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j'ouvre la lettre, et j'y trouve ces mots qui sont restés gravés dans mon cœur. »

<< Mon ami, j'ai appris que vous alliez quitter Paris par suite de la gêne où vous vous trouvez, il n'en sera point ainsi, je veux que vous restiez ici jusqu'à ce que le but de votre voyage soit atteint. Je vous envoie un bon de cinquante livres (1,250 fr.), c'est un prêt que vous me rendrez quand vous le pourrez. »>

« Quelques années après, alors que j'aurais pu acquitter celte dette, continue M. Agassiz, je lui écrivis pour lui demander la faveur de rester toujours son débiteur, sachant bien que ma requête serait plus en harmonie avec ses sentiments que le recouvrement d'une somme d'argent. Je la lui dois encore. Ce qu'il a fait pour moi, il l'a fait pour beaucoup d'autres, sans jamais le faire savoir. » Cet acte de générosité nous a paru digne d'être rapporté dans toute son étendue, il honore, et l'auteur du bienfait, et celui qui l'a si noblement

reconnu.

Un des contemporains de Humboldt, le plus fameux, un de ces hommes dont le nom est une des gloires de l'esprit humain, nous a laissé de lui un jugement, qui témoigne de la hauteur à laquelle le chantre de Faust, auteur de découvertes importantes en botanique, plaçait l'illustre savant dans son estime: «< Humboldt, écrit-il, vient de passer quelques heures avec moi, ce matin, quel homme! depuis que je le connais il n'a pas cessé de m'étonner. Je puis dire qu'il n'a pas son égal en science, et en sagesse, et nulle autre part je n'ai rencontré un homme aussi universel. Partout où vous le cherchez vous le trouvez prêt à vous ouvrir les trésors de son intelligence. Il doit passer quelques jours ici (1), cette courte visite sera toute une vie pour mon esprit. »>

(1) A Weimar.

Voilà de quelle manière un des plus grands génies de l'Allemagne moderne parlait de son égal, et cette admiration que Humboldt inspirait à Goethe il allait bientôt la répandre dans le monde, en propageant la science par sa parole.

Le Cosmos, qui est en quelque sorte le résumé des travaux de Humboldt, et qui leur a servi de couronnement, a été de la part de son auteur le sujet d'une série de lectures à l'Académie de Berlin. La salle de l'Université dans laquelle elles furent faites était comble. Le roi, la famille royale et la cour y assistaient; le riche, le noble, le savant, toutes les classes de la société se donnaient rendez-vous pour entendre le célèbre voyageur. Parfaitement maître de son sujet, il était clair, éloquent, impartial, d'une fécondité inépuisable qui enchantait ses auditeurs. Ce fut une époque mémorable pour Berlin et pour toute la Prusse; la renommée de ce cours se répandit bientôt dans toute l'Europe. Gens du monde, hommes du peuple même, tous étaient désireux d'entendre et de voir Humboldt.

Protecteur de la jeunesse studieuse, aimé de son roi, admiré de ses contemporains les plus célèbres, Humboldt ne négligeait point de cultiver les vertus de la famille. Une lettre de lui à Arago nous le montre, pleurant son frère avec toute l'amertume d'un cœur plein de simplicité : « J'ai eu le malheur, écrit-il, de perdre mon frère (1) avant hier, et je suis plongé dans la plus profonde douleur. Dans les grands chagrins on pense volontiers à ceux que l'on aime le mieux, el c'est un soulagement pour moi que de vous écrire. Nous l'avons vu pendant six jours entre la vie et la mort. L'état de faiblesse dans lequel il se trouvait a douloureusement augmenté pendant cette dernière semaine; un tremblement

(1) Guillaume de Humboldt qui s'est acquis une grande réputation par ses travaux sur les langues.

continuel s'était emparé de tous ses membres, cependant son esprit avait conservé sa vigueur primitive. »>

« C'était une haute intelligence, une âme pleine d'élévation et de noblesse. Je me sens bien isolé. »>

Cet isolement surprenait l'illustre savant au seuil de la vicillesse, et les longs jours (1) qu'il a survécu à son frère se seraient peut-être écoulés pour lui dans la tristesse, si le travail et l'amitié n'étaient venus en remplir les heures. M. Taylor, qui a fait deux fois le voyage de Berlin pour voir Humboldt, fut frappé de la vivacité de son regard dans lequel, dit-il, on lisait une perpétuelle jeunesse du cœur, qui rendait léger à ce vieillard si vénérable le poids de quatrevingt sept hivers.

Humboldt parla à Taylor des voyages que ce dernier avait faits en Laponie et dans les Indes-Orientales; il lui dit que, parmi les splendeurs de la nature qu'il était allé considérer dans tant de climats, les hautes montagnes avaient attiré son attention par dessus toute chose. « Vous avez beaucoup voyagé, vous avez vu bien des ruines, ajouta-t-il en terminant, vous en voyez en moi une de plus. >>

Cette ruine qui a été l'objet de l'admiration de toute l'Europe, faisait la gloire du peuple de Berlin. Tous les habitants de la ville, hommes, femmes, enfants, connaissaient ses grands traits et ses cheveux blancs. Il se promenait au milieu d'eux d'un pas ferme et lent, la tête inclinée sur sa poitrine. Aussi respecté dans les rues que dans sa propre demeure, il voyait tous ses concitoyens se ranger à l'écart sur son passage, et le pauvre travailleur disait en le rencontrant à son camarade: Voilà Humboldt!

Entouré jusqu'à son dernier jour de l'auréole du génie, Humboldt, après avoir terminé le Cosmos, qui a été pour lui le chant du cygne, a rendu à Dieu sa grande âme, le (1) 1835-1859.

6 mai 1859. Une place lui est réservée dans le temple de la science à côté des Laplace, des Cuvier et des Arago, et quels que soient les progrès de l'esprit humain dans l'avenir, il ne cessera point d'être une des grandes figures de son siècle.

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