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d'expérience pour s'y rendre habile, l'étendue infinie de la science des juges, qui embrasse la connaissance d'un si grand nombre de matières, et qui est composée de tant de règles et dé principes différens, demande une bien plus longue étude et une plus grande application, et, par conséquent, un très-grand travail.

Et pour nous convaincre entièrement de la nécessité de ce travail, il faut seulement faire réflexion sur ce que l'Écriture nous apprend de la grandeur et de l'importance du ministère des juges, de l'exactitude et de la diligence avec laquelle ils doivent s'en acquitter, et du compte qu'ils doivent rendre de toutes les fautes qu'ils y commettent, et de celles même où ils tombent pour n'avoir pas acquis par leur travail les connaissances nécessaires pour savoir juger.

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Un seul passage nous instruira de toutes ces vérités qui sont répandues dans tous les autres lieux qui nous enseignent les devoirs des juges. C'est une instruction que le Saint-Esprit donna par la bouche d'un saint roi à tous les juges du royaume de Juda, Videte, etc; « Prenez garde à la sainteté et à la grandeur du mi»nistère que vous exercez, car ce n'est pas le jugement des » hommes que vous devez rendre, mais c'est le jugement du Sci» gueur. Souvenez-vous que vous répondrez de tout ce que vons » aurez jugé, et que vos fautes retomberont sur vous pour vous juger vous-mêmes. Formez donc tous vos jugemens dans la » vue et dans la crainte du Seigneur pour qui vous jugez, et qui jugera lui-même tous vos jugemens; et, pour prévenir sa re» cherche et sa juste sévérité, travaillez fortement à juger avec tant d'exactitude et de diligence, que vos jugemens soient purs » de toute iniquité, parce qu'il n'y en a aucune en Dieu dont »vons tenez la place, et qu'ils soient remplis des lumières de l'é» quité et de la justice comme les siens, parce que ce sont ses » propres jugemens que vous devez rendre. Paral. 2. 19. 6. » Tout le monde voit que c'est le sens véritable de cette instruction abrégée de l'Écriture, qui renferme une éloquence toute divine et inimitable.

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Si c'est ainsi qu'il faut juger, et si c'est ainsi que nous devons répondre de toutes nos fautes, il n'est plus question de savoir s'il faut travailler, mais de travailler pour remplir dignement un tel ministère, et pour prévenir le compte terrible qu'il en faudra rendre; et qui peut douter qu'on ne doive exercer cette fonction divine de juger de la manière que Dieu l'ordonne? Personne n'en doit être si persuadé que les juges mêmes; ils savent que c'est de Dieu qu'ils tiennent leur autorité, et qu'ils participent à sa puissance: Non est potestas nisi à Deo. Non haberes potestatem nisi tibi datum esset desuper, Rom. 13. 1. Joan. 19. 11: ils savent qu'à cause de cette autorité divine qui leur est donnée, Dieu les

appelle lui-même des dieux: Ego dixi, di estis, Ps. 81. 6; ils ne peuvent donc ignorer que c'est le jugement de Dieu qu'ils doivent rendre, et l'Écriture qui nous apprend que le peuple doit trouver la science de la religion et la loi divine dans la bouche des prètres Labia enim sacerdotis custodient scientiam, et legem requirent ex ore ejus, Mal. 2. 7, nous apprend aussi que le peuple doit trouver le jugement de Dieu dans la bouche du juge. C'est ce que Moïse nous enseigne, lorsque, jugeant les mêmes affaires, il disait que le peuple venait à lui pour lui demander le jugement de Dieu. Venit ad me populus quærens sententiam Dei. Ex. 18. 15. C'était pour cette raison que David demandait à Dieu, pour lui et pour Salomon, son jugement et sa justice pour juger son peuple: Deus judicium tuum regi da, et justitiam tuam filio regis. P. 71. 1. Et Salomon demandait la sagesse qui accompagne le jugement de Dieu, et qui subsiste au trône de sa justice : Da mihi sedium tuarum assistricem sapientiam, Sap. 9. 4; parce qu'il savait qu'il ne pouvait rendre le jugement de Dieu sans cette sagesse; que c'est elle qui est le principe unique de toute justice et de l'intelligence des lois et de l'équité, comme il l'a remarqué au même endroit; et que sans elle les plus habiles ne peuvent que tomber dans l'erreur et dans l'égarenient; et comme cette sagesse n'est pas donnée à tous avec la même facilité qu'à Salomon, et qu'elle n'est pas aussi nécessaire à tous avec la meme plenitude, l'unique voie commune et nécessaire à tous les juges pour acquérir cette sagesse, selon tous leurs besoins et selon l'étendue de leurs fonctions, c'est un travail proportionné à une recherche de cette importance.

Il faut donc que les juges travaillent, et qu'ils travaillent beaucoup à entendre leur profession; mais ce n'est pas assez de l'entendre, et ils sont encore obligés à un autre travail, non moins nécessaire, ni moins important. Ce travail consiste à l'exercice actuel de toutes leurs fonctions qui sont différentes selon les charges. Les uns doivent travai ler à la recherche et à la punition des crimes, d'autres à instruire les procès, d'autres à les juger, quelques-uns à plusieurs de ces fonctions, et d'autres à toutes ensemble: mais tous sont également obligés à s'appliquer à chaque occasion de leur devoir, et y travailler avec la diligence, l'exactitude et la patience que demande cet emploi divin: Cum diligentia cuncta fucite, 2. Paral. 19. 7; et ils doivent s'y attacher comme s'attendant toujours à rendre compte de toutes les négligences et de toutes les fautes qu'ils y commettent : Quodcumque judicaveritis in vos redundabit. 2. Paral. 19. 6.

On voit assez quel est le travail de tout le détail du devoir des juges, et nous ne nous arrêterons pas à faire voir quelle en est l'étendue, et qu'elle en est la nécessité; mais il est important de faire connaître quel est le motif qui peut porter les juges à ce

travail de leurs fonctions, et quelles sont les causes qui les en détournent.

Pour se porter au travail il faut l'aimer, parce que le cœur, qui est le principe de toutes nos actions, ne peut agir que pour ce qu'il aime; et pour aimer le travail, il faut quelque attrait qui nous y engage; et, parce que nous devons être toujours disposés à nous appliquer dans chaque occasion au travail que la justice demande de nous, il fant que cet attrait qui nous porte au travail de la justice soit un attrait perpétuel, qui dure toujours, et qui nous attire dans toutes les occasions, et il ne peut y en avoir d'autre de cette nature que la justice; elle est perpétuelle, comme a dit le sage: Justitia perpetua est, Sap. 1. 15; et c'est elle qui s'offre toujours dans toutes les occasions du devoir des juges, et c'est aussi la justice qui est la fin unique et naturelle que Dieu a prescrite au travail des juges. Ceux qui aiment la justice et qui ne se proposent que cette fin sont toujours prêts à travailler pour rendre justice, parce que cet attrait ne manque jamais de les attirer; mais, an contraire, ceux qui agissent pour d'autres fins sont toujours dans la disposition ou dans le peril de se détourner de la justice et de s'égarer. L'amour du repos qui fait la paresse en éloigne quelques-uns, d'autres la quittent par l'attrait du plaisir qui les porte ailleurs; plusieurs s'en dégoûtent par le faut du profit qui est leur principal attrait; et quand la justice se trouve scule dans la cause de la veuve et de l'orphelin, ils les laissent dans l'oppression. La plupart travaillent dans la justice, mais pour d'autres vues que pour la justice; l'un travaille vigoureusement pour la punition du crime quand il y trouve sa vengeance ou quelqu'autre avantage particulier, et il se repose quand il ne s'agit uniquement que de la justice, et que le crime se trouve sans autre vengeur. Un autre fait valoir l'autorité pour exercer son ambition, et il abandonne lâchement les devoirs les plus essentiels; si la justice est opposée à son intérêt, il s'applique fortement à la discussion de l'affaire de son ami, ou de celle de son eunemi, pour y trouver des moyens ou des apparences qui tournent la cause au jugement qu'il en veut faire; et il juge sans conuaissance ni des faits ni des moyens, quand il faut se donner la peine de voir exactement tout le procès sans autre attrait que de la justice, et enfin, on se tourne au travail ou au repos, à la justice, ou à l'injustice, selon les vues qu'on se propose, et un présent, une recommandation, une crainte, une menace, une inclination, une aversion, et les autres motifs semblables, sout autant d'impressions qui corrompent et détournent le cœur et l'esprit du juge, qui n'a pas pour sa fin perpétuelle le motif unique de rendre justice.

Il n'est donc pas étrange que, n'aimant pas la justice, et nous proposant d'autres fins qui lui sont contraires, nous nous por

tions à tant d'injustices : mais ce qui est étrange, c'est que n'ayant pas cet amour de la ju tice, nous ne laissions pas de nous engager dans son ministère et d'y demeurer. L'évangile nous apprend que celui qui n'aime pas son maître ne peut le servir, Matth. 6. 24: quel service peut-on done attendre pour la justice de ses ministres qui ne l'aiment pas? et il ne faut pas s'etonner de tant d'injustices qu'on a toujours vues, et qu'on verra toujours dans la suite de tous les siècles, par le defaut de cet amour. Tous les livres saints sont remplis des témoignages de la colère de Dieu et de l'indignation des hommes contre la multitude des injustices et des méchans juges. Isaïe appelait tous ceux de son temps des gens sans foi et sans conscience, et les compagnons des larrons, parce qu'au lieu d'aimer la justice, ils aimaient l'argent et les présens, et qu'ils ne rendaient pas la justice à la veuve et à l'orphelin. Principes tui infideles, socii furum: omnes diligunt munera, sequuntur retributiones. Pupilo non judicant, et causa viduæ non ingreditur ad illos. Is 1. 23. S'il appelait justement de ce nom ceux qui refusaient seulement la justice à la veuve et à l'orphelin, quel nom aurait-il donné à ceux qui se servent de leur autorité pour dévorer les maisons des veuves, selon l'expression de l'évangile, Marc. 12. 40. Luc. 20. 47.

Le prophète Sophonie appelait les juges de son siècle des loups affamés, mais affamés d'une faim qui à duré toute la journée : Lupi vespore, Soph. 3. 3, et c'était sans doute ces dévorateurs. Les autres prophètes en parlent en des termes autant et plus forts; et Salomon, qui avait été rempli de l'esprit de la sagesse pour juger son peuple et pour en instruire les juges de son royaume qui jugeaient sous lui, fut obligé de déplorer les injustices de son temps, comme un renversement qui établissait le règue de l'iniquité dans le tribunal de la justice. Vidi sub sole in loco judicii impietatem, et in loco justitie iniquitatem, Eccle. 3. 16; et toute la réflexion qu'il y a faite a été de reconnaître que ce mal était dans un excès que tous les supplices de la terre ne pouvaient punir, et que la juste vengeance en était rescrvée au souverain juge, Sap. 6; et il nous a appris en un autre endroit quelle sera la sévérité de cette horrible et prompte vengeance, c'est ainsi qu'il la qualifie. Nous pourrions en rapporter ici les paroles si terribles pour apprendre aux juges à trembler dans la vue du jugement qu'ils doivent attendre, s'ils ne cessent de commettre des injustices, et s'ils ne réparent celles qu'ils ont déja commises; mais il vaut mieux leur proposer le remède que les peines et les supplices. Il y a une voie sûre, mais unique, pour ramener les juges qui voudront la suivre, et les contenir dans tous leurs devoirs, et il est facile de connaître par la suite de ce que nous avons dit, que cette unique voie est l'amour de la justice; c'est le défaut de cet amour qui a toujours fait et qui fera

toujours tous les méchans juges, et les bons juges ne peuvent l'etre que par cet amour; c'est cet amour qui a donné le caractère et l'onction an souverain juge. Ditcxisti justitiam, et odisti iniquitatem: propterea unxit te Deus, Ps. 44. 8; et c'est par le precepte de cet amour que le sage a commencé d'instruire les juges, et nous ne saurious mieux finir que par ces premières paroles de son livre divin de la sagesse: Diligite justitiam qui judicatis terram. Sap. 1. 1. Aimez la justice, vous qui devez juger les autres; que cet amour soit le principe unique de toutes nos fonctions, qui nous anime au travail nécessaire pour nous instruire et nous faire agir, et qu'il occupe tellement tout notre esprit et tout notre cœur, qu'il n'y laisse aucune avenue aux faux attraits de tous les autres objets qui pourraient nous détourner de la justice, qui doit ètre toujours notre unique fin.

HARANGUE

Prononcée à l'ouverture des audiences de l'année 1679.

L'engagement où nous nous trouvons à parler ici du devoir des avocats sur le sujet de leur serment nous oblige à considérer la nature de leur profession, pour en mieux connaître les règles.

Le ministère des avocats renferme deux choses également essentielles, la science des lois, et le bon usage de cette science dans l'étendue de leurs fonctions.

Cette seule idée fait déja voir en général la dignité de cet emploi, et les devoirs où il engage; mais pour connaître plus à fond et plus en détail quelle est cette science, et quelles sont les règles pour en bien user, il est nécessaire d'entrer dans une connaissance plus générale de l'esprit et de la fin des lois; et parce qu'elles sont établies pour régler la société des hommes, il faut considerer l'ordre de cette société, et nous y verrons l'ordre, l'esprit et la fin des lois, et en même temps l'usage que doivent faire les avocats de la science de ces mêmes lois.

L'ordre naturel de la société des hommes est fondé sur la nature mème de l'homme : car l'lromme étant composé d'esprit et de corps, et mis au monde dans le besoin de toutes les créatures visibles que Dieu n'a faites que pour lui, il ne peut en tirer tous les usages différens que par la multiplicité des divers emplois qui partagent tous les hommes, et qui les unissent en même temps pour former une société où l'industrie de chacun communique au corps les différens biens, sans lesquels ni la société, ni les particuliers ne pourraient durer; et comme le corps humain est composé de divers membres qui ont leurs usages différens selon les besoins differens du corps, de mème, selon la comparaison de

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