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personne qu'ils n'aiment pas. Ceux qui ont quelque intérêt secret dans la cause qu'ils jugent ne sentent pas qu'ils trouvent plus juste le parti de leur intérêt. Ceux qui n'aiment pas à apprendre la vérité des autres, ou qui ne veulent pas être contredits, ne sentent pas que c'est l'amour de leur sentiment qui les fait résister à la vérité.

Les juges les plus éclairés et les plus remplis de l'amour de la justice doivent être les plus persuadés des mauvais effets de toutes ces sortes d'impressions et autres semblables qui ne sont que trop ordinaires, et de la vigilance et de l'application continuelles où ils doivent être pour s'en garantir, parce qu'ils doivent mieux connaître l'importance de leur ministère et les faiblesses où ils sont sujets; mais ceux qui n'ont pas d'autres principes pour leur conduite, que la pente aveugle à toutes les impressions qui leur surviennent, sont bien éloignés de cette vigilance, et ils ne manquent pas aussi de se porter à mille injustices sans réflexion.

Ainsi, les juges avares ne sentent pas qu'ils ne rendent la justice que dans l'espérance du profit qui leur en revient; qu'ils cessent de la rendre lorsqu'ils cessent d'espérer le gain; que l'amour de ce gain leur fait multiplier les procédures qui en produisent, et abandonner les causes du public, du pauvre, de là veuve et de l'orphelin ; parce que n'ayant pas d'autre attrait dans la justice que leur intéret qui s'y trouve joint, si cet attrait cesse, ils cessent d'agir.

Les autres passions aussi bien que l'avarice ont leur part dans la conduite des mauvais juges; l'espérance, la crainte, la haine, la paresse, la honte et toutes les autres entraînent le cœur et l'esprit selon les impressions différentes qu'elles produisent, et sout les causes de mille injustices. Les uns rendent la justice où l'injustice et l'impunité des crimes pour de l'argent; les autres l'abandonnent par paresse, par honte, par timidité, ou par d'autres vues; d'autres, par une profanation sacrilege, font servir l'autorité de Dieu qui leur est commise, pour leurs intérêts, pour leurs vengeances et pour leurs autres passions.

Nous voyons que toutes ces sortes d'injustices, depuis les plus grandes jusques aux moindres, sont des effets sensibles de cette cause générale que nous avons touchée, qui est l'aveuglement de l'esprit par les impressions du cœur; d'où il faut conclure que ce n'est pas assez aux juges que de savoir les règles de leur devoir, de savoir les lois, les coutumes, les ordonnances et la pratique, ils ont besoin d'une science bien plus fine et plus élevée. Les règles. de juger les autres sont assez faciles; mais qu'il est difficile de se juger soi-même, et d'acquérir la science de tous les mouvemens et de tous les détours de son cœur et de son esprit! C'est la seconde science des juges, bien plus nécessaire et plus importante

que celle des lois : car, pour conserver toutes les lumières que le bon sens et l'étude et les bonnes mœurs peuvent former dans leurs esprits, ils ont besoin d'étudier leur cœur et d'en garder toutes les avenues par une vigilance continuelle, selon cette parole du sage: Omni custodia serva cor tuum. Prov. 4. 23. Le principe unique de cette vigilance, et de tout le reste de la conduite d'un bon juge, doit être un amour ardent pour la vérité et pour la justice, c'est cet amour qui fait la sagesse des juges; si le cœur en est rempli, l'esprit se remplira des lumières de la vérité et de la justice; nul devoir ne saurait échapper à cet amour; le juge qui aime la justice embrasse son parti en toute sorte d'occasions, il la défend avec une fermeté invincible, il oublie son intérêt pour son devoir, et l'étude de son cœur et de son esprit est de faire régner la justice et sur les autres et sur soi-même.

Mais l'écriture nous apprend que cette sagesse des juges n'est pas un don de la nature, parce que les juges les plus éclairés des lumieres naturelles sont remplis de ces ténèbres et de ces mauvaises inclinations dont nous avons parlé, qui corrompent le cœur et aveuglent l'esprit des juges. Nous apprenons cette vérité du juge le plus éclairé qui fut jamais, et il nous apprend en mème temps la source où nous devons puiser la sagesse necessaire aux juges: c'est le sage même, c'est Salomon qui, étant rempli de toutes les lumières de la sagesse naturelle, ne laissait pas de reconnaître avec autant de vérité que de sincérité, qu'il était incapable de juger son peuple, et qu'il avait besoin d'une sagesse plus élevée que celle des plus grands homines qui n'est qu'un néant : Nam et si quis erit consummatus inter filios hominum, si ab illo abfuerit sapientia tua in nihilum computabitur. Sap. 9. 6. Et c'était par cette raison qu'il demandait à Dieu sa propre sagesse, la sagesse qui accompagne le tribunal de sa justice, et qui est la seule exempte de toute ignorance et de corruption: Da mihi sedium tuarum assistricem sapientiam. Sap. 9. 4. Parce qu'en effet il faut la sagesse de Dieu pour tenir sa place comme font les juges; et comme il savait que le cœur est la source du bien et du mal, et qu'il n'y a de lumière de la justice, dans l'entendement, qu'autant qu'il y a de son amour dans la volonté, il demande à Dieu, en un autre endroit, un cœur docile pour juger son peuple, et pour discerner le bien et le mal: Dabis ergo servo tuo cor docile, ut populum tuum judicare possit, et discernere inter bonum et maLum. Reg. 3. 9. Cette seule parole renferme, dans la profondeur et dans l'étendue de son sens, tout ce que nous avons dit, et tout ce qu'on pourrait dire sur ce sujet, et elle fait voir que SaJomon touchant à la source, attribue au coeur le principe du bien et du mal, parce que l'esprit ne juge de l'un et de l'autre que par les impressions du cœur; et il demande un cœur docile,

c'est-à-dire, souple à toutes les impressions de la sagesse qui se porte soi-même et porte l'esprit à la vérité et à la justice, et qui demeure toujours libre de toutes les impressions contraires à cette sagesse. C'est assez que nous ayons touché les causes de nos injustices et les remèdes, nous n'avons qu'à nous en faire chacun en particulier l'application selon nos besoins.

HARANGUE

Prononcée aux assises de l'année 1677.

Il n'y a point de dignité plus élevée que celle de juge, mais aussi il n'y en a point dont les fonctions soient plus saintes et plus importantes. La grandeur méme de la royauté et du sacer, doce consiste principalement au droit de juger, et c'est à cause de ce droit que Dieu a voulu donner aux juges le nom de dieux ; parce que tous les hommes étant égaux par la nature, il n'y a que Dieu seul qui soit leur juge naturel, et c'est la divinité qui se communique à ceux qui sont élevés à juger les autres : c'est pour, quoi l'Écriture qui nous apprend qu'étre juge, c'est être dieu: Ego dixi, dii estis, Psal. 81. 6, nous apprend que juger, c'est rendre le jugement de Dieu : Videte quid faciatis, non enim hominis cxercetis judicium, sed domini. Paral. 2. 19. 6.

Puisque les juges tiennent done en terre la place de Dieu pour rendre la justice aux hommes, la première chose qu'ils doivent savoir, c'est cela même qu'ils tiennent cette place, et quelles sont les qualités nécessaires pour la bien remplir, et pour rendre la justice comme Dieu la rendrait lui-même s'il lui plaisait de se rendre visible pour l'exercer.

Ces qualités sont les mèmes qui accompagnent en Dieu sa juştice et ses jugemens; la justice de Dieu sur les hommes et toutes les œuvres de la divinité sont l'ouvrage de sa puissance, de son intelligence et de son amour; et ce triple caractère des trois personnes divines est gravé sur tout ce que Dieu produit hors de soi.

La puissance de Dieu, c'est sa volonté à l'égard de ses créatures; cette volonté est si sainte et si parfaite, qu'elle rend juste tout ce qu'elle veut; et si absolue, qu'elle le produit avec une facilité toute-puissante.

L'intelligence de Dicu, c'est sa connaissance, il voit tout dans cet océan infini de son essence, et toutes les créatures ensemble y tiennent le même raug, selon l'expression d'Isaïe, qu'une goutte d'eau, qu'un grain de sable, et que le néant: Quasi gulta aque, quasi pulvis exiguus et quasi nihilum. Is. 40. 15. Parce que toutes les créatures étant bornées, elles sont comme un néant devant Dieu, qui est infini, et sont infiniment moins à l'égard de lui, que n'est le moindre atome à l'égard de tout l'univers: nous pouvons concevoir, par cette idée si véritable de ce grand

prophète, avec quelle facilité et quelle netteté Dieu comprend tout le peu qu'est devant lui cet atome de l'univers, et tout ce qu'il renferme de plus grand et de plus caché: et c'est dans cet abîme immense de lumière et d'intelligence divine, qu'est la source de toutes les vérités qui sont les règles de la justice divine et humaine.

Comme l'intelligence de Dieu est la connaissance de soi-même, son amour est aussi l'amour de soi-même. Cet étre infini est l'unique objet digne de son propre amour, et de même qu'il connaît toutes les créatures, en se connaissant soi-même comme leur principe, il les aime aussi toutes en s'aimant soi-même comme leur fin; et ainsi, quand il agit sur les créatures en les créant, les conservant et les gouvernant, c'est sa toute-puissance qui étale son intelligence par son amour; et quand il rend justice, c'est sa toute-puissance qui exerce le jugement de son intelligence et de sa sagesse par l'amour de soi-même qui est l'amour de la vérité et de la justice, car Dieu est lui-même la justice et la vérité: Ego sum veritas. Joan. 14. 6.

C'est là la manière dont Dieu rend la justice, et c'est aussi l'unique modele que les juges qu'il met à sa place doivent imiter; car si Dieu, qui a fait les hommes à sa ressemblance, veut que tous l'imitent, selon cette parole de saint-Paul: Esto imitatores Dei, Philip. 3. 27 les juges qu'il a élevés au-dessus de cette ressemblance commune à tous, à un rang divin qui leur donne le nom de dieux, sont bien plus singulièrement obligés à le prendre pour la règle et le modèle de leurs jugemens; et pour s'acquitter du devoir essentiel de cette imitation de la justice de Dien, ils doivent se servir de leur autorité et de leur puissance pour exercer la justice, ils doivent avoir l'intelligence nécessaire pour la savoir rendre, et ils doivent être animés de l'amour de la justice pour la bien rendre.

Comme la puissance de Dieu consiste en sa volonté toute-puissante, celle du juge consiste en son autorité et son courage pour l'exercer; il ne rend pas justice comme Dieu, mais il ne veut comme Dieu que ce qui est juste. C'est en cela qu'il imite et conforme sa volonté à celle de Dieu, il s'établit dans une fermeté inébranlable qui le tient au-dessus de toutes les impressions qui pourraient le porter à quelque faiblesse. Et si Dieu permet qu'une violence étrangère l'empêche de faire régner sur les autres sa justice qu'il a dons son cœur, elle règne toujours sur lui, et sa fermelé demeure unie à l'ordre de Dieu.

Il dédaigne avec mépris les promesses, les caresses et les menaces des plus grands du monde, parce qu'il s'élève à Dieu dont il tient la place, et dans ce rang il regarde tout l'univers au-dessous de lui; mais dans cette élévation il se considère comme ce serviteur que le maître a préposé sur sa famille en son absence,

et il sait que celui qui est établi pour le gouvernement est comme le serviteur de ceux qu'il gouverne, selon cette parole de l'évangile: Qui præcessor est sicut ministrator, Luc. 22. 26., parce que Son administration n'est pas l'effet d'une supériorité naturelle, qui le rend le maître des autres pour dominer, mais un effet de l'ordre divin qui élève les juges an-dessus des autres pour les contenir tous dans l'ordre et dans la paix, en faisant aimer aux bons la justice et l'autorité, et la faisant craindre aux méchians; car l'autorité n'est pas donnée aux juges pour s'élever eux-mêmes, mais pour abattre ceux qui s'élèvent; elle ne leur est pas donnée pour dominer, mais pour faire régner la justice; et les juges sont d'autant plus élevés et plus dignes du respect et de l'estime de tous les hommes, qu'ils prennent moins de part eux-mêmes à l'usage de leur autorité, et qu'ils la consacrent tout entière aux intérêts de la justice pour imiter Dieu, qui n'exerce sa toutepuissance que pour faire régner sa justice et sa vérité. Opera manuum ejus veritas et judicium. Psal, 110. 7. C'est ainsi que les juges doivent imiter la puissance de Dieu par le bon usage de l'autorité qu'il leur a donnée; mais pour en user ainsi, ils doivent encore imiter l'intelligence et la sagesse divine par la connaissance des vérités, qui font les règles de la justice; ils ne penvent puiser cette connaissance que dans sa source. C'est en Dieu qu'il faut chercher la justice qui n'est qu'en lui, ou pour mieux dire, qui n'est que lui, lex tua veritas, et veritas tu. Ps. 118. 142. Il nous a donné les lumières nécessaires pour nous élever à cette connaissance, et il nous a mème révélé les premiers trai's par les principes genéraux de l'équité naturelle qu'il a gravée dans tous les esprits : mais ce n'est pas assez d'avoir les lumières générales de l'equité, il faut descendre de cette connaissauce à celles du détail des règles particulières des lois humaines, qui ces lois en sont les suites, et chaque juge doit s'instruire de ticulières selon l'étendue de son ministère; et il faut, outre cette étude, s'attacher avec beaucoup de diligence et de patience à la discussion de toutes les circonstances des faits dont on doit juger, pour appliquer la vérité des règles à la vérité des faits; mais après toutes les connaissances que l'étude et l'expérience peuvent acquérir, il faut encore reconnaitre que toutes ces lumières ne suffisent pas, et que, pour conserver la pureté et l'intelligence, il faut en avoir une autre bien plus importante, qui est celle du cœur par l'amour de la justice; c'est peu, par exemple, de savoir, qu'on est obligé de rendre la justice aux pauvres sans aucun profit, si l'avarice fait qu'on n'aime pas cette vérité; et il est de mėme de toutes les autres occasions où les passions des juges les détournent de leur devoir.

par

Les juges doivent donc aimer la justice pour la pratiquer, et c'est la troisième qualité essentielle par laquelle ils doivent imi

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