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précepte dans toute son étendue jusqu'à l'excès de l'idolâtrie, comme nous venons de le faire voir; et elle ruine le second précepte, car l'avare cesse d'aimer son prochain comme soi-même, et il cesse même de l'aimer, non-seulement par cette raison tirée de l'écriture et qui est un des fondemens de la religion, que l'amour de Dieu et celui du prochain sont inséparables, Jean 4. 20. 21, mais encore par cette raison particulière à l'avarice, que l'avare prend son bien pour l'objet de son idolâtrie, auquel il rapporte uniquement son temps, son travail et son affection, de sorte qu'il prive le prochain de tous les devoirs; car c'est ce temps, ce travail, cette affection, et même ce bien, qui doivent être les instrumens de tous les devoirs que demande l'amour du prochain.

Nous voyons, par ces principes de l'évangile, en quoi consiste l'iniquité de l'avarice, et avec combien de vérité l'écriture l'appelle une idolâtrie et la source de tous les maux, puisqu'elle ruine les fondemens de tous les devoirs envers Dieu et envers les hommes. Ce qui a fait dire à l'Ecclésiastique qu'il n'y a rien de si méchant qu'un avare; mais cette expression n'est pas assez forte pour exprimer celle de l'Ecclésiastique, avaro nihil est scelestius. Eccle. 10. 9. On voit assez que toutes ces vérités que l'écriture nous apprend de l'iniquité de l'avarice, ne s'entendent pas des larcins, des fraudes, des concussions et des autres désordres que l'avarice peut causer, mais qu'elles s'entendent évidemment de la simple avarice, comme il paraît par les passages de saintPaul et de l'évangile que nous avons touchés, et encore trèsexpressément par la suite de ce passage de l'Ecclésiastique : car, après cette parole, avaro nihil est scelestius, il ajoute: nihil est iniquius quàm amare pecuniam. Eccle. 10. 10.

Que si la simple avarice dans l'usage profane des biens temporels est un si grand crime, qu'elle soit appelée avec vérité une idolatrie et la source de tous les maux, quel nom pourra-t-on donner à l'avarice des juges dans le ministère divin de la dispensation de la justice? Mais pour mieux comprendre combien la simple avarice des juges est plus criminelle que celle des autres, il est encore nécessaire de remarquer que si les particuliers avares violent les deux premiers préceptes, les juges avares les violent d'une manière bien plus criminelle; car pour le premier précepte, si les particuliers perdent la qualité d'enfans de Dieu par l'avarice, et qu'en se séparant de sa providence et de son amour par l'attache au bien, ils tombent dans l'idolâtrie; les juges qui sont non-seulement les enfans de Dieu, mais qui sont eux-mêmes appelés des dieux, parce qu'ils tiennent la place de Dieu, pour maintenir l'ordre de cette providence parmi les hommes dans la possession des biens temporels, et pour réprimer l'avarice des particuliers qui troublent cet ordre, lorsqu'ils souillent leurs fonctions par l'avarice, ils profanent le ministère

de Dieu qu'ils exercent, ils déshonorent son nom qu'ils portent, et ils rendent ce ministère divin, le ministère de l'iniquité, et l'autorité de Dieu, l'instrument de l'idolâtrie.

Et pour ce qui est du second précepte qui consiste aux devoirs mutuels des hommes entre eux, comme des membres d'un même corps, les juges, qui sont comme les chefs de ce corps, sont bien plus coupables lorsqu'ils manquent par l'avarice à ce qu'ils doivent à ce corps et à ses membres, que les particuliers qui manquent par l'avarice à ce qu'ils se doivent les uns aux autres. Pour mieux entendre cette vérité, il faut en remarquer une autre tirée de l'écriture, qui nous apprend que toutes les puissances spirituelles et temporelles, par lesquelles Dieu élève quelques-uns des hommes au-dessus des autres, sont en même temps des liens de devoir qui les assujettissent par une autre sorte de soumission à ceux même au-dessus desquels ils sont élevés, et c'est par cette raison que l'exercice et la dispensation de ces puissances s'appellent un ministère, c'est-à-dire un service. Rom. 1. 14. Ce qui a fait dire à saint-Paul, dans la grandeur de son ministère de l'apostolat, qu'il était redevable et débiteur à tous ceux que Dieu sou mettait à son ministère, et c'est par cette même raison qu'il est dit dans l'évangile, que celui qui veut étre le premier doit étre le serviteur de tous, parce qu'il doit rendre à tous le service du ministère pour lequel il est établi. Matth. 23. 11.

Il est facile d'appliquer cette vérité au ministère des juges, et de comprendre par cette application combien l'avarice dans leur ministère est plus criminelle que celle des particuliers, puisque l'avarice des juges n'est pas un simple violement des devoirs communs et mutuels des hommes entre eux, mais une prévarication contre l'ordre universel, et contre le devoir de ce service et de ce ministère public, auquel les juges sont singulièrement destinés par leurs dignités; et cette prévarication de l'avarice des juges. est d'autant plus criminelle que l'avarice des particuliers, qu'au lieu que les particuliers n'exercent leur avarice que par des voies qui portent les apparences et le caractère de l'iniquité, et qui peuvent être réprimées par l'autorité des juges, l'avarice des juges s'exerce par la voie même de l'autorité qui établit l'iniquité par le ministère de la justice.

Mais ce n'est pas assez de connaître combien l'avarice des juges est plus criminelle que celle des particuliers, il est encore nécessaire de bien connaître combien cette passion est contraire au devoir des juges, et comment elle corrompt les fonctions de leur ministère. Pour juger des effets de l'avarice dans le ministère des juges, il faut remarquer en quoi consiste le devoir des juges. Personne n'ignore que ce devoir consiste en une volonté de rendre la justice dans toute sorte d'occasions; ce qui enferme l'affection et la diligence pour s'appliquer à l'intelligence des faits

que l'on doit juger, et des règles sur lesquelles il faut juger, l'application fidèle de ces règles sans autre vue que de la vérité et de la justice, la prompte expédition, l'attache et la vigilance à la recherche et à la punition des crimes, et pour toutes ces fonctions un zèle qui porte le juge à y donner le temps et le travail qu'elles demandent; et enfin ce devoir consiste à rendre au public et aux particuliers le ministère et le service de toutes ces fonctions dans les occasions qui en arrivent, et à considérer ces occasions comme autant de commissions particulières auxquelles les juges sont appelés et engagés par l'ordre exprès de la providence de Dieu qui fait naître ces occasions, et qui a destiné les juges pour y exercer le ministère de sa justice.

Voilà quel est en général le devoir des juges; et pour connaître maintenant combien l'avarice est contraire à tous ces devoirs, il faut faire réflexion sur la vérité de cette parole du premier des pères de l'église, que l'avarice est le poison de la charité, c'est-à-dire, que, comme le poison éteint les principes de la vie, l'avarice détruit les principes de tous les devoirs envers Dieu et envers les hommes. Aug. 1. 83. quæst. 37. Nous avons fait voir les causes de cet effet de l'avarice, et nous pouvons dire avec la même vérité que l'avarice des juges est un venin mortel qui éteint dans leur esprit la lumière de la vérité, et dans leur cœur le zèle et l'amour de la justice qui sont les principes de tous leurs devoirs.

C'est ce venin qui éblouit la vue du juge dans le discernement de la vérité et de la justice, lorsque son intérêt lui propose un objet contraire; c'est ce venin qui assoupit la vigilance du juge, et qui étouffe ou engourdit les sentimens de la justice par les impressions contraires de la crainte secrète de quelque perte, ou de l'espérance de quelque gain; et si l'une et l'autre de ces impressions viennent à cesser, c'est assez, pour empêcher un juge avare de rendre justice, que l'attrait du gain ne l'attire pas: car il est arrêté par l'indifférence et la paresse naturelle du cœur de l'homme pour tout objet qui ne se rapporte pas à sa fin; et comme la fin de l'avare est d'acquérir ou de conserver, toutes les occasions de rendre la justice où les juges avares se trouvent sans péril de perte, et sans espérance de gain, sont pour eux des objets sans aucun attrait, et ils sont incapables de s'y porter à rendre justice.

Il est facile de juger, par ce caractère de l'avarice, que cette passion et ce venin, que saint-Paul appelle la source de tous les maux, sont aussi la source de toutes les injustices: nous ne parlons pas ici seulement des concussions, de l'impunité vendue pour de l'argent, de la corruption, des présens, de l'abus que font les juges de leur autorité pour leur intérêt, et des autres semblables excès de l'avarice. Tous ces crimes sont les derniers désordres de cette passion; et comme ceux qui sont capables de ces désordres

ont renoncé aux principes de la religion, qui nous apprennent le devoir des juges, et qu'ils ont éteint les lumières de la conscience et les sentimens de l'honneur, ils sont plus dignes de punition que d'instruction, et ils portent déjà la peine de la haine publique et de l'infamie. Mais nous parlons en général de tous les mauvais effets que cause l'avarice des juges dans la dispensation de la justice; chacun peut juger, par ces principes généraux que nous venons de remarquer, les différens effets de ce poison de l'avarice dans chaque occasion du devoir des juges. C'est elle qui laisse les crimes impunis, et bien souvent ce n'est que l'avarice qui fait poursuivre; c'est elle qui retarde ou qui avance l'expédition de la justice; c'est elle qui rend les juges hardis et timides, diligens et négligens, selon les divers mouvemens de leurs intérêts; de sorte qu'il est évident que ce n'est pas la justice, mais l'intérêt, qui est l'objet des juges avares; et quoiqu'ils s'imaginent quelquefois que c'est la justice qu'ils ont en vue, ils ne regardent en effet que leur intérêt qui s'y trouve joint; car, en même temps que la justice se trouve seule et séparée de cet intérêt, elle devient pour eux sans aucun attrait, au lieu qu'elle devrait être leur fin principale.

Mais ce n'est pas seulement le ministère des juges qui est corrompu par l'avarice, cette passion est aussi le poison qui cor-rompt les fonctions de tous ceux qui participent au ministère de la justice, avocats, procureurs, greffiers et tous autres. C'est l'avarice qui engage les avocats dans la défense des mauvaises rauses; c'est l'avarice qui cause les négligences et les surprises des procureurs et des greffiers, et c'est enfin l'avarice qui cause l'excès des émolumens et une infinité d'autres désordres communs à tous les ministres de la justice, sur lesquels chacuu pent se juger soi-même, sans que nous entrions dans tout ce détail.

Nous remarquerons seulement deux effets de l'avarice qui sont les plus ordinaires dans le ministère de la justice, et qui paraissent les moins criminels, afin que par l'idée qu'on en doit avoir on comprenne combien les juges, et tous ceux qui participent aux fonctions de la justice, doivent haïr l'avarice et être exempts de cette passion.

Le premier, est de prendre plus d'émolument qu'on ne doit en prendre, ou d'en prendre dans des occasions où l'on ne doit pas en prendre. On se flatte aisément dans cette injustice, et plusieurs circonstances y contribuent; la modicité de chaque prévarication et l'usage les rendent insensibles, et le profit réel se rencontrant avec l'impunité, l'avarice se porte sans bornes à tous ces profits illicites et qui sont déclarés criminels par la loi divine; car nous apprenons de l'évangile dans la prédication de saintJean au peuple, que les soldats et les publicains étant venus

lui demander ce qu'ils devaient faire pour ne pas encourir les jugemens de Dieu et les peines qu'il leur annonçait, il leur dit qu'ils ne prissent pour leurs droits que ce qui leur avait été ordonné et permis de prendre. Luc. 3. 12. Il n'est pas nécessaire ici de prouver que les juges et les autres ministres de la justice doivent être du moins aussi justes et aussi modérés à exiger leurs droits que les soldats et les publicains, et nous apprenons de saint Augustin, que les juges et tous ceux qui exercent des fonctions publiques sont compris dans ce précepte, et encourent la condamnation de la sentence de saint Jean s'ils y contreviennent. De verb. Dom. Serm. 19. 2. cap. milit. 23. q. 1.

On dira qu'on achète les charges ou du roi ou des seigneurs, et qu'il n'y a point de gages, ou qu'ils ne sont pas suffisans; mais il est libre d'acheter les charges, et leur prix est fondé sur d'autres considérations que l'émolument; et enfin, il est certain qu'à quelque prix qu'on achète les charges, c'est toujours à condition de les exercer avec les droits et émolumens accoutumés et légitimes, et c'est même une des clauses expresses des provisions, qui oblige les juges par leur propre fait à s'en tenir aux réglemens. De sorte que c'est une concussion aussi bien aux juges qu'aux soldats de contrevenir aux réglemens qui fixent leurs droits, et une concussion punissable par les lois humaines, et capitale dans la loi divine; et s'il est permis d'acheter des charges, et de s'engager aux fonctions publiques quand on en est digne, il n'est jamais permis d'y entrer pour y faire de tels profits; c'est ce que nous apprend saint Augustin d'une manière encore plus forte, rempublicam gerere non est criminosum, sed ideo gerere rempublicam, ut rem familiarem potiùs augeas videtur esse damnabile. Ibid.

Le second de ces deux effets de l'avarice dont nous avons parlé, c'est de cesser de faire les fonctions de la justice dans deux sortes d'occasions où les juges ne peuvent s'en dispenser; dans les crimes publics lorsqu'il n'y a pas d'autre partie que le public, et dans les affaires des pauvres qui demandent justice, et qui sont dans l'impuissance par leur pauvreté de récompenser le travail du juge. Nous mettons dans le même rang l'intérêt public sans partie, et celui des pauvres, parce que l'un et l'autre sont également importans et commandés, et également abandonnés ou négligés.

De tous les préceptes du devoir des juges, il n'y en a point de plus fréquent et de plus exprès dans l'écriture que celui de rendre la justice aux pauvres, parce que, comme Dieu a commis aux juges son autorité pour soutenir la justice contre toute force contraire, les juges qui sont destinés pour ce ministère, et qui en sont redevables à toute sorte de personnes, doivent la rendre principalement aux pauvres, comme les plus exposés à l'oppres

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