Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

inutiles, et toutes les autres superfluités si contraires à l'éloquence, dont le principal ornement est de réduire au naturel la lumière et la force de la vérité; mais ce sujet demanderait un discours entier; il ne nous reste pour conclure, comme nous nous le sommes proposé, que d'expliquer en peu de paroles de quelle manière les avocats et les procureurs aussi ne doivent jamais soutenir que la justice et la vérité. Il y a trois sortes de causes qui les occupent, les causes évidemment injustes, les causes évidemment justes, et les causes douteuses.

Pour les causes évidemment injustes, soit contre le droit naturel, soit contre le droit positif, il est évident qu'il n'y a aucune manière permise de les soutenir, non plus qu'il n'y en a aucune de dérober le bien d'autrui, et qu'il ne peut jamais être juste de soutenir une injustice; que si les parties ne peuvent entreprendre ces sortes de causes sans abandonner leur conscience et commettre un crime odieux aux hommes, et d'autant plus grand devant Dieu, qu'ils prennent son autorité pour l'instrument de leur injustice, les avocats et les procureurs qui les défendent sont d'autant plus coupables, qu'ils se rendent complices de la malice de leurs parties, et prévaricateurs de leur ministère, et dans leur devoir essentiel, qui est de détourner leurs parties d'entreprendre des causes injustes mais ceux qui les entreprennent contre les pauvres et les autres personnes misérables se rendent encore complices d'une espèce de sacrilége dont on ne saurait assez exagérer l'énormité. L'écriture compare l'oblation de celui qui offre à Dieu en aumône ou en sacrifice le bien des pauvres, à l'oblation que ferait à un père celui qui immolerait son fils à ses yeux; qui offert sacrificium ex substantia pauperum quasi qui victimat filium in conspectu patris sui. Eccl. 34. 24. Par quelle expression pourrait-elle marquer l'action de ceux qui se présentent au tribunal, non de la miséricorde, mais de la justice de Dieu; non pour lui offrir le bien d'autrui et s'en dépouiller, mais pour l'arracher de la possession des autres, et se le rendre propre, et qui osent invoquer Dieu et le juge, ministre de son autorité, pour le rendre exécuteur de cette injustice?

Pour les causes justes, la seule règle est de ne les défendre que par les voies justes, sans mensonge et sans artifice; car si les actions connues justes d'elles-mêmes, deviennent injustes lorsqu'elles ne sont pas faites avec toutes les circonstances de la justice, selon cette parole du sage: qui custodierint justa justė justificabuntur, Sap. 6. 11, à plus forte raison, les actions de justice même doivent être accompagnées de la vérité et de la justice; et si tous les hommes se doivent entre eux et dans toutes leurs actions la vérité et la sincérité de Dieu, selon l'expression de saint Paul, ils la doivent infiniment plus à Dieu méme et dans son tribunal qui est la justice. 2. Co. 1, 12,

Pour les causes douteuses, la principale règle est de ne pas prendre pour douteuses les causes qu'on peut rendre telles en couvrant l'injustice des apparences de la justice, mais de prendre sincèrement pour douteuses celles seulement dont les décisions sont incertaines, ou par les circonstances des faits, ou par l'obscurité du droit, ou par d'autres considérations qui mettent la justice en balance : dans ces sortes de causes, les avocats doivent se déterminer par leur lumière et leur conscience, et ils ne doivent les entreprendre ni les défendre que de la même manière, et par les mêmes voies que les causes justes.

Toutes ces règles du devoir des avocats se réduisent à deux maximes, l'une, de ne jamais soutenir une cause injuste, et l'autre, de ne soutenir les causes justes que par les voies de la justice; et ces deux maximes sont si essentielles au devoir des avocats et si indispensables, qu'encore qu'elles paraissent plutôt des maximes de religion que du barreau, elles sont en propres termes dans les lois civiles, et non-seulement elles y sont en maximes, mais en règles, dont les lois obligent les avocats de faire serment, et un serment nou-seulement général, mais qu'elles obligent les avocats de réitérer dans chaque cause, par lequel ils juraient deux choses, l'une, qu'ils la croyaient juste, et l'autre, qu'ils n'y useraient d'aucune chicane, ni d'aucune mauvaise voie; les avocats savent ces lois et ces sermens.

L'on ne doit pas s'imaginer, ni que ces lois puissent être affaiblies par aucun usage contraire, ni que les avocats soient dispensés de l'obligation de ces sermens, parce qu'ils ne les font plus singulièrement et en propres termes, il n'y a aucune prescription contre le sens commun et les bonnes mœurs; et quand il n'y aurait aucun serment, ni aucune loi qui obligeât les avocats à ne point soutenir de causes injustes, et à ne soutenir ni l'injustice, ni le mensonge, ni se servir d'aucune voie injuste dans les causes justes, l'obligation naturelle subsiste inviolable, indispensable, et infiniment plus forte qu'aucune loi. Nous obscurcirions l'évidence de cette vérité, si nous ajoutions de nouvelles preuves; la justice et la vérité sont les règles de l'honneur et de la conscience dans toute sorte de professions; mais si celle des avocats a quelque avantage au-dessus des autres, c'est le point d'exactitude et de pureté, auquel ils sont obligés de porter l'honneur de la vérité et de la justice. Tous les avocats sont assez persuadés de cette dignité de leur profession, qu'ils demeurent tous aussi convaincus de la fidélité avec laquelle ils sont obligés de la soutenir, et de l'amour qu'ils doivent avoir pour la justice et la vérité, puisqu'ils en sont les dispensateurs et les défenseurs.

HARANGUE

Prononcée aux assises de l'année 1670.

Si, parmi les devoirs des particuliers, il est nécessaire qu'ils soient instruits de ceux qui regardent leur conduite dans la société commune et dans le public, il est bien plus important que les juges, qui doivent contenir les particuliers dans l'ordre de cette société, soient eux-mêmes instruits des règles qu'ils doivent şavoir pour garder cet ordre.

C'était dans la vue de cette importance de l'instruction des juges, que les assises ont été autrefois établies, et que leur premier usage était, d'une part, d'instruire les juges par des discours et par la lecture des ordonnnances, et de l'autre, de venger leurs injustices sur les plaintes publiques, qui en étaient reçues dans ces assemblées. Mais il ne reste de cette coatume que la partie la moins utile, et nous sommes réduits à parler du devoir des juges, mais seulement à en parler; de sorte que tout ce que nous pouvons ici, c'est d'essayer par nos paroles de mettre les juges en état de se juger eux-mêmes dans le secret, en leur représentant les règles sur lesquelles ils étaient autrefois jugés en public.

Pour bien entendre les règles du devoir des juges, il en faut rechercher les principes dans l'ordre avec lequel Dieu a établi la justice et le ministère des juges : la justice n'est autre chose que le bon ordre de l'état où Dieu a placé l'homme dans cette vie, et cet état de l'homme consiste en trois divers rapports à trois objets différens qui l'environnent; l'un à Dieu pour lequel il a été créé, l'autre aux créatures qui sont créées pour lui, et le troisième des hommes entre eux. L'homme se rapporte à Dieu par une dépendance absolue qui l'élève et l'attache à Dieu en tout ce qu'il est et tout ce qu'il peut, comme à la cause et à la fin unique de son être et de ses puissances. L'homme se rapporte aux créatures pour l'usage qu'il en peut faire pour ses besoins; et le troisième rapport des hommes entre eux, consiste dans les liaisons de tous leurs devoirs mutuels.

Nous n'entrons pas dans le détail de ces trois devoirs, on voit assez qu'ils renferment toute la justice des hommes, et qu'ils sont l'objet de toutes les lois divines et humaines, spirituelles et temporelles; mais il suffit pour notre sujet d'observer que, comme il n'y a que Dieu seul qui ait pu par sa lumière former cet ordre, et y proportionner les lois qui doivent le maintenir, il n'y a que lui seul aussi qui puisse, par une autorité naturelle, contenir les hommes dans l'obéissance à ces lois. Ainsi, c'est proprement Dieu qui est le seul juge de tous les hommes par son autorité

divine, comme il est l'unique législateur par la lumière naturelle de ces premiers devoirs qu'il a répandue dans l'esprit de l'homme; et comme toutes les lois particulières que les hommes ont faites ne sont que des productions de cette lumière divine, toute l'autorité des juges n'est aussi qu'une dépendance et une participation de l'autorité et de la puissance de Dieu. C'est par cette raison qu'il est dit si souvent dans l'écriture que les juges exercent le jugement et la puissance de Dieu, et qu'ils sont même appelés des Dieux, parce qu'ils participent au ministère de juge, qui est propre à Dieu, et qu'ils sont les dépositaires et les dispensateurs de sa lumière et de son autorité; et il semble que c'est par une impression de cette première lumière naturelle restée parmi les ténèbres du paganisme, que quelques anciens ont eu cette pensée, que les jugemens devaient se prononcer sur les autels comme une fonction divine.

Et c'est encore par cette même raison, et pour faire voir que la fonction de juge est une fonction divine, que Dieu ayant conduit l'homme par trois divers degrés de cette lumière des devoirs de l'homme, qui font ces trois états de l'homme, qu'on appelle la loi de nature, la loi écrite, et la loi de grace, chacun de ces états a eu son législateur et son juge, qui n'ont exercé cette fonction que dans la lumière et l'autorité divine, et comme un ministère divin.

Dans le premier état, Dieu a paru lui-même le législateur et le juge pendant le temps qu'on appelle la loi de nature; il a fait la fonction de législateur par la lumière naturelle inspirée au premier homme et à ses enfans, quoiqu'en des manières différentes; et il a fait la fonction de vengeur de la loi et de juge, mais de juge universel, par la punition générale de tous les hommes dans le deluge; et il a signalé par ce miracle prodigieux la grandeur de son nom de juge.

Dans le second état, il a établi un homme à sa place, qu'il a fait le législateur et le juge de la seconde publication de sa loi; et pour faire voir que cette qualité était encore dans cet homme une fonction divine, il l'a accompagnée d'une infinité de punitions miraculeuses et d'autres miracles.

Et dans le troisième état, il a établi un nouveau législateur et un nouveau juge, qui a publié la dernière perfection de cette loi; mais, parce que ce nouveau juge était non-seulement juge et législateur, mais encore, s'il nous est permis d'user de ce mot, justificateur et réparateur de l'homme, pour le rétablir dans la perfection de la justice, et que la fin principale de ce nouveau législateur était, non de punir l'homme, mais de le justifier, il a divisé son ministère en deux temps; et, au lieu que Moïse a fait en même temps la double fonction de législateur et de juge, et fait éclater l'une et l'autre par plusieurs miracles, JÉSUS-CHRIST

n'a fait dans son premier avénement que la fonction de législateur, avec une infinité de miracles, de justificateur et libérateur; et ik a réservé sa fonction et ses miracles de juge à son second avénement, où il paraîtra comme le seul juge à qui tout le jugement a été donné, ainsi qu'il a dit de soi-meme: mais cependant il laisse dans l'univers l'exercice de son double ministère à deux sortes de puissances qui le partagent; et comme il est juge et tout ensemble justificateur, il laisse le ministère intérieur de la justification aux ministres de son église, et ce ministère forme la religion, qui est la justice des cœurs; et il laisse le ministère extérieur de juge et de vengeur à tous les juges, qu'il rend les dispensateurs de la lumière divine des lois, et les dépositaires temporels de son autorité et de sa puissance, pour venger et maintenir l'ordre de ces lois, en réprimant les désordres extérieurs que commettent contre cet ordre ceux que le ministère spirituel de la religion n'a pas retenus, et qui troublent en public et dans l'extérieur ou la dépendance de Dieu, ou la société des hommes, ou le bon usage des créatures, qui sont les devoirs généraux des hommes.

Nous voyons, par cette suite de la conduite de Dieu pour la justice, que les juges sont les dépositaires et les dispensateurs de la lumière et de l'autorité divine, et qu'ils tiennent dans cette fonction la place de Dieu. Cette grandeur de la fonction des juges doit imprimer plus de terreur dans leurs esprits par la vue d'un ministère si redoutable, qu'ils n'en peuvent imprimer euxmêmes sur les particuliers qui leur sont soumis, et elle doit en même temps leur faire connaître les qualités qu'ils doivent avoir pour s'acquitter de ce ministère.

Puisque les juges sont les dispensateurs de la lumière divine des lois, leur première qualité c'est la lumière et l'intelligence pour discerner la justice d'avec l'injustice; et puisqu'ils sont les dépositaires de l'autorité divine, leur seconde qualité c'est la force et le courage pour soutenir cette autorité, et maintenir la justice contre l'injustice; mais ces deux qualités si nécessaires à tous les juges ne peuvent subsister sans une troisième, qui est l'amour de la justice, sans lequel le juge ne peut avoir ni aucune lumière, ni aucune force; et c'est ici la grande règle du devoir des juges.

C'est pour nous faire comprendre l'importance de cette régle, que le livre de la sagesse, qui commence par s'adresser aux juges comme à ceux dont le devoir est le premier de tous les devoirs, commence ce premier devoir par ce précepte qui ren-ferme tous les autres: aimez la justice, vous qui jugez la terre. Sap. 1.

Pour comprendre la force et l'étendue de cette parole, il n'y a qu'à comprendre la force et l'étendue de l'amour, et qu'elle est

« VorigeDoorgaan »