontres, de ménager les occasions de porter les parties à s'accommoder, et si ces voies d'accommodement ne sont pas des occasions aux juges d'exercer leur force contre les passions des autres, ils l'exerceront sur eux-mêmes contre leur avarice si elle les retenait de faire ce bien.

Nous pourrions en ce lieu représenter aux avocats le bon usage qu'ils peuvent faire de ces voies d'accommodemens; ils jugeront de leur devoir sur ce point par l'honneur qu'ils ont de participer au ministère de la justice et à la fonction de juges, puisqu'ils sont les premiers juges volontaires des parties par leurs conseils.

L'autre réflexion que nous avons à faire dépend de cette vérité que nous avons assez prouvée, que Dieu a etabli les juges principalement pour les faibles, les pauvres et les misérables, comme les plus exposés aux violences et aux injustices. Il s'ensuit de ce fondement que les juges doivent non-seulement la justice aux pauvres, mais qu'ils doivent la leur rendre gratuitement; autrement on pourrait prétendre que la justice n'est pas due aux pauvres, puisqu'on doit supposer qu'étant pauvres, ils n'ont pas le moyen de la demander si on la leur vend. Il n'y a point d'excuse pour couvrir une injustice aussi capitale qu'est celle de refuser la justice au pauvre faute d'argent, quelque usage contraire qu'on puisse alléguer, ou il faut penser que Dieu, qui a fait le juge pour venger le pauvre, pourrait lui permettre de l'a

bandonner parce qu'il est pauvre. Il est permis à tous les juges de quitter leurs charges, s'ils ne les acceptent avec cette condition qui n'en peut être séparée, de rendre gratuitement la justice aux pauvres; mais il ne peut leur être permis de demeurer juges sans s'y soumettre. Ce serait une témérité étrangement criminelle devant Dieu, et odieuse devant les hommes, que d'oser contredire cette vérité, et l'on ne pourrait le faire qu'inutilement; mais nous n'avons point de paroles pour exprimer la malice et la låcheté de ces juges qui, loin de rendre la justice aux pauvres et aux misérables, se servent de leur autorité pour les opprimer. Ce désordre assez fréquent mériterait un discours particulier; mais il faut d'autres remèdes que des paroles pour ceux dont l'aveuglement est venu jusqu'à cet excès.

Il ne nous reste, pour finir, que de lever une difficulté que nous craignons être restée dans quelques esprits sur ce que nous avons dit que le devoir des juges est de réprimer les injustices qui troublent l'ordre de la société des homines, afin d'en conserver la paix; car on pourra penser qu'il n'est pas possible que les juges arrêtent ou vengent toutes les injustices, ni qu'ils entretiennent une paix entière parmi les hommes; que Dieu même laisse arriver beaucoup de maux, qu'il en dissimule une infinité, et qu'il se laisse fléchir, et même oublie tous les crimes dont on se repent, et qu'ainsi les juges qui tiennent sa place peuvent aussi en user de même.

Il est vrai que Dieu permet une infinité de maux qu'il laisse arriver, et qu'il n'en punit même que très-peu par des punitions visibles qui éclatent en cette vie, et il est vrai encore qu'il pardonne et oublie plusieurs injustices: mais soit qu'il dissimule seulement, ou qu'il pardonne effectivement, il ne souffre jamais l'injustice; mais quand il pardonne, il rend justes les coupables, et i les punit en les corrigeant; et quand il dissimule, sa patience n'est qu'une colère lente et plus terrible que tous les supplices dont il laisse l'usage aux hommes; car, conduisant toutes choses en cette vie dans les secrets de sa sagesse qui fait servir à ses desseins toutes les injustices qu'il laisse arriver, il réserve à la fin des temps de rompre ce silence qu'il paraît maintenant garder, pour faire éclater seulement alors la force infinie de sa justice par une punition subite et universelle, qui accablera tout d'un coup toute l'iniquité de tous les injustes, sans qu'ils puissent après causer plus aucune guerre ni aucun trouble que dans eux

mêmes.

Mais les juges temporels qui ne sont établis que dans le ministère de la justice extérieure, n'ayant aucune part aux secrets de cette sagesse, ni aucun pouvoir de rendre justes les injustes et les criminels, et n'ayant aucun autre temps que le présent pour l'exercice de la justice qui leur est commise, ils ne peuvent ni dissimuler

« VorigeDoorgaan »