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MOUVEMENT GÉOGRAPHIQUE

La mer intérieure.

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Séance de la Société de Topographie de France, au grand amphithéâtre de la Sorbonne : MM. de Lesseps, le général Menabrea, le commandant Roudaire. La France, le Portugal, l'Angleterre et le Congo. Une partie de la Nouvelle-Guinée annexée au Queensland. – Le Tong-King : le traité Bourée avec la Chine. La conférence de M. Fuchs sur l'Indo-Chine. M. Drapeyron donne connaissance, à la Sorbonne, d'une communication de M. Labarthe sur les frontières de la Chine et du Tongking. M. de Lesseps demande qu'elle soit transmise à notre ministre des affaires étrangères. — Les voyageurs russes dans l'Asie centrale. Nouvelles diverses d'Afrique.

I

Des grands hommes qu'a vus le XIX° siècle, le plus populaire peutêtre dans le monde entier est M. de Lesseps. Les grands hommes. d'État, quels que soient les services qu'ils aient rendus à leur patrie, rencontrent toujours devant eux la défiance des étrangers, et trop souvent l'odieuse animosité des partis politiques que leurs convictions les ont forcés de combattre. Lorsqu'ils songent à ce qu'ils ont fait, lorsqu'ils regardent avec orgueil la carrière qu'ils ont parcourue, c'est pour eux une dure épreuve que de voir combien d'hommes ont méconnu la grandeur de leur œuvre et que d'entendre, en même temps que des applaudissements d'admirateurs, parfois euxmêmes jaloux, le murmure d'ennemis sans scrupules. Les grands écrivains connaissent, eux aussi, bien des déboires et ils éprouvent les caprices de la mode. Mais il est des hommes qui n'ont rien à craindre de l'inconstance de l'opinion populaire : ce sont ceux qui, par d'immortelles découvertes, ouvrent à l'humanité de nouvelles mines de richesses; et le plus grand d'entre eux n'est-il pas, dans notre siècle, Ferdinand de Lesseps? Les générations futures envieront le sort de la nôtre qui a pu connaître un tel homme, et, comme le disait récemment un chroniqueur, il leur apparaîtra comme un nouveau Titan, comme un collaborateur de Dieu, ayant pris à tâche de perfectionner l'œuvre du Créateur. Aucun homme de notre temps. n'aura plus fait pour le bonheur de l'humanité, et il peut se dire avec orgueil que tous les peuples reconnaissent son génie. Il n'y a qu'une chose qui soit plus belle que la grandeur de ses concep

tions : c'est son infatigable persévérance. Rien n'est plus admirable que de voir la patience qu'il sait déployer pour arriver à son but, et l'enthousiasme juvénile avec lequel il sait imposer à l'opinion l'admiration des œuvres qu'il patronne. Nous croyions que le créateur du canal de Suez était tout occupé de celui de Panama, de celui de Krâ ou de celui de Corinthe: mais il a été touché des laborieux efforts d'un savant officier; on lui a parlé d'une œuvre utile à faire, d'une mer nouvelle à créer en Tunisie, et, n'écoutant que cette ardeur qui le poussait, il y a peu de temps, à affronter le climat de l'isthme de Panama, et plus récemment encore à courir en Égypte des fatigues, des dangers de toute sorte, pour défendre son canal de Suez, il est parti pour l'Afrique. Il en revient convaincu de l'utilité et de la possibilité de faire la mer algérienne, etil multiplie les occasions de recommander au public les travaux si sérieux du commandant Roudaire.

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Les lecteurs de la Revue connaissent déjà ces travaux; nous n'avons donc qu'à les mettre au courant de l'état actuel de la question. Il est incontestable que la création de la mer algérienne améliorerait le climat, assainirait des régions insalubres et y apporterait la fécondité. Peut-être aussi pourrait-on y créer un port militaire de grande importance, attirer dans ce nouveau golfe de nombreux vaisseaux, et créer sur ses bords des marchés importants où les caravanes apporteraient les produits du Soudan. De vastes régions aujourd'hui privées d'eau pourraient être rendues à la culture. La commission supérieure, chargée, au mois de juin dernier, d'examiner le projet, avait reconnu ces faits, et avait avoué que l'exactitude des travaux scientifiques sur lesquels repose le projet est audessus de toute contestation, que l'exécution du canal d'alimentation ne présenterait aucune difficulté; et qu'en admettant même les hypothèses les plus défavorables au sujet de l'évaporation et de la saturation, la mer intérieure serait assurée d'une existence de mille à quinze cents ans. Seulement la commission se demandait si les résultats qu'on pouvait légitimement espérer étaient assez grands pour répondre à des dépenses considérables qu'on devait prévoir et elle concluait en émettant l'avis que les difficultés matérielles seraient trop importantes.

La commission a exagéré les difficultés et les dépenses, répond M. de Lesseps dans une note qu'il a communiquée à l'Académie des sciences le 17 avril. Partout les terrains sont d'une extraction

:

facile ainsi la commission avait calculé qu'au seuil de Kriz il faudrait enlever 25 millions de mètres cubes de roches dures; M. Roudaire a reconnu un peu plus bas un autre passage, celui de Tozeur, moins élevé de 12 mètres et uniquement formé de sables. Le volume des roches calcaires constatées à la base du seuil de Gabès est relativement peu important, elles fourniront les matériaux nécessaires à l'exécution des jetées et des constructions du port et permettront en outre, si cela est nécessaire, d'établir à peu de frais à l'entrée du canal une vanne, au moyen de laquelle on règlera suivant les besoins l'introduction de l'eau pendant le remplissage. Eu égard à la nature des terrains traversés, il suffira de creuser tout d'abord dans la partie d'alluvions un canal d'une largeur moyenne de 25 à 30 mètres qui sera agrandi au moyen du courant lui-même cette tranchée pourra être exécutée en cinq ans.

II

Nous avons parlé plus haut de l'irrésistible courant de sympathie qui s'est établi entre le grand Français et tous ses compatriotes, illustres ou obscurs. Nous n'en voulons pour preuve que la séance générale de la Société de Topographie de France, tenue le dimanche 22 avril à la Sorbonne, sous la présidence de M. de Lesseps. Immédiatement à sa droite et à sa gauche, étaient M. l'inspecteur général Carriot, directeur de l'enseignement primaire de la ville de Paris, délégué du ministre, et M. Drapeyron, directeur de la Revue de Géographie. Sur l'estrade on remarquait M. le général Menabrea, ancien président du conseil et ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du royaume d'Italie; M. le commandant Roudaire; M. Levasseur, de l'Institut; Mlle Kleinhans; M. Tasma, attaché militaire près l'ambassade du Japon; MM. les députés Arthur Picard et Henri Liouville; M. le colonel russe Venukoff (notre éminent collaborateur); MM. Couvreux et Hersent, les entrepreneurs qui ont suivi M. de Lesseps en Tunisie.

M. de Lesseps a ouvert la séance en rappelant les services de l'Association, et il a, au nom du ministre, remis les palmes académiques à un des membres du conseil, M. Guiraudon, chevalier de la Légion d'honneur et de l'ordre de Sainte-Anne de Russie, médaillé militaire. M. Drapeyron a retracé le Programme de la Société de Topographie; M. le capitaine Gaumet a fait une conférence d'une

remarquable lucidité sur les applications tant militaires que pacifiques de la topographie.

Quand M. de Lesseps a pris la parole, les applaudissements les plus chaleureux ont éclaté. Son exposé plein de bonhomie, de bon sens, d'humour, de vues pénétrantes sur la mer Roudaire, comme il propose de l'appeler, a été si souvent interrompu par les bravos, qu'il a pu dire aux assistants : « C'est vous qui aujourd'hui même. préludez à l'exécution de la mer intérieure tunisienne et algérienne. »

Nous avons dit plus haut que M. l'ambassadeur d'Italie était présent. M. Ferdinand de Lesseps lui adressant la parole, s'est exprimé à peu près en ces termes : « Mon noble ami, M. le comte Menabrea, qui est non seulement général et ambassadeur, mais ingénieur, ne me démentira pas. Lui aussi, j'en suis sûr, comptera parmi les partisans résolus de la mer Roudaire. Je ne suis pas un personnage politique, un diplomate, bien que je l'aie été pendant longtemps. Mais, je le proclame hautement, sans l'Italie, que M. le comte Menabrea représente aujourd'hui si dignement à Paris, je n'aurais jamais percé l'isthme de Suez. Je suis sûr que l'Italie sera toujours notre amie, ceux qui disent le contraire ne savent pas ce qu'ils disent, et qu'elle sera bientôt pour nous en Afrique une bonne voisine aussi bien qu'en Europe. »

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M. l'ambassadeur d'Italie s'est levé et il est venu serrer avec effusion la main de M. de Lesseps, le remerciant chaleureusement, au nom de son roi et de sa nation, des paroles qu'il venait de prononcer. Le public a applaudi avec une telle ardeur que plusieurs assistants nous ont dit : « L'alliance italo-française est renouvelée sous les auspices de la Société de Topographie. »

C'est au milieu des accords de la musique du 89° de ligne, dirigée par M. Suzanne, que la séance a pris fin, et M. de Lesseps a regagné la rue Saint-Florentin où l'attendait son fils, M. Charles de Lesseps, rentré de Panama à Paris au moment même où le grand Français prononçait son discours de la Sorbonne, si applaudi.

III

C'est M. de Lesseps qui a soutenu de son influence M. de Brazza, et on sait combien il a eu la main heureuse. M. de Brazza est parti de Bordeaux, le 21 mars dernier, et son expédition fait déjà parler d'elle. Son avant-garde est arrivée le 29 janvier à Libreville, d'où

M. de Lastours a donné de ses nouvelles à l'Avenir des Colonies. « Il y avait avec nous, dit-il, trois jeunes gens français qui viennent s'installer ici pour faire des plantations; ce sont presque les premiers colons. Il y a une douzaine de factoreries éparses dans les environs, mais presque tout le commerce se trouve entre les mains de deux maisons, une allemande, l'autre anglaise. Ballay est parti pour Brazzaville. Dès que le paquebot anglais sera arrivé, je partirai sur un petit vapeur de la maison allemande pour remonter l'Ogooué jusqu'aux factoreries. Si vous avez des amis disposant de 100 000 francs, envoyez-les ici planter des palmiers à huile. Dans cinq ans ces 100 000 francs vaudront un million. » M. de Lastours a occupé ces jours derniers Punta Negra, point situé sur la frontière portugaise. Un des navires de la station portugaise a protesté : mais le gouvernement de Lisbonne a reconnu que Punta Negra était en dehors du territoire portugais. Néanmoins il est probable que les Chambres portugaises, accusant le ministère de mollesse, vont le

renverser.

L'animation est grande à Lisbonne, surtout contre l'Angleterre : n'a-t-on pas vu un membre de la Chambre des communes accuser le gouvernement portugais de favoriser la traite et de maintenir la barbarie dans ses possessions? L'Angleterre voudrait qu'aucune nation européenne ne s'établît au Congo; mais elle-même ne craint point de multiplier les annexions dans toutes les parties du monde. Les Anglais viennent d'annexer en Guinée le pays qui sépare leurs possessions du territoire de la république de Libéria. On dit aussi que 4000 Achantis vont s'établir à Denkerah et demandent le protectorat anglais : la Société de Géographie commerciale s'est émue de ces faits; son attention a été appelée plusieurs fois par M. Brun, notre vice-consul, sur l'importance possible des relations de nos établissements avec le pays des Achantis; et il est à craindre que l'influence anglaise ne nuise à la nôtre dans ces parages.

D'autre part, la colonie du Queensland a, sans autorisation de la métropole, annexé la partie de la Nouvelle-Guinée indépendante de la Hollande nous attendrons de plus amples détails pour apprécier les conséquences de ces faits.

IV

La question du Tong-King va-t-elle enfin être résolue? Nous y avons actuellement 1200 hommes et 13 bâtiments; et des tirailleurs

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