Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

ter Dieu : l'amour est le principe de toutes les œuvres de Dicu et de toutes les actions des hommes: Dieu ne peut agir que par amour, et il ne peut aimer que le vrai bien, et c'est par cette raison qu'il ne peut agir que par soi-même. Il est lui-même la justice qu'il aime dans ses jugemens, et les juges ne peuvent se proposer que la mème fin; si le juge aime la justice, il ne manquera pas de la pratiquer, mais s'il aime quelque autre objet qui le détourne, il abandonnera la justice pour l'objet qu'il aime, l'esprit sur le cœur, et il juge comme le cœur aime. C'est de ce principe que viennent une infinité d'injustices, dont l'esprit même du juge ne s'aperçoit pas; il aime l'intérêt de son ami, et il trouve juste le parti qu'il aime; il a de la haine contre une partie, et il ne trouve pas juste l'avantage de la partie qu'il n'aime pas; il a reçu ou il espère quelque faveur, ou quel que présent, et il trouve juste de servir celui qui lui a fait quelque plaisir; et parce que l'amour ne peut se porter qu'au bien, ou véritable ou apparent, et comme il n'y a qu'un seul bien réel, une seule vérité un seul Dieu, il n'y a aussi qu'une seule justice. Mais comme il n'y a qu'un seul bien réel, une seule vérité, un seul Dieu, il n'y a aussi qu'une seule justice. Mais comme les biens faux et apparens sont infinis, selon la multitude infinie des objets qui peuvent exciter notre amour et nos passions, les égaremens, les illusions et les injustices sont infinies, et nous pouvons dire des juges ce que le sage a dit en général de tous les hommes, que toutes les créatures leur sont des piéges pour les faire tomber dans quelque injustice: Creatura Dei in tentationem animabus hominum, et in muscipulam pedibus insipientium. Sap. 14. 11. Le désir de s'établir, la vue de s'attirer des amis, la crainte de désobliger, l'amour du bien, l'attachement à ses amis, l'aversion de ses ennemis, le souvenir d'une injure, un intérêt caché, un présent, une rẻcompense, un mépris, une menace, une crainte, une espérance, un chagrin, une mauvaise humeur, une recommandation, et mille autre motifs semblables sont autant de piéges qui nous environment; et si le cœur s'y laisse prendre, il formera dans l'esprit un jugement tourné selon l'impression qu'il aura reçue.

Nous pourrions nous étendre davantage sur cette puissance du cœur, sur l'esprit qui cause un si grand nombre d'injustices, que peu découvrent en eux-mêmes, et que la plupart connaissent si bien dans les autres; mais il nous suffit d'avoir touché ces principes généraux, et nous laissons à chacun les réflexions et l'application particulière dans le détail de sa conduite.

Nous avons proposé les idées générales du devoir des juges, et les qualités essentielles pour s'en acquitter; et ce ne sont pas seulement les règles de juger, mais elles sont communes aussi à tous ceux qui ont l'honneur de participer au ministère de la justice, avocats, procureurs, greffiers et tous autres, selon les

différences de leurs fonctions; mais nous ne pouvons dissimuler que nous avons grand sujet de craindre qu'il y en ait peu qui aiment ces vérités et qui en profitent; la plupart les ignorent ou les méprisent, ils s'arrêtent à l'extérieur de leur autorité sans en pénétrer l'essentiel; ils en ignorent la cause, qui est l'ordre de Dien; ils en ignorent l'usage, qui est le service du public et du particulier; ils en ignorent les règles, et leurs passions leur tiennent lieu de toutes lois divines et humaines; ils aiment d'être juges, mais ils n'aiment pas la justice; ils considèrent leur autorité comme leur bien propre et naturel, et ils n'en font pas d'au tres usages que pour eux-mêmes; ils se croient juges pour s'élever sur les autres et pour dominer, au lieu qu'ils ne sont faits que pour les servir; ils favorisent de leur autorité les méchans à qui ils la devraient faire sentir, et ils la refusent aux pauvres et aux faibles qui sont ceux pour lesquels Dieu l'a établie; ils placent l'iniquité dans le tribunal de la justice; ils font servir la main de Dieu à l'impiété et à l'injustice, et ils en font l'instrument de leur ambition, de leur avarice et de leurs autres passions; ils ne regardent leur ministère que comme un trafic et un commerce; ils ne rendent pas la justice, mais ils la vendent, ils mettent à prix ce don de Dieu, d'une manière pire, en un sens, que ne le fit Simon même: car, au lieu que Simon voulait se dépouiller de son argent pour acheter le don de Dieu, ils dépouillent les pauvres pour le leur vendre. Nous savons qu'il est permis aux juges de recevoir la récompense de leur travail; le public leur doit un salaire, et au lieu de ce salaire public, le prince leur permet de le prendre sur les particuliers; mais il faut suivre les règles pour taxer ce droit, et lorsque les parties sont dans l'impuissance de le payer, la justice ne laisse pas de leur être due sans payer aucun salaire. C'est principalement pour les pauvres que les juges sont établis, et cet établissement ne peut être violé sans un crime qui renverse l'ordre de la justice, et qui attire la plus sévère vengeance de Dieu.

Il n'y a point de commandement aux juges plus juste et plus naturel que celui de rendre la justice aux pauvres; il n'y en a point aussi de plus fréquent et de plus exprès pour les juges dans la loi divine; il n'y a donc rien qui puisse les en dispenser, n'y rien qui puisse les garantir des peines que Dieu prépare à ces mauvais juges qui renversent l'ordre du monde en refu→ sant la justice aux pauvres. Cet ordre est la justice qui doit soutenir le pauvre et le faible contre l'oppresseur; les juges sont les bases et les fondemens qui doivent appuyer cet ordre par leur courage, par leur intelligence et par leur amour pour la justice, et s'ils ignorent ou abandonnent ce devoir, les fondemens de l'ordre du monde sont ruinés: Judicate egeno et pupillo. Nescierunt neque intellexerunt, movebuntur omnia fundamenta terræ,

Ps. 81. et c. Et le nom de Dieu profané par ces mauvais juges n'est plus en eux qu'un poids immense, qui les accable et les ensevelit au fond de ces ruines de l'univers qu'ils ont causées, et qui les charge de toute l'iniquité qu'ils ont faite ou soufferte par leur faiblesse et leur ignorance. Ils sont déja en cet état aux yeux de Dieu, et l'univers jouira de la vue de ce spectacle, lequel seul juge s'élèvera pour reprendre sa place, et pour les juger : Surge Deus, judica terram. Psal. 81. 8.

HARANGUE

Prononcée aux assises de l'année 1679.

Le devoir commun et général de tous les hommes, des rois, des princes, et de tous les autres sans exception, c'est le travail; et la première science de l'homme, c'est de savoir quel est son travail pour s'y occuper. Puisque nous sommes donc obligés de parler ici du devoir des juges, nous n'avons qu'à leur remontrer que tout leur devoir consiste à reconnaître qu'ils sont destinės au travail comme tous les autres, et à savoir quel est leur travail et s'y appliquer.

Cette vérité si commune, que l'homme est né pour le travail, est également de la religion et de la nature. Homo nascitur ad laborem, et avis ad volatum, Job 5. 7; et quoique le travail paraisse une peine, et que Dieu l'ait imposé à l'homme après le péché: In laboribus comedes, Gen. 3. 17, il est pourtant vrai que Dieu avait commandé le travail à l'homme mènie dans l'innocence et avant le péché, et Moïse nous apprend que Dieu avait mis l'homme dans le Paradis pour y travailler: Ut opcraretur. Gen. 2. 15.

Il est vrai que le travail de l'homme dans l'innocence cût été un travail agréable, sans peine, sans dégoût, sans lassitude, et que le travail qui nous est imposé après le péché est accompagné de toutes les peines que nous ressentons; mais il est toujours vrai qu'en quelque état que l'homme soit considéré, ou du péché, ou de l'innocence, le travail est le partage de sa nature. Et en effet, c'est pour le travail que Dieu a créé l'esprit de l'homme et formé son corps. Nos sens et nos membres ne sont composés que pour le travail, l'activité de l'esprit en est le principe, et les organes du corps ne sont donnés à l'esprit que comme les instrumens de cette activité pour agir et pour travailler; et cette destination de l'esprit et du corps de l'homme au travail, par la loi naturelle et la loi divine, est le fond de sa nature, et elle fait mème l'une des ressemblances de l'homme à Dieu. qui, dans son repos éternel et immuable, n'a jamais cessé d'opérer Pater meus usque modò operatur et cgo operor. Joan 5. 17.

Il est donc également vrai et dans l'ordre de la religion, et dans l'ordre de la nature, que l'homme est né pour le travail, et c'est pour le travail que cette vie lui est donnée; c'est pour le travail que Dieu a mis l'homme au-dessous de l'ange, et au-dessus de tout le reste des créatures pour en user par son industrie; et qu'au lieu que les anges n'ont eu que peu de momens pour mériter leur beatitude par une voie simple, courte et spirituelle, Dieu a donné à l'homme une vie longue, et dont toute la suite est un travail continuel différemment partagé entre tous les hommes selon les besoins de leur société; parce que Dieu ayant destiné T'homme pour le travail, il n'a pas manqué de lui préparer l'ouvrage qui lui était propre, et c'est pour cela qu'il a mis les hommes dans une société dont les divers besoins font les différentes conditions; ainsi, les grands travaux du gouvernement, de la justice, de la milice, de l'ordre public, font les grandes conditions des rois et des souverains, celles de leurs ministres, des juges, et des autres officiers auxquels les souverains sont obligés de distribuer le travail pour lequel ils ne peuvent suffire eux-mêmes, et toutes les autres conditions ne sont distinguées que par les différens travaux des arts et des professions qui occupent le reste des hommes.

Il n'y a done point de condition, sans en excepter les plus élevées, qui n'ait pour son caractère essentiel, et pour son devoir capital et indispensable, le travail pour lequel elle est établie; et celui qui prétend ètre sans engagement au travail ignore sa nature et l'usage de son esprit et de son corps; il renverse le fondement de l'ordre du monde, il viole la loi naturelle et la loi divine, et il est plus un monstre dans la nature que celui qui, étant privé ou de l'esprit ou de quelques membres, se trouve dans l'impuissance de travailler; de sorte qu'il n'est pas étrange que saint Paul ait dit que celui qui ne travaille pas est indigne de la vir, qui n'est destinée que pour le travail, 2. Thess. 3. 10; mais la vérité même nous apprend, dans l'évangile, que celui qui demeure inutile et sans travailler n'est pas seulement indigne de ́ cette vie, mais qu'il est digne de la mort de l'ame, et qu'il sera livré aux derniers supplices: Inutilem servum ejicite in tenebras exteriores, Matth. 25. 30.

Puisqu'il est donc vrai que le travail est le devoir de chaque condition, les juges qui sont dans un emploi d'une conséquence infinie, sont engagés au travail que demande une profession si importante, et il ne nous reste que de faire voir quel est ce travail, et quelle est la manière dont les juges sont obligés à s'y appliquer. Et comme le ministère de la justice renferme non-seulement les fonctious des juges, mais encore celles des avocats, des procureurs et de tous ceux qui ont l'honneur d'avoir quelque part à ce ministère, et que chacun est obligé au travail de sa

fonction, il sera facile à tous de s'appliquer à ce que nous dirons seulement aux juges.

Le travail des juges est, en un mot, de rendre la justice; mais, parce que chacun croit connaître ce qui est juste, et qu'il est honnête et agréable de l'ordonner, la plupart ne trouvent rien de plus aisé que de faire l'office de juge, et on ne s'avise pas de penser que ce soit entreprendre un travail que se faire juge. Cependant il est vrai qu'il n'y a pas de travail dans la vie civile plus difficile que celui des juges, comme il n'y en a pas de plus important.

Le premier devoir des juges est d'entendre leur profession; ceux qui sont chargés de l'instruction des procès ou civils ou criminels, doivent savoir les règles et l'usage des procédures, ils doivent avoir l'intelligence et l'expérience pour n'engager jamais les parties dans des procédures vicieuses ou inutiles, et pour n'ordonner que le nécessaire, pour aller exactement et promptement à la vérité, et ils doivent retrancher et prévenir tous les détours de l'erreur et de la chicane, et ce devoir regarde également les juges supérieurs et les premiers juges, et il regarde aussi beaucoup les avocats et les procureurs qui conduisent le plus souvent les démarches de l'instruction.

Ceux qui doivent juger les procès doivent avoir la lumière et l'intelligence nécessaires pour savoir juger, et ils doivent être différemment habiles selon les différences de leurs fonctions. Les juges inférieurs qui ne jugent par eux que les matières qui ne peuvent pas recevoir de difficulté, et qui doivent prendre conseil pour celles qui passent les bornes de leur connaissance, doivent savoir quelles sont ces bornes pour recourir au conseil dans les occasions qui les y obligeut, et ils doivent savoir l'ordonnance et l'usage pour l'instruction, et juger selon l'équité des affaires dont ils sont capables.

Mais ceux qui jugent par eux-mêmes toutes les affaires doivent avoir une connaissance et une expérience bien plus étendues; ils doivent savoir les règles de l'instruction pour juger des nullités, de la précipitation, et des autres vices des procédures; ils doivent savoir la nature et le caractère de chaque matière, et discerner par une exacte discussion des faits, des clauses, des preuves et des circonstances, quelles sont les questions qui en résultent, et savoir choisir, parmi la multitude infinie de nos règles et de nos maximes, celles qui doivent être appliquées à chaque sujet; et enfin, tous les juges doivent savoir tout ce qui est nécessaire pour bien juger et pour s'acquitter dignement de tout le détail de leur ministère.

Il est facile de voir que les juges ne peuvent acquérir toutes ces connaissances sans un grand travail; et si, dans les moindres professions et les plus bornées, il faut beaucoup d'application et

« VorigeDoorgaan »