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présens que de s'aveugler contre la justice, et de la mettre en commerce et à prix d'argent.

Nous ajouterons encore un exemple unique et d'une autre. nature, pour achever de nous convaincre de l'effet pernicieux de la coutume. On sait que la plupart des juges sont persuadés par la coutume de leur intérêt, que rien ne les oblige de rendre la justice à ceux de qui ils ne peuvent rien espérer pour la récompense de leur travail, et cette coutume est étrangement forte et invétérée; mais la vérité nous apprend qu'elle est encore plus étrangement fausse et criminelle, car il n'y a point d'injustice plus condamnée dans l'écriture, et il n'y en a point aussi de plus opposée à l'ordre naturel de la justice et de l'établissement des juges qui doivent la rendre; car, comme tous les plus grands désordres viennent de l'opposition de la force contre la justice, les juges sont établis pour assembler la force avec la justice, et leur principale fonction est de soutenir les faibles contre les plus forts qui les oppriment; ainsi, les juges qui manquent à ce devoir, lorsqu'ils abandonnent la cause du pauvre et du misérable, renversent le premier fondement de la justice, et violent le premier et le plus naturel de tous leurs devoirs.

Nous pouvons juger, par ce peu de réflexions et par les autres qu'on peut faire, combien il est important de condamner et de détruire toutes ces fausses maximes que la coutume a substituées au lieu des véritables règles du devoir des juges, et chacun doit rechercher en soi-même combien la coutume l'a éloigné de ce devoir, et faire une discussion sincère de sa conduite en opposant à la coutume la justice et la vérité; car c'est la vérité qui nous jugera et non la coutume, parce que notre juge est lui-même la vérité, et il a dit qu'il était la vérité et non la coutume, selon cette parole de Tertullien: Christus veritatem se, non consuetudinem cognominavit, De velandis Virg. cap. 1; et lorsque cette vérité paraîtra, elle dissipera par ses lumières toutes les ténèbres des passions et de l'intérêt, elle renversera tous les fantômes de fausses coutumes; et quand elle aura détruit et anéanti ces vains fondemens de la fortune des mauvais juges, l'écriture nous apprend qu'ils seront précipités de la place où ils sont élevés comme d'un rocher, et eugloutis dans les abîmes des ténèbres qu'ils auront préférées à la lumière de la vérité et de la justice : c'est le sens de cette parole du psaume, Absorpti sunt juncti petræ judices eorum. Ps. 140. 6.

HARANGUE

Prononcée aux assises de l'année 1675.

Ce n'est pas assez, pour nous acquitter de l'engagement où nous sommes de parler aux juges de leur devoir, que de leur en

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faire voir les règles et les qualités qu'ils doivent avoir pour les pratiquer; mais il est nécessaire aussi de faire connaître les défants contraires qui sont les causes de leurs injustices.

Nous avons souvent parlé de ces règles et de ces qualités, et nous avons aussi parlé quelquefois de quelques-uns de ces défauts, comme de l'avarice, de la faiblesse, de l'ignorance et autres semblables; mais notre dessein est aujourd'hui de venir aux sources et aux principes d'où dérivent tous les défauts qui causent toutes les injustices que les juges peuvent commettre, afin que nous connaissions en même temps le mal dans son origine, et les remèdes pour nous en guérir; et parce que les vérités que nous avons à dire regardent en général tous ceux qui participent au ministère de la justice, les avocats, les et tous les autres qui ont cet honneur, pourront s'appliquer à procureurs eux mèmes ce que nous dirons sous le nom de juges.

Pour découvrir ces sources de nos défauts, il faut faire auparavant une réflexion générale sur la fin pour laquelle les juges sont établis, et remarquer quel est le mal auquel Dieu a voulu pourvoir en faisant des juges.

Tous les hommes naissent injustes, et il y a deux sources de leurs injustices, la corruption dans la volonté, et l'ignorance dans l'entendement. Toutes les injustices du monde sont des suites de la malheureuse et inconcevable fécondité de ces deux Sources: car, comme Dieu avait donné à l'homme l'entendement et la volonté pour en faire son image, et l'élever à lui par la connaissance et par l'amour de la vérité et de la justice, l'homme ayant abusé de ces deux puissances, et voulu s'élever à l'état de la divinité, par le superbe désir de savoir et de dominer, Dieu l'a laissé justement tomber dans les misères opposées, et l'entendement qui devait être le siège de la lumière, de la vérité et de la justice, est tombé dans l'aveuglement et dans les ténèbres de l'ignorance et de l'injustice; et la volonté, qui devait être le siège et le principe naturel de l'amour de la vérité et de la justice, tombée dans l'esclavage du vice par sa pente au mal : et parce que l'iniquité des hommes ne se borne pas aux maux que causent en eux-mêmes cette corruption dans la volonté, et cette ignorance dans l'entendement; et que pour satisfaire leurs différentes passions et leurs inclinations vicieuses, ils en recherchent et poursuivent les objets, qui se trouvent souvent hors de leur puissance et en la possession des autres, et que dans cette poursuite ils entreprennent les uns sur les autres en une infinité de manières qui troublent la société, Dieu a fait des juges pour arréter les entreprises qui causent ce trouble.

est

Toutes les fonctions des juges se réduisent à cette fin: ils sont établis pour arrêter les entreprises, pour punir les crimes, pour juger du faux et du vrai, de la justice et de l'injustice; et tout

leur emploi consiste à opposer les lumières de la vérité à l'aveuglement des parties, et l'amour et le zèle de la justice à leurs pas

sions.

La conséquence que nous devons tirer de cette première réflexion est, que les juges doivent être exempts, en ce qu'ils jugent, de l'aveuglement et de la passion qu'ils doivent condamner, autrement ils seraient plutôt en état d'être jugés eux-mêmes que de juger les autres, et ils doivent être dans la police ce que l'évangile nous apprend que les évêques et les prètres doivent être dans la religion; c'est-à-dire, que les juges doivent être la lumière qui dissipe les ténèbres du mensonge et de l'injustice, et ils doivent être le sel qui en arrête la corruption par l'ardeur de leur amour et de leur zèle pour la justice; de sorte que les deux qualités essentielles des juges sont la connaissance de la justice dans l'entendement, et son amour dans la volonté, d'où il s'ensuit, que, pour découvrir les défauts qui sont les principes de toutes les injustices, il faut étudier quelles sont les causes qui effacent ou obscurcissent cette connaissance de la justice, et qui éteignent ou refroidissent son amour; et pour connaître ces causes, il faut faire une seconde réflexion sur l'ordre naturel, dans lequel nous agissons par l'entendement et la volonté, qui sont les deux principes de nos actions, et les deux sièges de toute connaissance et de tout amour.

Cet ordre est tel, que l'homme ne pouvant agir que pour quelque fin, qui est toujours un bien qu'i! se propose, ou véritable, ou apparent, notre ame se porte à cette fin par l'entendement et la volonté. L'entendement représente l'objet, la volonté l'aime, et l'aimant, elle s'y porte, et y porte avec elle toutes les puissances. Si l'objet est absent, cet amour fait le désir; s'il est possible d'y parvenir, il fait l'espérance; s'il le possède, il fait la joie; s'il est en péril de le perdre, il fait la crainte; s'il le perd, il fait la tristesse; si quelque obstacle veut le lui ravir, il fait la colère; ainsi, tous les mouvemens des passions et des inclinations bonnes et mauvaises sont les effets de cet amour, comme cet amour est l'effet des attraits de l'objet qui fait notre fin.

C'est toujours ainsi que nous agissons, soit que nous nous portions au bien ou au mal; si nous nous portons au bien, les lumières de la vérité et de la justice dans l'entendement en excitent l'amour dans la volonté; et si nous nous portons au mal, l'illusion du mensonge et de l'injustice tient lieu de lumière à l'entendement, et d'attraits à la volonté; ou si la volonté commence le mal, la vapeur et la fumée de la passion aveuglent l'esprit, et ces deux puissances sont dans une intelligence si parfaite, soit dans le bien, soit dans le mal, qu'elles se portent à l'un ou à l'autre avec un concours mutuel et une paix entière, parce qu'elles sont les deux puissances unies d'un même esprit

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qui connaît par l'une et agit par l'autre. Il est vrai que nous sentons quelquefois de la division en nous-mêmes; mais elle se passe dans la volonté qui se trouve partagée par des inclinaLions opposées, mais l'entendement suit toujours celle qui domine dans la volonté.

Car il faut remarquer cette différence entre l'entendement et la volonté, qu'encore que l'entendement ait la première part dans la vue de l'objet qui fait notre fin, et des moyens qui nous y conduisent, la volonté est toujours la maîtresse, et son mérite s'étend sur les vues même de la volonté. Si la volonté porte au bien, et que l'entendement résiste à la vérité, la volonté le captive, selon l'expression de saint Paul, pour l'élever contre ses vues au bien inconnu; et si, au contraire, la volonté se porte au mal contre les vues de l'entendement, elle le tourne, elle l'ébiouit, elle l'aveugle; et les charmes de l'objet qui la touchent, passent en lumière ou en illusion dans l'entendement; et lors même que la volonté se porte aux derniers excès contre la vérité la plus sensible, et les devoirs les plus inviolables, et dont elle ne peut effacer les premiers traits dans l'entendement, elle ne laisse pas de l'entraîner avec elle dans sa pente au mal, et elle le fait servir pour trouver les moyens de parvenir aux fins les plus criminelles, et dont il reconnaît les funestes suites; de sorte que, dans ces occasions, l'entendement n'est plus que comme un instrument esclave d'un tyrau aveugle. Ainsi, c'est toujours la vor lonté qui est la maîtresse, et c'est par cette raison que nous l'appelons le cœur; parce que, comme le cœur est le principe de tous ses mouvemens, la volonté est le principe de toutes les actions, qui sont les mouvemens de la vie et de l'ame.

Ces vérités sont si certaines, que ceux même qui ignorent la religion qui nous les apprend et nous en découvre les principes, ne laissent pas de les reconnaître; et quoiqu'ils demeurent dans leur aveuglement et leur pente au mal, ils ne laissent pas d'apercevoir l'aveuglement et la corruption des autres, et jusqu'aux défauts les moins sensibles; c'est la poutre dans notre œil qui ne nous empêche pas de voir le fétu dans celui des autres.

Nous découvrons par cette réflexion générale sur l'ordre naturel dont nous agissons par l'entendement et la volonté, que les juges doivent avoir l'entendement toujours éclairé de la lumière des règles de leur devoir et de la reconnaissance de la justice et de la vérité, qui doit former les jugemens; car autrement, si les juges sont dans l'ignorance, ils ne peuvent qu'errer et commettre mille injustices; mais ces lumières et ces reconnaissances ne suffisent pas, et ils doivent avoir la volonté toujours animée de l'amour de la vérité et de la justice, pour conserver l'usage de leurs connaissances et de leurs lumières, en résistant par cet amour à toutes les impressions que les passions et les mauvaises inclina

tions peuvent faire sur leur esprit, par la corruption du cœur. Ce sont ces impressions qui sont les premiers principes que nous cherchons des injustices que les juges peuvent commettre.

Ce n'est donc pas seulement l'ignorance grossière et les passions violentes qui portent les juges à l'injustice; les moindres et les plus légères impressions peuvent produire cet effet, et souvent elles le produisent, et d'autant plus fortement et plus sûrement qu'elles agissent sur le cœur d'une manière plus fine et plus insensible. Il ne faut que toucher au cœur pour gagner l'esprit ; tout ce qui l'attire remue le premier ressort, et son mouvement est le principe sûr qui entraine toutes les puissances. On le remue par un bon office, par un plaisir, par un intérêt, et il se tourne à l'attrait de tous ces objets; on l'irrite par un mépris, par unė offense, par une contradiction, et il s'élève contre toutes les im- . pressions qui troublent l'intérêt ou l'honneur qu'il aime. Il se relâche par la paresse, il s'abat par la honte, il s'excite par l'espérance, il se retient par la crainte, et il faudrait un plus long discours et un livre entier pour expliquer les maximes différentes dont les divers objets touchent, excitent, surprennent, attirent et entraînent le cœur, et avec lui toutes les puissances; mais il suffit de savoir cet ordre de nos actions, pour comprendre que les juges peuvent aisément tomber dans l'injustice sans réflexion, et que souvent même ils s'imaginent de ne chercher que la justice, lorsqu'ils n'agissent en effet que par une impression insensible qui les porte à quelque injustice.

Ceux qui reçoivent des présens ou qui en espèrent, ne sentent pas que la vue du présent les a aveuglés, ils sentent qu'ils ont eucore de l'esprit et de la raison, mais ils ne connaissent pas la flexibilité de leur esprit au bien et au mal par les impressions du cœur; et cependant la raison, l'expérience et l'écriture nous apprennent que les présens avenglent les plus sages: Nec accipies munera quæ etiam excæcant prudentes, et subvertunt verba justorum. Ex. 23. 8. Cette expression divine de l'Écriture nous apprend cet aveuglement qui se cache à notre raison, et dont la cause est l'impression que le cœur reçoit. Cenx qui se sentent incapables de recevoir des présens ne doivent pas s'imaginer que cet exemple ne les touche point : car s'ils sont exempts de cette corruption, ils doivent en appliquer la conséquence à toutes les autres espèces des mauvaises impressions qui peuvent surprendre leur cœur et les porter à quelque injustice, lors même qu'ils s'imagineront de rendre justice. Ainsi, ceux qui trouvent la cause de leur ami pleine de justice ne sentent pas que c'est l'amour de l'intérêt de leur ami qui a donné un faux jour dans leur esprit à sa cause injuste. Ceux qui ont quelque haine contre l'une des parties, ou seulement quelque aversion, ne sentent pas que leur esprit, aliéné comme le cœur, les rend contraires à l'intérêt de la

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