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7. DU DIGAMMA DANS LES POÉSIES HOMÉRIQUES. ( Extrait d'un Nouveau Commentaire sur Homère); par M. DUGAS-MONTBEL.

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<< Mais il se réserva sur tous l'autorité suprême. Comme c'est ici la seule fois que Clarke traite en passant du Digamma éolique (1), je choisis aussi ce passage pour faire connaître sur quelles raisons se fondent ceux qui pensent que l'origine certains mots d'Homère se prononçaient avec cette lettre, dont le son et le signe ne sont plus en usage, mais dont l'existence est attestée par plusieurs monumens lapidaires, et par quelques écrivains qui en ont parlé d'une manière très-précise. Denys d'Halicarnasse dit positivement que les anciens Grecs écrivaient fαναξ, Γοῖκος pour ἄναξ (roi), et οἶκος (maison) (2). Priscien nous apprend qu'on avait coutume d'interposer le Digamma, pour éviter l'hiatus (3). Enfin la langue latine, dérivée du dialecte éolique, prouve à chaque instant l'existence du Digamma, quoiqu'elle n'en ait pas conservé la forme (4). Ainsi de Is (force) les Latins ont fait Vis; de Éσrépa (soir), Vespera; de otvoç (vin), Vinum; de Esos (habit), Vestis; de p (printemps), Ver; où l'on voit partout que le V consonne précède l'initiale du mot dérivé. On trouve aussi les traces du Digamma dans le milieu des mots; ainsi de Ŏïç (brebis), on a fait oVis; de véoç (nouveau), novus; de Maios (léger), leVis; de zλnts (clef), (Eol. xλais), claVis. Priscien, à l'endroit cité, dit qu'il avait lu une inscription sur un vieux trépied où se trouvaient les mots AnpopáFwv (5), AaFoxáFor pour Δημοφάων et Λαοκάων.

ων

L'existence du Digamma une fois bien établie, la question était de savoir si, dans le principe, les poésies d'Homère furent prononcées avec cette lettre. Nul manuscrit connu n'a jamais offert le moindre vestige d'une telle orthographe. Il est probable

(1) Cf. ed. Aug. Ernest., in h. v.

(2) Antiq. Rom., lib. I, c. 20. Selon cet auteur, il faut admettre que les mots avap et exévn prenaient le digamma, comme on le voit à la simple inspection de ce caractère F.

(3) Lib. 1, p. 6, ed., Ald. 1527.

(4) Terentian. Maur. de syllab.. v. 367. Voyez ci-après, page 14,

pote I.

(5) Ou plutôt SEMONHOFON, ce qui a donné le ph des Latins. Cf. Dawesii Miscellan., p. 200, n. 20, édit. de 1817.

même que jamais aucune transcription d'Homère n'a porté le Digamma; et l'antiquité toute entière se tait sur ce point. De sorté qu'il paraîtra toujours bien étonnant que ce ne soit qu'au dix-huitième siècle, qu'un célèbre critique anglais ait imaginé d'élever un pareil doute; mais ce qu'il y a peut-être de plus extraordinaire encore, c'est qu'il ait établi cette proposition avec tous les caractères de la probabilité.

Richard Bentley est le premier qui, s'étant aperçu de quelques irrégularités dans la mesure des vers d'Homère, supposa que ces irrégularités ne provenaient que de ce qu'on avait négligé le Digamma, dont sans doute la prononciation était tombée en désuétude quand on copia pour la première fois l'Iliade et l'Odyssée (1). Ainsi tout le monde sait que lorsqu'un mot terminé par une consonne, a sa dernière syllabe brève, cette même syllabe reste brève si le mot suivant commence par une voyelle', et qu'elle devient longue si le mot suivant commence par une consonne. Exemple : Παῖδ' ἐμῶν, ὡς καὶ ἐγώ περ (2). La dernière d' ἐμὸν reste brève parce que le mot suivant cominence par une voyelle (wę); et si l'on dit τέτλαθι, τεκνῦν ἔμῖν, καὶ ἀνάσχεο (3), la dernière d' ἐμὸν sera longue parce que le mot suivant commence par une consonne (zai). Mais voici un autre cas: μnte Tig..... πειράτω διακερσαί ĕμō ĕŏs (4). Ici comme la mesure des vers exige que la dernière d'eu soit longue, et que le mot suivant commence par une voyelle (ño;), on supposa pour justifier cette quantité insolite, que le mot nos avait été écrit, ou du moins prononcé dans l'origine avec le Digumma, Féños; de sorte que, dans le dernier exemple cité, il faudra écrire uōv finos, ce qui rétablit la quantité des mots dans son état naturel. Cette conjecture ne tarda pas à acquérir un très-haut degré de probabilité, quand on vit que la même particularité avait lieu toutes les fois que des mots de la nature d'apòv se trouvaient devant rog, ou ses dérivés, et en général devant tous les mots auxquels les lois de l'analogie ou l'autorité des monumen s accordaient le Digamma.

De plus on s'est aperçu que souvent Homère laissait sub

(1) Si cela était, ce serait encore une preuve que les poëmes d'Homère n'ont été écrits que long-temps après avoir été composés.

(2) II. S', 477.

(3) II. é, 382. (4) II. 6', 8.

sister l'hiatus entre deux brèves (1), sans intercaler aucune con→ jonction, ni même le ny paragogique, c'est-à-dire sans une lettre euphonique, uniquement ajoutée pour sauver l'hiatus; tel est notre T dans cette phrase, a-T-il dit, et l'on remarquait encore que ces sortes d'hiatus avaient toujours lieu devant les mêmes mots, comme, par exemple, devant le mot va que D. d'Halicarnasse dit avoir été prononcé anciennement avec le Digamma (2), de sorte que les partisans de cette lettre se sont encore crus autorisés à l'admettre dans ce cas pour sauver cette faute contre l'harmonie. Ainsi au lieu de Ατρείδης τε ἄναξ (3), ils écrivent Ατρείδης τε άναξ, et de même toutes les fois que se rencontre la même irrégularité. Maintenant si l'on applique ce que nous venons de dire au vers cité qui fait le sujet de ces observations, puisque x (roi) donne Τάναξ, ἀνάσσειν, regner, donnera Γανάσσειν, à l'aoriste ἐξάνασσα, et l'on devra lire:

Αὐτὸς δὲ μέγα κρατέων άνασσεν,

(1) Je dis entre deux brèves; car, dans la prosodie grecque, un mot peut finir par une longue ou une diphthongue, et le mot suivant commencer par une voyelle, sans que pour cela il y ait hiatus, parce que Ja diphthongue ou la longue étant composée de deux brèves, la dernière s'élide, et la première reste brève. Exemple: rūу d'žju oū kūstā, (Il. á, 29.) L'omega est bref, parce qu'étant réellement composé de deux omicrons, on supprime le second, et l'on prononce tùv ♪ 2ŏ? οῦ λυσσῶ ; de même pour la diphthongue ή και ονειροπόλον. (1, ά, 63.) Kai est bref, parce qu'on élide la seconde voyelle dans la prononciation, comme au second vers de l'fliade, où l'élision est exprimée par Papostrophe : μυρί' Αχαίους pour μυρία ̓Αχαίους. Nous devons aisement concevoir comment cette suppression de la dernière voyelle détruit l'hiatus, puisque c'est par une loi analogue que, dans notre langue, lorsqu'un mot se termine par une voyelle et un e muet, quoique cet e muet s'élide, la voyelle qui le précède ne forme point un hiatus avec la voyelle initiale du mot suivant, comme dans ce vers de Boileau :

J'en sais une chérie et du monde et de Dieu. (Sat. X, 516.)

Dans le latin on trouve aussi quelques exemples d'une longue considérée comme deux brèves, dont la dernière s'élide, et la première rește brève. Virgile a dit : Tē Cărydōn ŏ i̇lēxì (Ecl. 2o., 65), quaique l'o soit long; Văle vălĕ inquit (Ecl. 3,79); Pēľïõ ōssā (Georg.1, 281); Ilto alto (En., V. 261).

(2) Loco. cit..

(3) II. á, 7.

ce qui substitue l'hexamètre ordinaire au vers spondaïque en rétablissant le dactyle à la pénultième mesure.

Mais, dit-on, comment supposer qu'Homère, poëte ionien, ait employé constamment la prononciation d'une lettre éolique? Heyne répond à cela que la prononciation du Digamma appartenait au langage commun des Grecs, et que si dans la suite la lettre qui représentait ce son a été nommée Digamma éolique, c'est parce que les Éoliens sont ceux qui l'ont conservée le plus long-temps dans leur prononciation (1). Le même critique fait encore observer à ce sujet que Denys d'Halicarnasse en parlant du Digamma, ne dit pas qu'il appartint seulement aux Éoliens, mais à tous les anciens Grecs (2); principe qu'on peut appliquer non-seulement au Digamma, mais à ce prétendu mélange de dialectes qu'on trouve dans Homère; c'était là le langage commun de son temps, et ce ne fut que plus tard qu'eut lieu la distinction des dialectes.

Tels sont à peu près et sommairement les motifs qui ont déterminé plusieurs critiques à supposer que le Digamme a existé d'abord dans les poésies d'Homère. Cette doctrine a pris náissance en Angleterre, et c'est aussi le pays où elle compte le plus de partisans. A leur tête il faut placer Richard Bentley, nom d'un grand poids, critique d'une admirable sagacité, et véritable anteur de la découverte (3). Après lui vient Dawes qui, dans ses Miscellanées, a traité ce sujet avec détail (4); ensuite Upton et Salter, qui tous deux ont donné des specimen d'une édition d'Homère avec le Digamma (5). Il faut nommer aussi Taylor et Forster, cités par Burgess dans sa préface des Miscellanées de Dawes (6); et enfin Payne Knight, qui a mis en pratique ce que ses prédécesseurs n'avaient encore qu'établi en théorie, et qui, en 1820, a publié l'Iliade et l'Odyssée, non-seulement avec

(1) Heyn. Excurs. II, in II. ', to. VII, p. 713 seqq.

(2) Antiq. Rom., 1. c.

(3) Cf. Heyn., ed., t. III, p. XCIII et seqq., et t. VII, p. 721, not. (4) Quoique Dawes prétende que cette lettre doive s'appeler vau et avoir la forme du w anglais, il doit être compté aux premiers rangs des partisans du digamma; car la question n'est pas de savoir quel son ou quelle forme avait cette lettre, mais de savoir si elle a ou non existé dans les vers d'Homère. Or, toute la section IV des Miscellanées est consacrée à le prouver (p. 175, seqq., ed. 1817).

(5) Daw. Miscell., p. 332 et 337, ej. ed.

(6) P. 336, ej. ed.

le Digamma, mais avec une orthographe particulière qu'il suppose avoir été dans le principe celle d'Homère. Jusqu'à lui on s'était contenté de donner des specimen de ces sortes d'archaïsmes, M. Knight est le premier qui en ait fait une application générale aux deux poëmes d'Homère (1). Parmi les Allemands, Heyne s'est déclaré en faveur du Digamma. Cette autorité est respectable, car Heyne joignait à un grand savoir, des idées fines et un esprit juste. Au bas de son texte, où il suit l'orthographe ordinaire, il a placé les mots avec le Digamma (2); dans le courant de ses observations il en consacre plusieurs à expliquer ses idées sur le Digamma; toutefois il ne traite la question à fond que dans les dissertations II, III et IV, qui sont à la suite des observations sur le XIX. chap. de l'Iliade (3). M. Wolf, qui a porté dans l'étude d'Homère des pensées si ingénieuses et si profondes, qui a envisagé ces anciennes poésies sous un point de vue si intéressant, n'a rien dit du Digamma, ce qui ferait supposer qu'il n'adopte pas les idées nouvelles à cet égard; mais une raison plus forte, c'est que dans son édition il ne donne pas les leçons reçues par les partisans du Digamma. Ainsi il a laissé subsister Euρñoño ŭvāztā (4), qui pèche contre le Digamma, au lieu d'admettre Eupσño, comme MM. Heyne et Knight. Si, au premier chant de l'Iliade, il écrit, conformément aux partisans du Digamma, ilãodμêò0ž ŭvāztā (făvaxta), au lieu de l'ancienne leçon, ikācσôμěl' ŭvāzтā (5), et au neuvième de l'Iliade, λo dž siny (Feinn), au lieu de āîλõ de ßāķēī (6), des anciennes éditions; c'est sans doute parce qu'il s'y est cru autorisé par l'édition de Venise, dont il suit le texte assez volontiers. Quant à nos érudits français, quoiqu'ils n'aient pas eu l'occasion de s'expliquer, il est permis de croire qu'ils ne partagent pas l'opinion des critiques d'Angleterre (7).

(1) Voici le titre de cette édition, qui explique suffisamment les intentions de l'auteur: Carmina Homerica, Ilias et Odyssea à rhapsodorum interpolationibus repurgata, et in pristinam formam, quatenus recuperanda esset, tam e veterum monumentorum fide, et auctoritate, quam ex antiqui sermonis indole ac ratione redacta.

(2) Homeri Carm. cur. Heyne., 1802.

(3) To. VII, p. 708 seqq. ej. ed.

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