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moins besoin d'instruction des règles que de réflexion pour les observer, et ainsi nous laissons les réflexions sur tous ces principes à l'étude de chacun en particulier.

HARANGUE

Prononcée aux assises de l'année 1674.

Cette assemblée des juges, que nous renouvelons toutes les années, est un reste d'une coutume qui, dans son origine, avait été établie pour les remettre dans le souvenir des règles de leur devoir par la lecture des ordonnances, et pour les obliger à y venir rendre compte de leurs jugemens, et répondre aux plaintes qu'on faisait contre eux; mais cet usage étant aboli, on ne regarde plus les assises que comme une simple réunion de juges, que l'on continue de pratiquer, parce que c'est la coutume, et sans réflexion sur les motifs essentiels qui l'ont introduite. C'est ainsi que nous passons les actions les plus importantes de la vie, entrainés par les impressions de la coutume, sans penser pourquoi nous les faisons, et sans autre vue que de faire comme les autres, ou de refaire ce que nous avons déjà fait nous-mêmes.

Ainsi, les meilleures choses comme les plus mauvaises passant en coutume ne se sentent plus, et la vie même passe en coutume sans que nous pensions seulement pourquoi nous vivons. Ainsi, plusieurs se font juges, et vivent et meurent juges, sans savoir quel est ce ministère qu'ils ont entrepris, et l'on voit presque en toutes choses cet effet ordinaire de la coutume, qu'elle nous porte également au bien et au mal, et à faire l'un et l'autre sans réflexion, et que, par ce seul défaut, elle corrompt souvent les meilleures choses.

Comme il est donc de notre devoir de remontrer aux juges quel est le sujet de cette assemblée, et de la leur faire considérer autrement que comme on regarde tout ce qu'elle appelle coutume sans en pénétrer la fin et l'usage, il est peut-être à propos de faire voir quelles sont les causes qui nous portent à vivre ainsi sans réflexion et par coutume, soit dans le mal, soit dans le bien, et dans les occasions même les plus importantes, afin que, découvrant l'obstacle qui nous détourne de la vue du véritable sujet de cette assemblée, nous soyons en état d'y faire les réflexions sérieuses que ce devoir demande de nous. La coutume produit deux effets, l'un est de nous porter à continuer de faire ce que nous avons commencé, pratiqué, et tourné en habitude, et l'autre de nous porter à le faire saus reflexion; et cette impression de la coutume est si forte sur ce qu'elle devient un principe de nos actions, que nous la donnons souvent pour raison, sans en chercher d'autre; de sorte que

nous nous imaginons que c'est assez rendre raison d'une action que de dire que c'est la coutume, et si on demandait à plusieurs de ceux qui sont venus à cette assemblée pourquoi ils y sont venus, ils répondraient que c'est la coutume.

Ces deux effets de la coutume, et cette force qu'elle a sur nous, viennent d'un principe tiré du fonds de notre nature; et pour le comprendre, il faut remarquer que l'homme, qui a été fait à la ressemblance et à l'imitation de son créateur, porte le caractère de cette ressemblance et de cette imitation, non-seulement dans son être, mais encore dans ses actions, et non-şeulement dans les bonnes, mais encore dans les mauvaises; et il imite la divinité dans les unes et dans les autres, quoique d'une manière bien différente il imite Dieu dans le bien, de ce qu'il le prend pour la règle et le modèle de sa conduite et de toutes ses actions; et que, comme Dieu se regarde soi-même comme le premier objet de son amour, et comme sa seule fin et sa propre félicité, l'homme qui agit pour Dieu, et qui fait le bien, regarde aussi Dieu comme le premier objet de son amour, et comme sa seule fin et sa seule béatitude; et dans cette vue, et par cet amour il s'attache à cet objet unique par des liens qui forment cet engagement qu'on appelle habitude, et qui, passant en coutume, est justement appelée une autre nature, parce qu'elle suit et accomplit cette pente naturelle qui naît avec nous, d'imiter ce qu'on aime et s'y attacher.

Que si, au contraire, la nature se porte au mal, elle imite encore la divinité par une autre sorte d'imitation toute criminelle; car l'homme, qui cesse d'agir pour Dieu, commence en même temps de se mettre soi-même à la place de la divinité. Il se regarde comme sa fin et sa règle, et l'objet unique de son amour; et il cherche en soi-même et dans les autres créatures, qu'il aime pour soi comme pour sa fin, le repos de sa félicité, comme Dieu qui est sa propre fin le trouve en soi-même; et dans cette vue de soi même et des créatures qu'il rapporte à soi, et par l'amour qui l'y attache, il s'engage dans les liens et dans l'habitude du mal, qui, passant aussi en coutume, est encore appelée une autre nature.

Ainsi, nous voyons que ces deux manières, si étrangement opposées d'imiter la Divinité, ont cela de commun, qu'elles marquent l'une et l'autre ce caractère de notre nature de ressembler à Dieu, et de l'imiter; et nous voyons aussi que l'imitation nous est si naturelle qu'elle est notre nature même, et que c'est elle qui nous donne également l'habitude au bien et au mal selon que nous nous portons à l'un ou à l'autre.

C'est cette pente naturelle à imiter, qui forme en nous cette multitude infinie de bonnes et mauvaises coutumes, qui naissent et s'affermissent dès l'enfance, et qui se perpétuent dans toute la

stite de la vie lorsque nous continuons d'aimer ce qui a com-' mencé de nous plaire, et cette force de la coutume et de l'habitude marque encore en nous un autre caractère de la ressemblance de l'homme à Dieu dans l'un de ses principaux attributs qui est l'immutabilité : car l'homme étant né pour le repos immuable de la félicité qui ne peut se trouver qu'en Dieu, il tend toujours à ce repos, et lors même qu'il s'éloigne le plus des voies qui pourraient l'y conduire, c'est toujours le repos qu'il cherche, et les routes où il s'égare ne laissent pas de marquer toujours sa pente au repos et à l'immutabilité : c'est ce qui fait la pente inquiète des mauvaises inclinations et la malheureuse stabilité dans les mauvaises coutumes qu'on a contractées L'imitation leur donne la naissance, et les fortifie par la multitude réitérée des actions qui nous attachent de plus en plus aux objets que nous aimons, et cette attache et l'attente du repos que nous y cherchons les rendent permanentes et leur donnent un cours dont la force et la durée remplissent l'étendue de toute la vie; et comme on compare les mouvemens et les emportemens des passions les plus violentes à des torrens dont l'impétueuse rapidité brise et entraîne toute résistance, on peut comparer le cours des habi tudes et de la coutume à celui d'un fleuve, car elle naît et se forme, comme un fleuve, de petites sources; elle s'enfle et coule d'un cours réglé qui ne finit jamais, que rien ne peut arrêter, et qui est d'autant plus fort qu'il est égal et continuel.

Et comme les fleuves se grossissent souvent par les débordemens, le cours de la coutume et des habitudes s'élève et se grossit par les torrens de l'agitation extraordinaire des passions, qui ajoutent les violences passagères à la force et à la fermeté continuelle des habitudes.

Ainsi, l'on voit dans cette force et dans cette ferme durée de la coutume et de l'habitude, boune ou mauvaise, un commencement et un prélude de la stabilité et de l'immutabilité éternelles ou dans le bien ou dans le mål.

Voilà quelle est la nature et quels sont les effets de la coutume dont l'un des plus remarquables est de nous faire agir saus reflexion, et de nous entraîner dans le cours de la vie, sans que nous nous arrètions et nous soutenions contre le poids et la pente de nos habitudes, non pas même pour y penser.

Il n'est donc pas nouveau que, si on vient ici par coutume, on y vienne aussi sans réflexion; mais ce qui est de plus important, c'est que la coutume n'a pas seulement effacé le souvenir du devoir particulier qui nous appelle à cette assemblée, mais qu'elle a presque aboli de nos cœurs et de nos esprits les véritables règles de notre devoir pour en substituer d'autres toutes contraires qu'elle a mises en usage contre la raison; et c'est ici l'effet le plus déplorable de l'enchantement et de la force de la

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contume, et dont l'expérience nous fait voir une étendue si universelle que, pour faire voir aux juges les règles les plus essentielles de leur devoir, il suffit de leur faire observer les maximes contraires que la coutume a mises en usage, car nous verrons en même temps, par ce parallèle, les égaremens où la coutume nous a jetés, et les bonnes voies où il faut entrer.

C'est la coutume qui nous fait venir à cette assemblée sans réflexion, et aussi l'on s'en retire sans instruction; mais si nous opposons la raison à cette coutume, elle nous apprend que nous devons venir ici dans la même disposition que Dieu commandait anx juges du peuple juif, lorsqu'il les faisait convoquer pour les instruire des règles divines de leur ministère: car nous devons venir ici pour écouter les mêmes règles, et nous remplir l'esprit et le cœur, afin de les mettre en pratique dans toutes nos fonctions et jusqu'aux moindres.

C'est la coutume que les juges ne rendent plus ou presque jamais aucun compte aux hommes de leurs injustices, comme ils faisaient autrefois dans les assemblées des assises, et cette impunité, jointe à l'autorité de leur caractère, a mis en coutume qu'ils usent de cette autorité comme bon leur semble; et au lieu que ce méchant juge, dont il est parlé dans l'évangile, qui avait dé pouillé la crainte de Dieu, craignait encore au moins les hommes, il n'y en a que trop aujourd'hui qui ne craignent plus ni Dieu, ni les hommes; mais la raison nous doit apprendre que si nous cessons de rendre compte aux hommes de notre conduite, nous devons au moins nous juger nous-mêmes, et ne pas attendre d'en rendre un compte bien plus sévère et sous le tribunal bien plus éclairé de celui qui doit juger toutes les injustices.

C'est la coutume de se faire juge pour s'autoriser dans ses intérêts, et pour se rendre utile à ses amis, et se faire craindre à ses ennemis, et d'entrer dans ce ministère sacré par d'autres vues encore plus basses, et sans se mettre en peine si on a la doctrine et la probité, et toutes les autres qualités sans lesquelles on en est indigne, parce qu'on ne laisse pas sans ces qualités de remplir la place d'un juge, d'en avoir le rang et l'autorité, et de faire valoir son propre sens contre la justice, comme si c'était la justice même; mais la raison et la vérité de la parole divine nons apprennent que se faire juge, c'est entreprendre une fonction toute divine; que c'est embrasser les intérêts de la justice contre tout autre intérêt et le notre même; qu'il faut la rendre à ses ennemis et contre ses amis et contre soi-même, et que pour exercer un ministère si pur et si élevé, il faut l'avoir appris du juge de tous les hommes, qu'un prophète appelle le docteur de la justice, Joel. 2., parce que c'est de lui que nous devons en apprendre toutes les règles; qu'il faut avoir la lumière pour discer

ner la justcie de l'injustice, et une lumière que nulle passion et nulle coutume ne puissent éblouir; et que, pour acquérir cette lumière, il faut ajouter à celle de son naturel la connaissance des règles et des maximes par une étude proportionnée à la fonction qu'on exerce; et qu'il faut enfin une force et une vertu qui brisent toute la résistance de l'iniquité, et que nulle acception de personnes, nulle faveur, nulle crainte et nulle force ne puissent affaiblir.

Tout le monde sait que les impressions d'amour ou de haine, de crainte ou d'espérance, ou de quelque intérêt, et les autres semblables dont on peut être prévenu, tournent l'esprit du juge selon le mouvement secret de son cœur, sans que même il s'en aperçoive. Mais c'est la couture qu'on ne laisse pas de faire la fonction de juge, quoiqu'on soit prévenu de toutes ces sortes d'impressions, pourvu que la cause de récusation ne soit pas évidente; et, loin de s'abstenir de la fonction de juge dans ces sortes d'occasions, on les embrasse pour s'y satisfaire, et on le fait même souvent sans réflexion. Cependant, la raison et la loi divine nous apprennent que nous devons découvrir en nous-mêmes toutes ces faiblesses de notre esprit et de notre cœur, pour nous abstenir de juger dans ces occasions où l'intérêt et la passion peuvent nous aveugler: car l'écriture nous apprend qu'elle nous aveugle et nous dérobe la connaissance du mal même que nous faisons; d'où vient que ceux qui sont le plus engagés dans les ténèbres des erreurs et des passions ne laissent pas de s'imaginer qu'ils n'agissent que par la raison, et traitent les autres comme s'ils manquaient de la lumière du sens commun: un fou, dit le sage, s'estime plus habile et plus éclairé que les plus sages; il suffit, sans prouver toutes ces vérités, de les supposer comme assez connues, pour en conclure que les juges les plus sages et les plus habiles perdent la vue de la justice et de la raison, lorsqu'ils s'engagent dans la passion et dans l'intérêt, et qu'ainsi ils doivent veiller pour se soutenir et la justice qui est en leurs mains contre toutes les impressions qui peuvent les aveugler et les affaiblir.

Nous n'entrerons pas dans le détail d'une plus longue application de ces principes à toutes les occasions où la coutume nous fait voir que les juges en ont besoin, le temps est trop court pour en dire davantage, et ce peu suffit pour juger da

reste.

Ainsi, par exemple, il serait superflu de faire observer que les présens éblouissent la raison du juge, et que nulle coutume ne peut autoriser un abus si capitalement condamné par tontes les lois; car la loi divine, la raison et l'expérience nous apprennent que les présens corrompent le cœur, et aveuglent l'esprit des plus sages, et qu'ainsi c'est le même crime de recevoir des

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