Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

saint Paul, la société forme un corps dont tous les particuliers sont les membres, qui ont leurs fonctions différentes selon les besoins différens de la société; et à proportion que les emplois ont plus d'étendue et d'utilité pour le bien public, ils ont aussi plus de dignité, comme, entre les membres, les plus utiles sont les principaux.

Et parce que ce bien commun et universel de la société ne regarde pas seulement la vie naturelle de l'homme, mais qu'il se rapporte principalement au dessein de Dieu dans la création de l'homme, et que ce dessein a été d'unir les hommes entre eux pour les unir tous ensemble à Dieu, il a voulu que l'amour fût le principe de cette union, et c'est par cette raison que toute la religion et toute la loi consistent aux deux grands préceptes de l'amour; le premier, de l'amour que les hommes doivent à Dieu pour s'unir à lui, et cet amour renferme celui que chacuu se doit à soimême pour se porter à cette union; et le second, de l'amour que les hommes se doivent les uns aux autres pour s'unir entre eux, et se porter tous ensemble à Dieu; ce qui fait voir que la religion, dont le nom signifie le lien qui lie les hommes à Dieu et qui les unit entre eux, est le principe général de l'ordre du monde par ce double amour.

C'était cet amour que Dieu avait ordonné pour être l'unique lien de tous les divers engagemens des hommes entre eux, et c'était par le commerce mutuel des devoirs, des offices et des services réciproques, que toute la société et tous les particuliers devaient subsister daus l'union, dans la paix et sans aucun trouble; mais la même providence qui avait établi cet amour pour le principe de l'union et de l'ordre de la société, ayant prévu que l'amour-propre qui est le principe de la division et du désordre, devait renverser la loi de l'amour, Dieu a pourvu à la · rétablir par une voie dont il n'est pas question de parler ici; et pour ce qui regarde la société, sa conduite toute divine, qui sait tirer le bien du mal mème, a fait que l'amour-propre qui voulait détruire cette société fût un autre lien pour la maintenir : car on voit que la plupart des liaisons et des engagemens qui forment la société universelle ne s'entretiennent que par les intérêts des différentes passions que l'amour-propre a substituées à l'amour que Dieu avait commande. La crainte fait l'obéissance de la plupart des sujets envers leurs princes; l'avarice fait la plus grande partie de tous les commerces; l'orgueil, la curiosité et la volupté font le plus grand exercice des arts et des sciences; et, par un effet divin de la Providence, ces passions qui tendent par leur nature à détruire l'ordre de Dieu contribuent à le conserver.

Mais, parce que toutes les productions des passions ne se contiennent pas dans des bornes où elles puissent être tournées au service de la société, et que souvent elles la troublent, que l'a

varice qui sert au commerce fait les usures, les fraudes, les concussions, les lareins, les vols, les sacriléges, les assassinats, les parricides, et qu'ainsi, les autres passions, ne se terminant pas toujours au désordre intérieur qu'elles ne manquent jamais de produire dans le cœur et dans l'esprit de ceux qui en sont possédés, se répandent aux désordres extérieurs de toutes les injustices et de tous les crimes, Dieu a pourvu à soutenir la société contre ces excès, et il a établi et permis aux hommes d'établir des lois pour réprimer les désordres que l'amour-propre multiplie en tant de manières contre l'ordre public de la société; mais toutes ces lois divines et humaines, naturelles et positives contre l'amour-propre, ne tendent qu'à rétablir les devoirs et le bon ordre de l'amour que la première loi avait établi, selon cette parole de saint Augustin, que la justice est l'ordre de l'amour, parce que c'est l'amour qui est le principe de tous les mouvemens de la volonté, et la cause unique et générale de tous les biens et de tous les maux. Ainsi, la loi de nature règle l'ordre de l'amour entre le mari et la femme, qui font la première société; entre les pères et les enfans, qui font la seconde, et ainsi des autres sociétés jusqu'à la dernière et universelle de tous les hommes, qu'elle lie ensemble, et elle punit les violemens de cet ordre par des peines proportionnées.

Ainsi, le droit des gens règle les liens de la communication qui doit être entre les nations par le commerce ou autrement, et punit les ruptures de ces liens par les lois de la guerre, qui tient lieu de juge entre ceux qui n'ont pas de supérieur commun, et qui sont dans l'indépendance les uns des autres.

Ainsi, les lois publiques de chaque nation règlent les liens qui doivent unir les particuliers aux princes et aux magistrats, et les lier entre eux, et ces liens sont l'autorité des lois et de la justice; les réglemens de la police selon les besoins et les divers usages des nations, fordre de rendre la justice, les diverses punitions des crimes, et toutes les lois particulières règlent cntre particuliers les manières de succéder et de disposer de ses biens, les conditions des contrats et des conventions, et tout le reste du détail des différentes affaires, dont le commerce et le bon ordre conservent l'union de la société.

Il serait facile de voir par l'ordre et la fin de toutes les autres espèces de lois générales et particulières, spirituelles et temporelles, ecclésiastiques et politiques, que les lois sont les liens qui unissent les hommes entre eux, et qu'elles ont toutes la même fin, de régler l'ordre de l'amour et l'union de la société; mais ces réflexions générales que nous avons faites suffisent pour notre dessein de faire voir l'usage que doivent faire les avocats de la science de ces lois. C'est la jurisprudence qui est la science des lois qui font subsister l'ordre du monde, et sans laquelle les fon

demens de la société seraient renversés; c'est cette science que nos livres appellent la science des choses divines et humaines, parce qu'elle a ses principes dans la loi divine, qu'elle renferme la connaissance des devoirs de la religion et des matières ecclésiastiques, et que sans effe on ne peut juger de la plupart des questions qui regardent la conscience.

C'est la jurisprudence qui est la science des juges et de tous ceux qui sont dans les premières charges de l'administration de la justice, et dans les conseils des princes pour y régler l'ordre public, et pour y faire méme les lois; et c'est à cause de la nécessité de cette science, si utile et si importante, que ces premières places ne peuvent être remplies que de personnes tirées de l'ordre des avocats; et comme les juges et ceux qui gouvernent et qui maintiennent l'ordre de la société sont les dépositaires de la science des lois, pour rendre la justice selon les règles de ces memes lois, les avocats sont les dépositaires de cette mènie science pour conseiller leurs parties, et les défendre selon ces mêmes règles.

Les juges sont les ministres de l'autorité et de la sévérité des lois pour juger entre les parties, réprimer les désordres, et calmer les divisions que l'amour-propre entreprend contre l'union de la société, et les avocats sont les premiers juges de leurs parties pour les contenir dans cette union par de bons conseils, et leurs défenseurs contre ceux qui les y troublent par leurs entreprises.

Toutes ces fonctions des avocats font assez voir la dignité de leur ministère, et elles découvrent aussi quels sont leurs devoirs. Leur premier devoir est la science des lois qui comprend tout ce qui est nécessaire pour juger du bon droit en chaque affaire particulière, par les règles propres à chaque matière. Dans les matières des coutumes, par l'esprit des coutumes; dans l'ordre judiciaire, par l'ordonnance et l'usage; dans les causes ecclésiastiques, par les principes des canons et des autres règles de ces sortes de causes; et dans toutes les matières en général, par les principes du droit civil que nous tirons des lois romaines; parce que les Romains, qui s'étaient rendus les maitres de tout ce qu'il y avait de connu et d'accessible dans l'univers, avaient recueilli, composé et établi des lois, qui, dans leur étendue, comprennent presque toutes les matières qui peuvent arriver dans la société, et qui, dans leurs décisions, sont fondées pour la plupart sur les principes de l'équité; ce qui a fait que les nations qui ont été démembrées de l'empire romain, et qui avaient été gouver nées par ces lois, les out conservées, ou pour s'en servir de lois, ou pour en tirer les principes d'équité dans les jugemens.

Mais par-dessus toutes ces lois positives, il faut savoir que, comme elles doivent toutes avoir leurs principes dans la loi divine, qui fait les premières règles de l'équité, ce sont ces pre

mières règles sur lesquelles il faut toujours raisonner en toutes matières, et comme, dans les mathématiques, les sciences particulières de l'astronomie, des mécaniques, de la perspective; de l'arithmétique, et les autres, ont leurs principes communs et généraux dans la géométrie, auxquels il faut toujours recourir; de même pour former les raisonnemens sur les différentes lois, et sur les questions qui naissent dans les affaires particulières, il faut recourir toujours aux principes de l'équité. Sur quoi il faut observer que toutes les lois sont de deux sortes; il y a des lois qui sont immuables, et dont l'équité est si évidente, qu'il suffit de les entendre pour en ètre persuadé sans raisonnement, et il y en a d'autres qui sont sujettes au changement et aux doutes, et sur lesquelles on peut raisonner. Et il en est de mème des décisions sur les questions qui naissent des faits singuliers; les unes sont évidentes et faciles, les autres, obscures et difficiles. Ce sont, par exemple, des lois immuables dans l'ordre de la société: qu'il ne faut faire tort à personne; qu'il faut rendre à chacun ce qui lui appartient; qu'il faut agir envers les autres comme nous voulons qu'ils agissent envers nous; que le bien commun de touș doit être préféré à celui d'un seui: ces lois divines et naturelles, et les autres semblables règles d'équité, dérivent du principe de l'amour que Dieu a ordonné entre les hommes pour les unir, et ce sont des lois que ni les temps, ni les lieux, ni les événemens ne peuvent changer; mais il y a d'autres lois sur lesquelles il faut raisonner, et qui sont sujettes au changement, et souvent contraires entre elles, quoiqu'elles dépendent de ces premiers principes immuables, parce que leur immutabilité n'empêche pas qu'ils ne s'appliquent différemment selon la nécessité des différens événemens qui sont sujets au changement. Ainsi, par exemple, il est juste en tout temps et en tous lieux, que la succession soit laissée à l'héritier, ce qui dépend du principe de rendre à ebarun ce qui lui appartient; mais toutes les lois ne donnent pas Theredité aux mêmes personnes quelques-unes appellent les héritiers testamentaires, d'autres rejettent les institutions d'héritier; quelques-unes donnent la succession aux plus proches, sans distinction de l'origine des biens; d'autres distinguent les héritiers selon les diverses natures de biens, meubles ou immeubles, paternels ou maternels, propres ou acquèts.

Ces différences et ces contrariétés de lois particulières, de même que les décisions différentes des questions obscures, ne viennent pas de l'incertitude ou de l'obscurité des principes; mais elles viennent de ce que, dans les faits particuliers, l'application des règles est d'ordinaire suivie d'inconveniens de part et d'autre. Si la succession est donnée à l'héritier testamentaire, il est dur aux proches de voir passer les biens à des étrangers, et c'est un inconvénient. Si, au contraire, le parent est préféré à l'hé

ritier institué, c'est un autre inconvénient qu'on ne puisse pas disposer de son bien; et ainsi, dans les questions, ce sont les inconveniens de part et d'autre qui forment les difficultés, et les questions sont plus ou moins difficiles, selon que les inconvéniens balancent plus ou moins la décision, qui dépend toujours du choix du parti où l'inconvénient se trouve le moiudre.

Nous avons été obligés de donner cette idée générale de la science des lois, nécessaire aux avocats; parce que, sans entrer plus avant dans cette matière, qui serait le sujet de plusieurs discours, ce peu que nous avons observé suffit à des personnes instruites, comme ils le doivent être, pour leur découvrir le détail de tous leurs devoirs.

Ils doivent savoir les lois, et par conséquent ils doivent en connaître l'ordre, la fin et les principes, pour en faire les règles de toute leur conduite dans leur ministère.

Ils sont les premiers juges de leurs parties, et par cette raison ils doivent condamner et abandonner les causes injustes, et ne soutenir les meilleures causes que par les voies de la vérité et de la justice.

Ils sont les dépositaires publics de la science des lois qui sont établies pour l'union de la société, ils doivent donc être les médiateurs et les défenseurs de cette union contre les injustices que l'amour-propre et les occasions entreprennent pour la troubler; et s'ils prennent le parti des passions et de l'injustice, ils sont moins avocats que des perturbateurs du repos public.

Ils doivent savoir qu'il y a deux sortes de causes, celles dont les décisions sont claires ou par la disposition de la loi, ou par l'équité; et celles où des difficultés raisonnables balancent la décision dans les causes que l'équité ou la loi décide. Ils n'ont pas d'autre parti à prendre que celui de l'équité et de la justice, et ils ne peuvent jamais assujettir à la liberté des raisonnemens les causes de cette nature : et daus celles qui sont véritablement douteuses et difficiles, et sur lesquelles il y a nécessité de raisonner, ils ne doivent raisonner que sur les bons principes et de bonne foi, et ne détourner jamais les lois et les règles contre leur sens pour faire servir, par une espèce de sacrilége, la sainteté et l'autorité de la loi à l'usage de l'iniquité.

[ocr errors]

Et ils doivent enfin savoir que s'ils manquent au moindre de tous ces devoirs, ils violent les lois dont ils font la fin et l'honneur de leur profession; ils se rendent complices des injustices de leurs parties; ils troublent l'union de la société dont ils doivent être les médiateurs et les défenseurs; ils sont les prévaricateurs de la loi divine; ils commettent uue impiété contre la religion, qui a également établi l'ordre des lois qu'ils violent, et le serment qu'ils font de les observer; et que, dans chaque prévarication contre les règles de leur ministère, ils font un parjure contre leur

serment.

« VorigeDoorgaan »