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sion; et c'est par cette raison de ce qu'il semble que c'est principalement pour les pauvres que les juges sont établis, qu'afin que les juges ne pensent pas pour cela qu'ils doivent les favoriser, la même loi divine, qui ordonne aux juges de rendre la justice aux pauvres, leur défend de les favoriser en rendant justice. Non consideres personam pauperis ; pauperis non misereberis in judicio. Lev. 19. 15. Ex. 23. 3. Ce qui fait voir évidemment que lorsque Dieu commande si fortement aux juges de rendre la justice aux pauvres, il ne leur commande autre chose que de les écouter et de la leur rendre, ce qui renferme la nécessité de la leur rendre gratuitement, puisque nous supposons qu'étant pauvres ils sont dans l'impuissance de récompenser le travail du juge. Et c'est principalement à cause de ces sortes de devoirs que l'avarice est si particulièrement défendue aux juges, afin qu'ils se portent sans peine à rendre la justice dans les occasions où ils sont dans la nécessité de la rendre sans aucun autre avantage que de s'acquitter de leur ministère. Et il n'est pas étrange que l'aumône de la justice soit si expressément commandée aux juges envers les pauvres, et que ce soit une partie essentielle de leur devoir, puisque c'est bien un commandement indispensable pour tous les particuliers, et dont le violement attire la dernière colère et le dernier jugement de Dieu, que la distribution du bien temporel aux mêmes pauvres. On voit assez que cette nécessité de rendre la justice aux pauvres, qui regarde principalement les juges, regarde aussi tous les autres ministres de la justice, sans les fonctions desquels la justice ne peut être rendue aux pauvres.

On ne prétendra pas que ces lois divines puissent ètre changees par aucun usage, ni par aucune autre raison contraire, soit du prix des charges ou autre quelconque. Toutes ces considérations ne sont d'aucun poids pour dispenser des premiers principes de la loi divine pour les règles du devoir des juges, et il faut que les juges, qui prétendront de se dispenser de ce devoir envers les pauvres de leur rendre la justice gratuitement, déclarent en même temps, que c'est par un autre ordre que celui de Dieu qu'ils sont établis juges; que c'est une autre autorité que la sienne qu'ils dispensent, et que c'est à d'autres conditions qu'aux siennes qu'ils exercent ce ministère, et qu'enfin ils déclarent qu'ils renoncent aux lois, aux règles et aux conditions que Dieu a établies pour leur devoir; et s'ils n'expriment pas ce langage par leurs bouches, ils l'ont déjà formé dans leurs cœurs car c'est le langage réel et naturel de l'idolâtrie, où la parole divine nous apprend que les avares sont tombés.

Mais si c'est un effet de l'idolâtrie des juges avares, et un violement si capital de la loi divine, que de ne pas rendre la justice aux pauvres, quel est le crime de ceux qui se servent de l'autorité

que

de la justice pour les opprimer? Le silence répondra mieux aux sentimens qu'on doit avoir de cet excès d'iniquité qu'aucune sorte d'expression, et nous supprimerons aussi toutes les autres choses que nous aurions à dire sur ce vaste sujet de l'avarice des juges et des autres ministres de la justice, pour finir par une remarque de l'histoire sainte, qui nous aidera à comprendre et à retenir quelle est la malice et l'iniquité de cette avarice. Cette histoire divine nous apprend que ce fut par l'avarice l'iniquité des juges d'Israël fut consommée, et que le peuple se souleva contre les enfans de Samuel, qui furent les derniers juges, pour demander à leur père une autre forme de gouvernement. Cum senuisset et Samuel posuit filios suos in judices Israël, et non ambulaverunt filii illius in viis ejus, sed declinaverunt post avaritiam. 1. Reg. 8. 1. Et ce fut pour cela que ce peuple demanda un roi; mais cette même histoire sainte nous apprend aussi que l'avarice et le refus de rendre la justice aux pauvres, furent encore la première cause du renversement de la monarchie et de la fin des rois, comme elles l'avaient été de celle des juges. 4. Reg. 24; c'est ce que nous apprenons de l'histoire de la captivité de Joakim fils de Josias, que Nabuchodonosor fit conduire enchaîné à Babylone. 2. Par. 36.; car le prophète Jérémie lui prononça en ces termes la prédiction et la cause de cette captivité, qui fut suivie de la ruine de la monarchie: Pater tuus judicavit causam pauperis et egeni in bonum suum. Tui verò oculi et cor ad avaritiam. Jer. 22. 16. Et ensuite il lui annonça cette captivité, et les autres peines que Dieu lui préparait pour ses injustices.

Nous n'avons rien à ajouter à toutes ces preuves de l'iniquité. de l'avarice dans le ministère de la justice, et nous affaiblirions la force et l'autorité de la parole divine, si nous y mêlions quelque chose du nôtre. Il faut donc que ce soit cette même parole qui finisse notre discours. Nous apprenons de saint Paul que la malice et l'injustice des hommes répandent sa malignité sur toutes les créatures et sur l'ordre de l'univers, et que par l'abus qu'ils font des créatures par leurs passions, ils les tiennent dans une espèce d'esclavage que saint Paul appelle la servitude de la corruption, Rom. 8. 20, et sous laquelle il dit que toutes les créatures gémissent. Ibid. 21. 22. Mais comme c'est principalement l'avarice qui fait le plus mauvais usage des créatures et qui les tient dans la servitude de la dernière corruption, jusqu'à les prendre pour l'objet de son idolâtrie, et que de toutes les avarices celle des juges est la plus opposée à cet ordre de l'univers, un saint juge et un grand prophète ont dit que les juges avares et qui refusent la justice aux pauvres troublent cet ordre de l'univers et des creatures, jusqu'à ébranler les fondemens. Judicate egeno et pupillo... cripite pauperem, et egenum de manu peccatoris liberate... nescierunt neque intellexerunt, movebuntur omnia fundamenta terræ,

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Ps. 81. 3. 4. 5. Mais il ajoute que ces juges avares, et qui n'entendent pas le langage de ce précepte de rendre la justice aux pauvres, seront eux-mêmes jugés et punis, mais de la punition des grands et des princes, Sap. 6. 6. 7, c'est-à-dire, selon la parole du sage, d'un supplice proportionné à la grandeur du ministère qu'ils auront profané. Ego dixi Dii estis... vos autem sicut homines moriemini, et sicut unus de principibus cadetis. Ps. 81. 6. Ce jugement des grands et des juges vengera l'ordre de Dieu violé par les injustices, les faiblesses et les négligences des juges avares, et remettra toutes les créatures dans l'ordre et dans la liberté de la justice, selon cette autre parole du sage: Vidi sub sole in loco judicii impietatem et in loco justitiæ iniquitatem, et dixi in corde meo justum et impium judicabit Deus, et tempus omnis rei tunc erit. Eccl. 3. 16.

HARANGUE

prononcée aux așsises de l'année 1672.

Le devoir des juges, et le devoir des particuliers sont également appelés dans l'écriture du nom de justice, parce que la justice des hommes n'est autre chose que la conformité de leurs actions aux règles divines de l'équité, Ainsi, le premier fondement de cette justice est la connaissance des règles qui enseignent le bien qu'il faut pratiquer, et la connaissance des maux contraires qu'il faut éviter, parce que c'est par cette connaissance que l'homme s'élève à cette conformité aux règles qui fait sa justice. C'est cette connaissance que l'écriture appelle la science du bien et du mal, et cette science si nécessaire à tous les hommes est singulièrement nécessaire aux juges.

Avant que de parler de la nécessité et de l'utilité de cette connaissance et de cette science que les juges doivent avoir du bien et du mal, il faut premièrement considérer l'ordre naturel, par lequel l'homme est venu à la connaissance et au discernement du bien et du mal.

La première vérité que l'écriture nous apprend de notre nature, est que Dieu a fait l'homme à son image et à sa ressemblance par les dons de la nature et ceux de la grace, et nous remarquons qu'en même temps que l'écriture nous apprend cette ressemblance, elle nous découvre aussi que parmi les différences infinies qui se rencontraient entre Dieu et l'homme, il y en avait une entre autres assez singulière, qui consistait en ce que l'homme, dans cette première pureté de son origine, connaissait seulement le bien; et qu'encore qu'il ne fût qu'un vaisseau fragile, figmentum, Rom. 9. 20, comme l'écriture l'appelle, et qu'il fût capable du mal, il n'avait néanmoins encore aucune connaissance

du mal, et que Dieu, au contraire, qui était la pureté et la sainteté même, et incapable de tout mal, connaissait tout ensemble le bien et le mal; et Dieu n'avait pas seulement caché à l'homme la connaissance du mal, il lui avait fait encore une défense expresse de manger du fruit qui devait lui ouvrir cette connaissance, et lui apprendre la science et le discernement du bien et du mal: De ligno scientiæ boni et mali ne comedas. Genes. 2. Mais l'homme étant tombé dans le mal par le désir de connaître comme Dieu le bien et le mal, Eritis sicut dii scientes bonum et malum, Genes. 2, il tomba dans une extrémité opposée à son premier état; et au lieu qu'avant sa chute il ne faisait et ne connaissait que le bien, bona bonis creata sunt ab initio, Eccl. 59. 30, depuis sa chute il ne fut capable de pratiquer et de connaître que le mal, Cuncta cogitatio cordis intenta ad malum omni tempore. Genes. 6. 5. Mais enfin, après ce funeste changement, l'homme a été remis par la réparation de la grace dans un troisième état entre le bien et le mal, le bien où il peut s'élever, et le mal où il penche par sa nature: Ante hominem vita et mors, bonum et malum: quod placuerit ei, dabitur illi, Eccle. 15. 18: et dans le troisième état Dieu l'a élevé à la participation de sa nature divine, selon cette parole de saint Pierre : Divino consortes naturæ, 2. Petr. 1. 4, et lui a donné la lumière de la sagesse divine, et le discernement du bien et du mal; de sorte que cette parole, Eritis sicut dii scientes bonum et malum, qui était une parole de mensonge, est devenue une parole de vérité.

Mais si tous les hommes sont obligés au discernement du bien et du mal par la participation de la lumière divine, à laquelle ils sont élevés, les juges qui sont élevés non-seulement à cette lumière, mais à la fonction divine de juger, sont encore bien plus obligés à la science et au discernement du bien et du mal, et à juger du bien et du mal comme Dieu en juge, puisque c'est sa propre fonction et son jugement qu'ils exercent.

Pour faire voir que c'est le jugement de Dieu que les juges exercent, il faut remarquer deux vérités que l'écriture nous apprend; l'une, que Dieu est seul le maître de la justice, et l'autre, que Dieu est seul notre juge, selon ces deux paroles d'Isaïe: Deus Judicii Dominus Dominus judex noster. Is. 30. 18. 33. 22. Il est seul le maître de la justice, parce que c'est sa volonté qui fait la justice; et il est seul notre juge par l'ordre de la dépendance naturelle, qui assujettit la volonté de la créature libre et raisonnable à la volonté de son créateur, de même que sa nature est assujettie en tout ce qu'elle est à celle de Dieu. Comme il est donc vrai que Dieu est le seul maître de la justice, et seul notre juge, il s'ensuit de cette vérité, que la dispensation de la justice est un ministère divin, et propre à Dieu seul; et c'est par cette raison qu'il veut que nous le regardions seul, lorsqu'il nous

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dispense la justice, par quelque voie qu'il nous la dispense. C'est pourquoi son fils qui a été juge universel, a dit qu'il ne jugeait pas de lui-même, mais qu'il rendait les jugemens qu'il apprenait de son père, sicut audio judico; et à l'égard des autres jugemens, Pecriture nous apprend que c'est le jugement de Dieu qu'ils doivent rendre : Videte quid faciatis, non enim hominis exercetis judicium, sed Domini. Paral. 2. 19. 6.

C'est donc le premier fondement du devoir des juges, que, comme ils doivent rendre le jugement de Dieu, ils doivent accompagner leurs jugemens de la lumière nécessaire pour discerner le bien et le mal, que l'écriture appelle la lumière de la sagesse toujours inséparable des jugemens de Dieu, et indispensablement aussi nécessaire aux juges, Diligite lumen sapientiæ omnes qui præestis populis. Sap. 6. 23. Mais s'il est nécessaire que les juges aient cette science et cette lumière pour discerner le bien et le mal, il est de la même nécessité qu'ils connaissent en quoi consiste cette science, et quelle est son étendue, puisque nous pouvons dire qu'elle renferme toute l'étendue du devoir des juges.

La science du bien consiste dans la connaissance des règles de la justice et de l'équité, dont l'observation fait tout le bien que les juges peuvent procurer au public et aux particuliers, et la connaissance du mal consiste dans le discernement de l'injustice contraire à ces règles.

Pour ce qui est de la connaissance des règles nous n'en parlerons pas ici en détail, nous remarquerous seulement en général que ces règles sont de deux sortes, celles de l'équité naturelle et celles des lois positives, comme les lois civiles et les ordonnances. La connaissance de l'équité naturelle est nécessaire à tous les juges, et cette connaissance se puise dans la lumière du bon sens, et le bon sens est la première qualité nécessaire aux juges. La connaissance des lois et des ordonnances ne peut s'acquérir que par l'étude, et cette connaissance est différemment nécessaire aux juges; les juges des seigneurs doivent savoir les ordonnances pour les procédures, et savoir discerner les questions qui méritent l'avis du conseil, et les juges supérieurs doivent avoir au moins une connaissance générale des matières pour discerner les questions, et les réduire aux principes sur lesquels elles doivent être jugées, et joindre à cette connaissance celle des principes par une étude et une application proportionnées à leur emploi. Et tous les juges généralement doivent s'instruire des règles et des devoirs de leur profession. Erudimini qui judicatis terram, Psal. 2, et ils doivent savoir que s'ils y manquent, ils ruinent le fondement de l'ordre du monde, qui est établi sur leur ministère, selon cette parole de l'écriture sur le sujet des juges

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