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la nature de ce principe de toutes les actions des hommes. Comme l'homme ne peut agir que pour une fin, et que la fin n'est autre chose qu'un objet qui plaît, et qui attire la volonté, c'est la pente vers cette fin qu'on appelle amour. Ainsi, c'est l'amour qui est le principe universel de toutes les actions des hommes: ce qui a fait dire à un père de l'église, que l'amour est un poids qui nous porte à tous les objets, où nous nous portons comme les autres créatures se portent par leur poids au lieu qui leur est naturel. St. Aug. Car, comme Dieu a donné le poids et les autres pentes naturelles aux créatures, qui les portent chacune en son lieu pour conserver l'ordre de l'univers, il a donné l'amour à l'homme comme une pente qui doit le porter à cet ordre, dont nous avons parlé, qui fait sa justice: de sorte que, comme les particuliers ne peuvent se porter à leurs devoirs que par l'amour, le devoir des juges consiste dans l'amour qu'ils doivent avoir pour l'ordre universel; mais cet amour est singulièrement et absolument nécessaire pour conserver la lumière et la force des juges, qui sont les fondemens de tous leurs devoirs.

Pour ce qui est de la force, on jugera de la nécessité qu'il y a d'aimer la justice pour conserver cette force, si on fait réflexion sur deux effets naturels de l'amour, et qu'il ne manque jamais de produire. Comme l'amour est un poids et une pente, il s'ensuit, et c'est le premier effet de l'amour, que la même volonté ne peut jamais se porter à deux objets contraires, non plus qu'elle ne peut avoir deux pentes opposées; car, comme il est dit dans l'évangile, ces deux objets opposés sont deux maítres qu'un méme esclave ne peut servir. Mat. 6. 24.; et il s'en-suit aussi de cette pente, et c'est le second effet de l'amour, qu'étant un poids, on ne manque jamais de se porter à l'objet qu'on aime, et qu'on s'y porte de toutes ses forces: ce qui a fait dire à saint-Paul, que l'amant est esclave de l'objet qu'il aime, que celui qui aime la justice est esclave de la justice, et que celui qui aime l'injustice est esclave de l'injustice, parce que l'amant est comme l'esclave qui ne possède et ne fait rien que pour son maître. Rom. 6. C'est dans cette pente et dans cette attache que consiste la force infinie de l'amour, que l'écriture compare à la force invincible de la mort; car, comme rien ne résiste à la puissance de la mort, il n'y a rien aussi dans l'homme qai résiste à la puissance de l'amour. Cant. 8. 6.; et c'est au contraire l'amour lui-même qui fait agir toutes les puissances de l'homme, et qui les fait agir de toutes leurs forces: il est facile de comprendre sur ces principes, que si un juge n'aime la justice, il n'aura aucune force pour la soutenir; et que si au contraire il aime quelque objet opposé à la justice, il n'aura de la force que pour l'injustice.

Que si l'amour de la justice est si nécessaire pour conserver

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la force du juge, il ne l'est pas moins pour conserver sa lumière et sa connaissance; car c'est le propre de l'amour qu'il ne reçoit point d'autre impression que de ce qu'il aime c'est cet objet qui fait toute sa lumière et tout son attrait par la vue du bien qu'il y trouve, qui l'attire et l'assujettit, et ce n'est que par cette lumière qu'il forme sa conduite, et qu'il juge ensuite des autres objets. Ainsi, celui qui aime la justice reçoit les impressions de la lumière de cet objet; il s'y soumet et s'y assujettit, et c'est ensuite par cette lumière qu'il se conduit et juge du reste. Et de méme au contraire, ceux qui aiment par d'autres amours qu'on appelle les passions, c'est-à-dire, les maladies de la volonté qui sont toutes ses pentes à d'autres objets que la justice, ils reçoivent les impressions et les attraits des objets de ces passions qui leur tiennent lieu de lumière à laquelle ils s'assujettissent, et c'est ensuite par ces fausses lumières qu'ils s'aveuglent dans leur conduite et dans le jugement des autres objets. Nous voyons, par cet effet de l'amour, que celui de la justice doit étre la lumière des juges comme il est leur force, et que s'ils en manquent, ils tomberont dans l'aveuglement et dans la faiblesse. Après l'ouverture de ces principes généraux des devoirs des juges et des causes qui peuvent les corrompre, il est facile de connaître le détail de toutes les causes particulières de la corruption des juges. Tout ce qu'un juge peut aimer contre la justice, parens, amis, présens, tous ces objets et tous les autres semblables qu'on peut penser, sont autant de causes qui peuvent corrompre les juges, parce qu'ils sont des objets dont l'amour peut obscurcir la lumière et affaiblir la force du juge, et c'est par cette raison que les lois civiles ont pourvu à les retrancher. Elles ont, par exemple, défendu aux juges de connaître des causes de leurs proches, parce qu'elles ont supposé qu'on a de l'amour pour ses parens, pr. 44, 45, s. i. 399. 332, et que l'amour de leur intérêt pourrait emporter celui de la justice; elles ont défendu les présens, car on ne peut les recevoir sans les aimer, et ceux qui les donnent. P. 177. Il en est de même de toutes les autres précautions des lois pour prévenir la corruption des juges. Toutes les récusations ne sont établies que sur ce fondement d'ôter au juge l'occasion d'un objet dont l'amour pourrait être opposé à celui de la justice; mais, parce que les lois n'ont pu défendre aux juges toutes ces sortes d'occasions, ils doivent eux-mêmes employer leur Inmière et leur force, ou pour résister aux affections qui peuvent les corrompre, ou pour s'abstenir de rendre justice lorsqu'elles les mettent en péril de s'en affaiblir.

Que si les juges sont obligés de résister aux affections secrètes qui peuvent les affaiblir, ils sont bien plus obligés de se dépouiller des passions ouvertes qui ne sont pas de simples mouvemens, mais qui sont des emportemens violens de la volonté qui produisent les injustices les plus capitales: l'amour de l'ar

gent, par exemple, ou le désir de se venger, sont des amours violens qui entraînent tellement l'esprit et le cœur du juge, qu'il s'abandonne aux dernières corruptions; il vend ou la justice, ou l'injustice, ou la punition, ou l'impunité, pour l'objet de son amour, qui est l'argent; il sacrifie à l'amour de la vengeance les justes intérêts de son ennemi, et, prostituant à ses passions l'autorité de Dieu dont il tient la place, il le fait servir à son injustice.

Tout le monde comprend et abhorre l'excès de cette espèce d'iniquité, qui est le comble de l'injustice, et rien ne peut si justement attirer la haine publique, parce que c'est le dernier renversement de l'ordre public, et une profanation sacrilége des premiers fondemens de la loi divine. Cette loi, dont l'esprit est toujours notre première règle, condamnait à la mort les particuliers qui s'élevaient à la moindre insolence contre la loi, parce que c'était s'élever contre Dieu même, auteur de la loi, Anima quae per superbiam aliquid commiserit, quoniam adversus Dominum rebellis fuit, peribit. Num. 15. 30. Les juges pouvaient venger par la mort la rebellion des particuliers; mais pendant que les juges jouissent et abusent de l'autorité, qui vengera leurs injustices? Un saint juge et un saint roi souhaite pour la punition des mauvais juges la précipitation du haut des rochers, parce que, comme les juges sont élevés au haut du rocher, et unis à la pierre, selon l'expression de l'écriture, c'est-à-dire à l'immutabilité de la justice et de l'autorité divine, rien n'est plus naturel pour leur punition qu'une chute proportionnée à la profanation qu'ils ont faite d'un ministère si élevé que celui de juge, et le souhait de ce prophète arrivera d'une manière invisible à tous les juges qui auront profané ce ministère par leurs injustices.

Ce sujet et tout le reste du devoir des juges mériteraient un plus long discours; mais il faut finir; et comme nous avons vu que tous les devoirs des juges se réduisent à conserver la lumière et la force par l'amour de la justice, nous ne pouvons mieux finir que par trois paroles qui sont trois oracles de la sagesse divine, qui contiennent ces trois préceptes du devoir des juges, erudimini qui judicatis terram. Psal. 2. 10. Instruisez-vous, juges de la terre, et remplissez-vous de la lumière de la justice. Noli quæ rere fieri judex si non valeas virtute irrumpere iniquitates. Eccle. 7. 6. Ne vous exposez pas à vous faire juges si vous n'avez la force de résister à l'injustice, et d'en briser les efforts et la violence. Diligite justitiam qui judicatis terram. Sap. 1. Aimez la justice, vous qui jugez la terre, afin que l'attrait de cet objet soit votre lumière et votre force contre toutes les fausses lumières et tous les efforts des amours contraires.

HARANGUE

prononcée aux assises de l'année 1671.

L'écriture, qui nous apprend les devoirs, de toute sorte de conditions, nous a marqué celui des juges d'une manière toute singulière; car, pour nous faire comprendre l'importance de ce devoir et la grande application que les juges doivent avoir pour s'en acquitter, elle a donné une idée de la grandeur du ministère des juges, qui surpasse infiniment tout ce qu'on aurait pu s'en imaginer, et en même temps elle a marqué les qualités que les juges doivent avoir pour soutenir cette dignité. Elle donne aux juges le nom de Dieux, Ego dixi dii estis. Ps. 18. Ex. 22. 28 : ce qu'elle répète en plusieurs endroits, et l'évangile nous apprend que c'est avec vérité que ce nom leur est donné, pour faire voir que Dieu communique aux juges une autorité qui n'est naturelle qu'à lui seul, comme il est seul l'unique juge de tous les hommes; et c'est pourquoi la même écriture apprend aussi aux juges que ce n'est pas leur jugement qu'ils doivent rendre, mais celui de Dieu, Non enim hominis exercetis judicium, sed domini. Paral. 2. 19.

Il est donc bien juste que les juges qui tiennent la place de Dieu, et qui doivent rendre ses jugemens, exercent ce ministère avec les qualités que lui-mème a marquées et qu'il exige de tous ceux qui entreprennent cette fonction. Il en demande quatre principales, la force, la crainte de Dieu, l'amour de la vérité, et la haine de l'avarice. Ce sont ces quatre parties sur lesquelles l'écriture nous apprend que Moïse fit le choix des juges qui devaient juger sous lui des moindres différends du peuple. Provide de omni plebe viros potentes et timentes Deum in quibus sit veritas, et qui oderint avaritiam.... quidquid autem majus fuerit referunt ad te, et ipsi minora tantummodo judicent. Exod. 18. 22.

Par la force, les juges doivent s'élever au-dessus de tous les efforts de l'iniquité, et se rendre indépendans par leur courage de tout ce qui pourrait les corrompre et les porter à l'injustice, comme Dieu par son indépendance naturelle est au-dessus de toute faiblesse.

Par la crainte de Dieu, les juges doivent entrer dans les jugemens de celui dont ils tiennent la place, et regarder toujours avec tremblement s'ils usent dans chaque occasion de son autorité qu'ils dispenscnt, comme lui-même en userait s'il se rendait visible pour l'exercer.

Par l'amour de la vérité, qui doit être tel dans le cœur des juges, selon l'expression de l'écriture, que la vérité réside en eux, in quibus sit veritas, les juges discernent la vérité dans le mensonge, la justice dans l'injustice, et ils embrassent la justice

et la vérité sans la perdre de vue par l'obscurité et les nuages des passions, comme Dieu, qui est lui-même la vérité et incapable des passions, dissipe le mensonge et l'injustice par la lumière de sa vérité.

Par la haine de l'avarice, les juges se mettent au-dessus de tout intérêt, et tenant la place de Dieu qui est au-dessus de toutes choses, parce qu'il est lui-même son propre bien et sa fin unique, ils regardent la justice comme leur fin; et dans cette vue, non-seulement ils méprisent les biens qu'ils pourraient acquérir par l'injustice, mais ils ne craignent pas même les pertes qui pourraient leur arriver pour rendre justice.

C'est donc en ces quatre qualités que consiste le devoir des juges et comme les devoirs de toute sorte de conditions sont nne imitation de Dieu dans l'étendue infinie de ses perfections, et que tous les hommes qui sont ses enfans sont obligés à imiter Dieu, selon cette parole de saint-Paul, Estote imitatores Dei sicut fili, les juges, qui sont eux-mêmes des dieux, sont obligés à cette imitation d'une manière toute particulière, et c'est par ces quatre qualités qu'ils doivent former cette expression de Dieu dans leurs jugemens.

Nous avons autrefois parlé de la force nécessaire aux juges, nous avons aussi parlé de l'amour de la vérité, et c'est maintenant une suite naturelle que nous parlions de la haine de l'avarice.

Pour bien comprendre combien les juges sont obligés de haïr l'avarice, et combien elle est contraire à tous leurs devoirs, il faut connaître auparavant en général les caractères et les effets de cette passion. Il n'y a point de crimes dont l'écriture ait exprimé la matière avec plus de force que de l'avarice, elle la nomme la source de tous les maux, radix omnium malorum. 1. Tim. 6. 9. 10., et elle la nomme encore une idolâtrie, idolorum servitus. Eph. 5. 5.; et ces deux caractères de l'avarice que nous apprenons de saint-Paul sont un effet de cette vérité de l'évangile. Col. 3. 5., que le bien qui fait l'objet de l'avarice est un mattre, et comme un Dieu dont l'avare est adorateur, que ce maître sépare celui qui le sert du culte du véritable Dieu qui est le seul maître, et qu'on ne peut servir avec l'autre. Matth. 24. 6.; ainsi l'avarice est une idolâtrie, et elle est encore la source de tous les maux par l'abandonnement du véritable maître qui est la source de tous les biens, et par l'attache à ce faux maître qui est l'instrument de tous les maux. Et comme toutes les lois divines et humaines se réduisent aux deux préceptes de l'amour de Dieu et de l'amour du prochain. Matth. 22. 40., et que ces deux préceptes sont les fondemens de tous les devoirs envers Dieu et envers les hommes, l'avarice ruine ces deux fondemens, et elle est encore en ce sens la source de tous les maux : car elle ruine le premier

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