BIBLIOTHÈQUE DE L'ÉCOLE DES CHARTES 3672- CONSACRÉE SPÉCIALEMENT A L'ÉTUDE DU MOYEN AGE XLVI. ANNÉE 1885. PARIS LIBRAIRIE D'ALPHONSE PICARD RUE BONAPARTE, 82 1885 UN DÉTAIL DU SIÈGE DE PARIS PAR JEANNE D'ARC La découverte du texte de Parceval de Cagny par M. Quicherat a signalé pour la première fois un fait d'une importance considérable pour l'histoire de l'attaque de Paris par Jeanne d'Arc! : le projet d'assaut de la capitale par les faubourgs de la rive gauche, formé par la Pucelle après l'échec subi devant la porte Saint-Honoré, plan que rendait exécutable la construction récente de ponts jetés en travers de l'île Saint-Denis, mais qu'un ordre inconcevable de Charles VII vint faire échouer à la dernière heure?. Un fragment de compte ayant trait à l'établissement de ces ponts, publié par M. Vallet de Virivilles, a, depuis, rendu indiscutable l'allégation du chroniqueur relative à l'existence et à l'importance de ce passage*. Le document édité ci-dessous pourra servir à fixer un détail intéressant sur les positions occupées de l'autre côté de la Seine par l'armée royale, pendant cette période critique du siège. 1. Bibliothèque de l'École des chartes, t. VII, p. 143 et ss. 2. Procès, t. IV, p. 28. 3. Histoire de Charles VII, t. II, p. 120, note 1. La Chronique normande de Pierre Cocbon mentionne également la présence d'un pont « au desoubz de Paris pour garder la Saine. » Ed. Vallet de Viriville, dans la Chronique de la Pucelle, p. 465. 4. L'expression : « les pons que lors ledit seigneur fit faire sur la rivière de Seine, emprès Saint-Denis, » s'explique aisément par la présence de l'ile qui s'étend de Saint-Ouen à Épinay. Il ne semble pas qu'il y ait jamais eu de pont fi se la reliant à la terre. (Voir Lebeuf, Histoire de Paris, t. I, p. 544. Ed. Féchoz.) Aucun pont n'est marqué sur la carte de Cassini, qui date de 1736. Le 26 août 1429, Jeanne d'Arc arrive à Saint-Denis avec le duc d'Alençon'. Le 28, à Compiègne, Charles VII conclut avec Philippe le Bon, jusqu'à Noël, une trêve? qui exceptait de l'armistice Saint-Denis, déjà pris, Paris, Saint-Cloud, Vincennes et Charenton, alors gardés par une garnison presque exclusivement bourguignonne3. Avec les Anglais, maîtres du cours de la Seine en aval, à partir de Saint-Germain, l'état de guerre subsistait comme par le passé. Dès lors la nécessité d'une attaque de vive force sur Paris s'imposait. On sait comment échoua celle du 8 septembre, comment le 9 au matin le roi, entré l'avant-veille à Saint-Denis, fit ramener plutôt comme prisonnière Jeanne d'Arc auprès de lui“. A ce moment encore, grâce à la communication conservée sur l'autre rive, toute espérance n'était pas perdue, et le succès d'une opération dirigée contre une partie tout opposée du rempart aurait été secondé par une heureuse circonstance qui ne paraît pas avoir été jusqu'ici signalée. La lettre de rémission publiée plus loin établit en effet qu'à l'époque où Saint-Denis redevenait français, deux forteresses voisines de Paris, les châteaux de Bethemont et de MontjoyeSaint-Denis, situés entre Saint-Germain et Poissy, étaient également occupés par l'armée royale. Opérée par assaut ou surprise, cette conquête n'avait pu être exécutée qu'à l'aide du pont établi par le duc d'Alençon dès son entrée à Saint-Denis 1. C'était le seul ouvert aux Français depuis Troyes?, et des coureurs s'en servaient journellement pour aller piller Asnières et les villages environnants, battant ainsi librement la longue presqu'île qui s'étend jusqu'à Rueil et Saint-Cloud4. > 1. Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. II, p. 113, et de Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. II, p. 238, note 3, d'après Cagny. Pourtant le Journal d'un Bourgeois de Paris (éd. Tueley, p. 243) dit le 25. 2. On peut en lire le texte dans le fragment de la Chronique dite des Cordeliers imprimé dans l'article de M. Quicherat, Supplément aux témoignages contemporains sur Jeanne d'Arc, dans la Revue historique, mai-juin 1882, p. 76. 3. C'est d'après le seul témoignage original de Cousinot de Montreuil, si mal informé pour tout ce qui regarde le parti bourguignon, que l'on fait généralement figurer à la défense de Paris deux mille Anglais. (Chronique de la Pucelle, éd. Vallet de Viriville, p. 332.) Jean Charlier n'a fait que le copier (éd. Vallet de Viriville, t. I, p. 107. Cf. Notice, p. XXI). Le Journal d'un Bourgeois de Paris dit qu'il ne s'en trouvait pas plus de 40 à 50 (p. 246). D'après Parceval de Cagny (Procès, t. IV, p. 25), et surtout la Chronique des Cordeliers (article de M. Quicherat, l. c., p. 75), Paris n'aurait été gardé que par des Bourguignons, que le Journal évalue ailleurs à 700 (p. 242). Voir la liste des principaux chefs de compagnie dans la Chronique des Cordeliers (l. c.) et dans Monstrelet (éd. Douët d'Arcq, t. IV, p. 345). En tout cas, depuis le 13 août, l'autorité à Paris n'appartenait qu'au duc de Bourgogne, qui en avait été fait gouverneur par lettres de Henri VI, datées de ce jour. (Voir aux Archives communales de Douai, EE 43, vidimus du 16 octobre. Inventaire, EE, p. 9.) 4. Ce second projet d'assaut était ignoré avant la connaissance de la Chronique de Parceval de Cagny. (Procès, t. IV, p. 27.) > La position de ces deux places, plus que l'étendue de leurs enceintes, rendait leur possession précieuse. La tour de Bethemont, posée sur un des promontoires de la longue chaîne de collines qui barre au sud la vallée de la Seine, commandait la route de Meulan à Saint-Germain et à Poissy, qui passe devant elle sur le plateau en forme de palier déjà exhaussé au-dessus de la rivières. Le pan de mur en surplomb, d'aspect étrange et puissant, qui en signale aujourd'hui l'emplacement, fait reconnaître une construction massive à trois étages, le dernier dépassant le niveau de la côte, une coupure profonde pratiquée dans la colline servant de double fossé 6. A une lieue environ, et de l'autre côté du vallon coudé qui débouche à Saint-Germain, le château de Montjoye pouvait communiquer avec la tour?. Il dominait directement l'abbaye célèbre de Joyenval, qui lui avait valu son nom 8. Cette petite place, perdue au milieu des bois épais de Marly, n'observait aucune grande route, mais se reliait à Saint-Germain, 1. ... ( assez tost après la venue de nos diz adversaires, ils firent ung pont. ) Voir la pièce justificative ci-dessous. 2. Voir le récit de la tentative infructueuse sur le pont de Bray-sur-Seine, le 5 août. De Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. II, p. 235. 3. Voir la pièce justificative ci-dessous. 4. Dite aujourd'hui de Gennevilliers. Tous les postes fortifiés, si nombreux au xivo siècle dans ces parages, les forts du prieuré d'Argenteuil, de May (près Sannois), de Gennevilliers, la tour de l'église de Cormeilles-en-Parisis avaient été démolis en 1359, sur l'ordre du capitaine de Paris, par les habitants de tous les villages « à deux lieues environ. » Arch. nat., Trésor des chartes, Reg. 90, n° 518. Cf. Siméon Luce, Histoire de Bertrand du Guesclin, t. I, p. 501 et ss. 5. Seine-et-Oise, arr. de Versailles, cant. et commune de Poissy. 6. Lieu dit la Garenne de Bethemont, dans le parc du château de ce nom. (Plan cadastral de la commune de Poissy.) 7. Seine-et-Oise, arr. de Versailles', cant. de Saint-Germain-en-Laye, commune de Chambourcy. 8. Fondée en 1221. Gallia Christiana, t. VIII, col. 1333. Il ne faut pas confondre Montjoye, appelé par une allusion facile Montjoye-Saint-Denis, avec Montjay-la-Tour (Seine-et-Marne, arr. de Meaux, cant. de Claye, commune de Villevaudé), théâtre de plusieurs faits de guerre à cette époque. |