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les injustices ni les pardonner. Il est vrai que les princes souverains, qui représentent Dieu plus singulièrement et plus pleinement que le commun des juges et des magistrats, usent dans certaines occasions de leur puissance plus entière et plus absolue pour le pardon; mais c'est à la charge de rendre compte à Dieu de la manière dont ils en usent, et ce pouvoir n'ayant pas été confié aux juges, ils ne peuvent entreprendre de l'usurper.

Ainsi, nous voyons la différence que Dieu a mise entre la conduite qu'il laisse aux juges, et celle qu'il s'est réservée; car, au lieu qu'il cache sa justice en cette vie sous l'obscurité continuelle de ses desseins pour commencer de la faire paraître à l'ouverture d'une autre vie, il veut au contraire que celle des juges, qui doit finir quand sa justice éternelle commencera, fasse maintenant éclater sa force dans chaque occasion particulière qui en arrive.

Nous comprendrons encore mieux cette vérité par l'opposition des deux ministères du règne spirituel de la religion, et du règne temporel de la police, et par la conduite différente que Dieu a établie dans ces deux règnes.

Le ministère des juges dans la police ayant pour objet de réprimer les injustices extérieures, ils ont pour partage l'autorité, et la force qui doit animer cette autorité; le ministère des prêtres dans la religion, ayant pour objet non de punir l'injustice, mais de l'abolir et de rendre justes les plus criminels, le partage du sacerdoce est de compatir, parce que l'empire de la religion, qui est celui des cœurs, ne s'établit que par la tendresse et par la douceur, Hebr. 4. 15; c'est pourquoi saint Paul nous apprend que le prétre doit se considérer comme environné lui-même de faiblesses et d'infirmités, afin qu'il entre dans les sentimens de compassion et de tendresse pour gagner les cœurs, Hebr. 5. 8; mais nous apprenons du même saint Paul, que les puissances temporelles sont établies pour imprimer, non la tendresse et la douceur, mais la crainte et la terreur sur les esprits des injustes et des méchans, sur lesquels Dieu les a rendus les ministres de sa colère et de så vengeance. Rom. 13. 3. 4.

C'est par la raison de cette différence et de cette opposition des deux ministères de la religion et de la police, et du devoir du prêtre et du juge, que celui qui possède seul les deux qualités de juge et de pontife éternel a séparé ces deux avénemens pour l'usage différent de l'une et de l'autre de ces qualités. Joan. 5. 22. Ps. 109. 4. Heb. 5. 6. et 10. 12. Il est venu la première fois comme pontife, non pour juger, comme il a dit lui-même, mais plutôt pour étre jugé, et pour être lui-même la victime de son sacerdoce, afin d'étaler l'abondance de sa douceur et de sa benignite sans mélange de sa colère de juge, Joan. 3 17. 12. 47; car il n'en a presque jamais fait la fonction, et il l'a même refusée, quoiqu'il eût seul tout droit de juger; et il viendra la seconde fois comme

juge, étaler la gloire de sa justice, et tout l'éclat de sa vengeance et de sa colère contre toutes les injustices sans mélange de compassion. Luc. 12. 14. Jean. 8. 21. 15. Joan. 5. 22.

Cet ordre de la dispensation divine de la justice fait voir aux juges que leur partage est de n'avoir que de la colère contre l'injustice, et qu'ils n'en doivent souffrir aucune sans s'y opposer autant qu'ils le peuvent. Que si le torrent de la multitude des injustices, et les violences des personnes injustes surpassent le pouvoir des juges, leur courage au moins ne doit pas céder, et ils ne peuvent ni pardonner, ni dissimuler aucune injustice par faiblesse ou par lácheté; et si la qualité qu'ils ont de membres du corps politique, dont ils font partie comme le reste des hommes, les assujettit à toutes les faiblesses qui peuvent leur faire abandonner les intérêts de la justice, ils doivent se regarder, non comme de simples membres de ce corps, mais comme étant élevés au-dessus en qualité de chefs, et comme participant à la puissance divine qui leur est confiée, et dont les intérêts étant beaucoup plus importans, leur doivent être aussi beaucoup plus chers que les leurs propres.

Ce sont-là les bornes du pouvoir des juges, et l'étendue de leur devoir; leur force et leur autorité ne peuvent rien contre la justice, et ils la doivent tout entière contre l'injustice. Ceux qui, par leur faiblesse, violeront ou abandonneront ces devoirs dans la place de Dieu qu'ils osent remplir, seront eux-mêmes l'objet de cette justice, dont ils auront profané le ministère : ils en sentiront tout le poids et toute la force, et ils tomberont de cette place entre les mains de celui qui doit juger toutes les justices. Ps. 74. 2.

HARANGUE

prononcée à l'ouverture des audiences de l'année 1669.

Cette ouverture des audiences étant principalement établie pour le serment des avocats, comme les assises pour la convocation des juges, nous nous trouvons obligés de parler ici du devoir des avocats, comme aux assises de celui des juges; et il est juste que ces deux fonctions, qui sont les deux plus importantes dans l'exercice de la justice, partagent les remontrances que nous sommes obligés de faire en ce lieu.

Nous ne pouvons mieux connaître les règles du devoir des avocats, et par une voie plus simple et plus courte, qu'en considérant quel est leur ministère et leur fonction dans l'ordre de la justice mais parce que cette fonction n'a pas été établie dans le premier état de la justice comme celle des juges, et qu'elle y a été seulement introduite dans la suite des temps par des considérations qui l'ont rendue nécessaire, nous ne pouvons bien

juger du ministère pour lequel les avocats ont été établis, que par la connaissance de ce premier état de la justice, et de ces considérations qui les y ont rendus nécessaires; ce qui nous oblige à faire réflexion sur l'ordre que Dieu a établi pour la société civile parmi les hommes, qui est le fondement de cette justice, dont nous parlons, et sur les causes des injustices qui ont troublé cet ordre, et qui sont les mêmes qui ont donné sujet à l'établissement des avocats.

par

Cet ordre de la société civile est tel que tous les hommes naissent égaux en deux manières. Ils naissent égaux par la nature, c'est-à-dire, qu'il n'y a aucune différence d'homme à homme les simples qualités naturelles et personnelles, qui les rendent supérieurs ou dépendans les uns des autres; et ils naissent aussi égaux dans le besoin des créatures que Dieu a faites pour l'homme, tous ayant par leur naissance les mêmes besoins. Mais parce que la multitude ne pourrait se contenir dans ces deux sortes d'égalité, Dieu a établi des supériorités et des dépendances, ou par la naissance même, comme des pères sur les enfans, ou par la police des lois, comme des princes sur les peuples, et des juges sur les particuliers, afin de lier et de contenir, selon l'expression du sage, la multitude par ces dépendances; et pour affermir ces supériorités, il a fait aussi une différente dispensation de la possession des biens, et il a ainsi proportionné ces deux égalités naturelles et ces deux différences politiques pour contenir tous les hommes dans la société et dans l'unité; car la différence des conditions établies par l'ordre de Dieu fait que la multitude demeure soumise dans l'obéissance, personne ne pouvant s'élever au-dessus des autres que ceux que Dieu élève lui-même, comme dit S. Paul, et l'égalité naturelle fait que ceux qui sont au-dessus des autres se contiennent dans la modération par la vue de leur état naturel, qui les rend égaux à la multitude. Hebr. 5. Charte, 1, s.

Cet ordre est établi de cette manière pour réprimer deux passions capitales de tous les hommes, le désir de dominer, et le désir de posséder; le désir de posséder doit être borné par le besoin naturel, et par la différente dispensation que Dieu a faite dans la possession des biens; et le désir de dominer doit être arrêté par l'égalité naturelle, et par l'autorité de Dieu commise aux princes et aux juges; car c'est l'autorité de Dieu, dont ils sont les dépositaires, parce que, comme tous les hommes sont égaux par la nature, et que Dieu, qui est le seul juge naturel, ne veut pas juger lui-même visiblement en cette vie, il rend ceux qu'il élève au-dessus des autres, participans de son autorité, pour contenir la multitude dans l'ordre naturel qu'il a établi.

Mais ces mêmes passions, que cet ordre devait réprimer, l'ont violé et renversé dans tous ces points; car le désir de dominer,

d'être au-dessus des autres, et indépendant, a violé en cent manières et l'égalité naturelle et les dépendances établies par l'ordre de Dieu; et le désir de posséder et de remplir par la multitude des possessions la multiplicité infinie des désirs que forment la passion de l'indépendance, et toutes les autres passions qui sont les causes de ce désir de posséder, a violé les bornes du besoin propre, et la différente dispensation de la possession des biens: de sorte que le désir de l'indépendance causant les querelles d'honneur, le désir de posséder, les différends pour les biens, et l'un et l'autre, les entreprises sur la vie et sur les personnes, ces deux passions sont les sources de ce torrent d'injustices qui troublent l'ordre de la société civile, et qui sont le sujet de la justice que nous exerçons.

Voilà quelle est l'idée de cette société civile, et de la justice, établie pour maintenir l'autorité et la majesté de Dieu rendues visibles dans les tribunaux, pour réprimer les injustices que les hommes commettent entre eux. C'est dans cette idée que nous devons tous considérer nos diverses fonctions dans la justice, ceux qui la rendent, comme rendant le jugement de Dieu, selon l'expression de l'écriture, et ceux qui la demandent, comme demandant et attendant ce même jugement de la bouche des juges.

Si tous ceux qui ont eu des différends avaient considéré la justice de cette manière, et qu'ils eussent recouru aux juges avec le respect et la sincérité qu'ils doivent à Dieu, la fonction des avocats et celle des procureurs auraient été peu nécessaires. Mais il est arrivé que ces mêmes passions, qui ont porté les hommes à entreprendre les uns sur les autres, les ont aussi portés au mépris même de l'autorité, et jusques dans les tribunaux, où les plaideurs injustes se sont portés à deux excès que les juges n'ont pu souffrir; car ils ont violé le respect qu'ils devaient à l'autorité des juges par des emportemens et des paroles indécentes, et ils ont violé la vérité et la sincérité qu'ils devaient à la justice par des suppositions, des faussetés et autres semblables artifices, parce que, ne pouvant user ni de la force contre l'autorité qui leur résiste, ni de la justice qui les condamne, ils se portent à couvrir leur injustice des apparences de la justice par le mensonge et les faussetés. Ç'a été la première cause qui a introduit les procureurs et les avocats, au lieu des parties, dans les jugemens, pour y introduire la modération et la vérité, au lieu des emportemens et des faussetés, qu'on ne pouvait étouffer dans la bouche des parties: de sorte que, par ce premier motif, les procureurs et les avocats sont comme les parties dépouillées de leurs passions.

Mais, outre cette cause commune aux avocals et aux procureurs, il y en a une autre particulière pour l'établissement des

avocats; car la multiplicité infinie des injustices que ces deux passions ont produites, ayant donné sujet à une infinité de lois, et ces lois ayant été suivies de nouveaux différends, ou par leur obscurité ou par les événemens infinis qu'elles n'ont pu prévoir, il n'a plus été possible aux particuliers, ni par le bon sens, ni par la bonne foi, de défendre eux-mêmes, ni même de connaître en plusieurs rencontres la justice de leurs intérêts: de sorte qu'on a eu besoin de personnes instruites de l'interprétation des lois, et ç'a été la seconde cause de la nécessité des avocats.

Il paraît par ces deux causes de l'établissement des avocats que leur ministère renferme deux fonctions différentes, qui sont tout ensemble les fondemens et de la dignité de leur profession et des règles de leur devoir; celle du conseil qu'ils doivent donner aux parties, et celle de la défense des causes qu'ils ont conseillées. Dans le conseil ils font la fonction de juges envers leurs parties, et dans la défense des causes ils représentent les parties devant les juges; comme juges et les premiers juges de leurs parties, ils doivent leur prononcer la justice et la vérité, comme leur prononçant le jugement même de Dieu; et comme leurs défenseurs, ils doivent représenter les parties comme dépouillées de leurs passions, et les défendre devant les juges comme devant Dieu: de sorte que les avocats sont comme les médiateurs de la vérité et de la justice entre les juges et les parties; car ils en sont les dispensateurs envers les parties, et ils en sont les défenseurs envers les juges. C'est cette dignité de leur ministère qui leur donne cet avantage; que comme l'écriture a donné le nom de Dieux à ceux à qui Dieu commet son autorité en les faisant juges des autres hommes, elle a donné le nom d'avocat à celui qui a été choisi pour étre tout ensemble le médiateur envers Dieu et le juge de tous les hommes.

Il n'est pas maintenant difficile de voir quelles sont les règles du devoir des avocats; cette idée de leur ministère en découvre les principes et tout le détail, et nous pouvons dire par occasion que les procureurs peuvent y voir aussi à quoi ils sont obligés pour s'acquitter de leur fonction. On voit que nous ne parlons ici que des devoirs les plus essentiels, et qui regardent l'honneur de la profession des avocats; nous aurions bien à leur parler aussi d'autres choses assez importantes, et entre autres de la brièveté à laquelle ils sont obligés dans leurs plaidoyers, et à leur faire voir combien cette brièveté est importante, surtout à présent que toutes les causes se doivent porter aux audiences, et combien ils y sont obligés, même par leur serment de garder les ordonnances, parce qu'elles les obligent à la brièveté, et que cette obligation n'est fondée que sur la vérité et sur le bon sens; car la vérité les oblige à retrancher les faits supposés et les raisons fausses, comme le bon sens les oblige à retrancher les redites, les discours

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