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catholicisme dont il est la gloire la plus éclatante, mais par sa conception de l'histoire, est resté profondément gallican. Il n'oublie jamais sa patrie et la suite de son discours aurait montré la grande place qu'il faisait religieusement et historiquement à la France'. Sauf la langue qu'il parle, M. Quadrado semble être un Romain pur sang. De l'île de Palma, où il réside, c'est manifestement sur Rome, non sur Madrid, qu'il s'oriente. Les nombreuses révolutions espagnoles, au XIXe siècle, ont ébranlé au delà des Pyrénées la foi monarchique; elle n'ont pas ébranlé, il s'en faut, la foi catholique, apostolique et romaine dans le cœur de M. Quadrado. Riverain de la Méditerranée, Rome lui semble peut-être ne faire qu'un avec l'Espagne; nul doute que pour lui la Rome pontificale ne doive être l'âme même de l'Espagne. Aussi bien, en y regardant de près, on ne saurait contester sa qualité d'Espagnol. Par la vivacité de ses convictions religieuses, par l'énergie avec laquelle il les exprime, on reconnaît bien vite sa nationalité. Il appartient sans conteste au pays qui a si vaillamment organisé la croisade perpétuelle contre les Maures et qui a si cruellement, mais si sincèrement sévi contre lui-même par le saint-office. On le voit ce n'est pas le même catholicisme qui inspire Bossuet et M. Quadrado, et nous serions tenté de dire que le plus évêque des deux n'est pas celui qu'on pense. Quand on le compare à Bossuet, qui discute catégoriquement, mais non sans déférence, avec Luther et Melanchthon, M. Quadrado semble approcher de plus près le Dieu du Sinaï.

En opérant la confrontation attentive des deux ouvrages, voici ce dont on s'aperçoit.

M. Quadrado a voulu suivre exactement l'économie du livre de son illustre devancier. Aux trois parties de Bossuet: Les Époques ou la suite des temps, la Suite de la religion, les Empires, répondent les trois parties de M. Quadrado: Cronologia de los sucesos; Desenvolvimiento de la Iglesia; Vicisitudes de los Estados. L'auteur espagnol pense justement que Bossuet, abordant franchement l'ère chrétienne, eût quelque peu modifié son plan et confondu les deux dernières parties'; mais il se conforme respectueusement au

1. « Je me réserve à vous faire un second Discours, où j'aurai une raison nécessaire de vous parler de la France et de ce grand conquérant (Louis XIV), qui étant égal en valeur à ceux que l'antiquité a le plus vantés, les surpasse en piété, en sagesse et en justice. »

2. En effet, il n'y a plus lieu de distinguer formellement la suite de la religion de empires convertis eux-mêmes à cette religion.

plan primitif. De là d'inévitables redites que le beau langage de M. Quadrado empêche de peser trop aux lecteurs.

Le livre espagnol est notablement plus étendu que le livre français. · Dans Bossuet', la première partie comprend 136 pages, dans Quadrado, 359; la seconde, dans Bossuet, 257 pages, dans Quadrado, 196; la troisième, dans Bossuet, 115 pages, dans Quadrado, 235. Il apparaît clairement que, pour l'auteur du Discours sur l'Histoire universelle, le point capital, c'est la Suite de la religion. Au fond, il en est de même pour son continuateur, qui, dans les deux dernières parties, a pour unique objectif le christianisme, dans l'ordre religieux, d'abord, puis dans l'ordre politique.

Nous avouons que M. Quadrado semble l'emporter sur Bossuet dans ce que le premier appelle chronologie des événements et le second époques. Pour plusieurs raisons : les dates y sont plus nettement établies, la suite des faits mieux dégagée. Peut-on d'ailleurs avancer qu'il y a une suite des faits dans les Époques de Bossuet? C'est juxtaposition qu'il faut dire. Nous admirons, chez M. Quadrado, la merveilleuse connaissance de son sujet, si complexe, qu'il domine toujours. C'est un sommaire à rendre jaloux les plus habiles professeurs d'histoire 3.

Dans la seconde partie, Suite de la religion, Desenvolvimiento de la Iglesia, l'Aigle de Meaux semble terrasser l'aiglon de Palma. C'est qu'il interprète les prophètes et qu'il est vraiment l'un d'entre eux. A M. Quadrado revient du moins le mérite de nous donner ici une histoire très intéressante, un peu trop papiste, de la papauté. Dans ses Empires, Bossuet avait l'occasion de montrer qu'il savait descendre parfois de son siège épiscopal, discuter d'une façon toute laïque, toute humaine, les affaires de ce bas monde, être homme d'État au sens le plus élevé et le plus pratique du mot, et justifier l'un de ses titres les plus enviés, celui de conseiller du roi en ses conseils. Pareille fortune n'arrive point à M. Quadrado : il a le bonheur ou le malheur de discourir sur une Europe entièrement chrétienne, quoiqu'il ne la trouve pas assez chrétienne à son gré et qu'il la morigène durement.

1. Nous suivons l'édition de M. Olleris (Hachette) qui a le même format que le livre de M. Quadrado.

2. Il n'en pouvait être autrement, on l'a vu plus haut.

-3. Voici l'intitulé des Époques de M. Quadrado, faisant suite à celles de Bossuet: 12o Charlemagne (Complément); 13° Les Croisades: 14° Avignon; 15o Le Protestantisme; 16° L. Révolution française; 17° Le concile du Vatican.

4. C'est Grégoire VII qui est l'objet de sa prédilection.

C'est bien là de l'histoire antigéographique, plus préoccupée de deviner les desseins de Dieu que de constater les lois terrestres et humaines.

Ce n'est pas que nous ne puissions, dans M. Quadrado comme dans Bossuet, signaler des intentions et mème, çà et là, des vues géographiques et ethnographiques remarquables.

Renvoyons aux passages concernant la formation des États espagnols', la féodalité, et la substitution, d'une capitale unique et permanente à des capitales provinciales et changeantes3.

Les pages que nous serions le plus disposé à combattre sont aussi celles qui nous en apprennent le plus sur la manière dont la majeure partie des Espagnols jugent les grands événements et les principaux personnages de leur histoire. C'est à ce titre que nous engageons à lire ce qu'il écrit sur l'Inquisition espagnole, envers laquelle il se montre fort indulgent, tout en lui préférant l'Inquisition romaine, plus douce; sur Philippe II, qui, pour M. Quadrado, comme pour beaucoup de ses compatriotes, reste la plus haute personnification politique de l'Espagne ; il le loue non seulement de son application aux affaires, mais de son invincible ténacité. On sent que M. Quadrado serait bien plus heureux d'avoir à écrire.

1. Tome II, page 214: « Del robusto tronco de la monarquía goda derribado por el suelo brotaron de uno á atro estremo renuevos vigorosos, el reino de Asturias, el de Navarra, el condado de Aragon, el de Ribagorza, que nutridos con la savia del país, y amalgamando por el comun peligro, mejor que antes por la conquista, los elementos indigenas con la raza dominadora, surgieron harto mas nacionales aunque menos pomposos que el hundido trono cuyo vacio llenaban.

2. Id., page 221: El repartimiento de la propriedad, mas o menos esclusivo entre los vencedores segun la resistencia encontrada, á la vez que entrañaba permanente necesidad de defensa, conferia dominio sobre el lote asignado, y con el jurisdiccion sobre los moradores puestos debajo de su proteccion, creando obligaciones gerárquicas y recíprocas en la escala social.

3. Id., page 303: Fijóse, a lalpaso que las prerogativas, la residencia del monarca, obligado antes á movilidad continua por belicosos cuidados ó por exigencias del régimen local; y respecto de las ciudades vinieron á ser reinas las 'capitales, tanto las de creacion antigua á estilo de París y Londres, como las recien elevadas de entre otras iguales y aun mayores al supremo rango, conforme sucedío en España y en el Imperio. A ellas afluyó, como la sangre al corazon, la vida de las provincias; en su seno se centralizó la administracion, la alta magistratura, la direccion suprema del estado, etc.. El rey era el sol al rededor del çual giraban los demas cuerpos. (Voir aussi le beau passage concernant la découverte de l'Amérique. Page 82.)

4. Les bûchers ne brûlèrent certainement pas, dit-il, les ailes du génie espagnol, plus vif alors que jamais. « Las hogueras no quemaron ciertamente las alas del genio español, remontado como nunca. » (Page 85.)

5. Tome II, page 318. « Para él no habia mas que una regla indeclinable así en el gobierno interior como en sus relaciones estranjeras, y la seguía á prueba de dificultades y sacrificios, sin vacilacion ni calculo y sin preocuparse del éxito, que dejaba en

manos de la Providencia.

l'histoire universelle, si le soin de faire l'histoire universelle était toujours confié par la Providence à des défenseurs aussi énergiques du catholicisme que Philippe II.

Il n'est pas douteux que bien des opinions émises par M. Quadrado ne blessent les sentiments de la généralité des Français. Ils seront bien plus disposés à l'approuver quand, s'inspirant d'un ardent patriotisme, il nous montre l'Espagne, envahie par les armées de Napoléon, soutenant victorieusement une lutte en apparence si inégale :

«L'Espagne est la seule nation qui n'ait jamais conclu avec Napoléon de capitulations, de conventions, ni de trèves, se débattant sous la main de fer qui l'accablait. Et cette gloire, complètement nationale, ne se personnifie pas dans des noms d'hommes ou de partis. Elle fut conquise sans grands capitaines, sans grands politiques, sans gouvernement stable et obéi, au milieu de la plus vive lutte de principes, pendant que les uns réservaient au monarque absent la réforme des abus et que les autres s'efforçaient de lui imposer leurs idées. En nous couvrant de gloire, ce dangereux interrègne nous a causé deux pertes lamentables: celle des colonies espagnoles qui, pour s'affranchir, s'autorisèrent des aphorismes politiques de Cadix, plus encore que des bouleversements de la péninsule, et celle de l'unité nationale, désormais déchirée en deux factions, deux légalités et deux patries. »

Souhaitons, avant de clore ce chapitre, que l'oeuvre de M. Quadrado ne tarde pas à être traduite en français. Un sérieux intérêt s'attacherait à cette traduction. Tous les amis des lettres françaises seraient, par le nom de Bossuet, incités à rechercher le livre de son continuateur. Ils constateraient avec nous la déviation qu'a nécessairement subie, en traversant la pensée d'un laïque fervent, compatriote de Paul Orose, la conception des évêques d'Hippone et de Meaux. Mais c'est en réalité moins l'histoire universelle que l'Espagne des siècles passés, et un peu celle du siècle présent, qui leur apparaîtrait sous son vrai jour '.

(La suite ultérieurement.)

LUDOVIC DRAPEYRON.

1. Nous remercions M. J. Frontera, docteur ès sciences, notre savant collègue du lycée Charlemagne, de nous avoir fait connaître l'ouvrage de M. Quadrado, son compatriote, ouvrage dont nous aurons été, croyons-nous, le premier à parler dans un périodique français.

A COMBIEN DE PARIS EN CHEMIN DE FER?

ÉTUDE DE GÉOGRAPHIE CINÉMATIQUE

Demandez-vous à un de vos amis, habitant de Tours, par exemple, à quelle distance il se trouve de vous, Parisien inamovible, la forme de la réponse est stéréotypée « Tours est à quatre heures de Paris. » Si votre Tourangeau est quelque peu minutieux, il établira une distinction entre les durées respectives du trajet, suivant que les trains sont plus ou moins rapides et comportent ou non des voitures de deuxième ou de troisième classe, mais le point de vue sera toujours le même.

Consultez-vous, sur le même objet, un dictionnaire géographique, la réponse sera toute différente: « Tours, chef-lieu du département d'Indre-et-Loire, à 236 kilomètres S.-O de Paris, archevêché, etc... »

Malgré tout le respect que méritent les dictionnaires, il faut avouer que les renseignements qu'on y trouve, quoique d'une précision mathématique, sont insuffisants, puisqu'ils laissent la curiosité en suspens. C'est qu'en ce siècle de vapeur, les kilomètres se franchissent sans se compter; et, suivant une hyperbole banale, la locomotive a supprimé les distances. Mais aucune invention n'a encore réussi à réduire l'importance du temps, en en multipliant l'étendue; tout au contraire, les minutes deviennent de plus en plus précieuses; plus que jamais la tâche humaine est longue pour notre courte existence et exige qu'on fasse beaucoup en peu d'instants. Un aphorisme latin exprimait tout cela en six mots, et on pouvait citer ce dicton sans l'enfreindre ipso facto. Aujourd'hui, celui qui consacrerait onze syllabes à recommander l'épargne du temps ressemblerait à un orateur prêchant la tempérance, le verre en main. Aussi les Anglais, gens pratiques et logiques, ont-ils réduit de cinquante pour cent l'énoncé du proverbe. Ils ne s'en tiendront pas là, soyez-en sûrs, et bientôt ils créeront un monosyllabe pour cet usage spécial.

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