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purement nominal. Si ce n'était pas l'annexion, cela y ressemblait beaucoup. La Turquie se trouvait posséder désormais la Bosnie, comme l'individu qui se regarde dans une glace possède son image. Au dernier moment, le sultan fut, dit-on, saisi d'un grand trouble. Deux jours, deux nuits s'écoulèrent avant qu'il se décidât à signer le traité. On eût hésité à moins.

IV.

L'Autriche n'avait pas attendu jusque-là pour se mettre à l'œuvre. Déjà, depuis le 1er janvier de cette année, une administration civile, distincte du commandement militaire, avait partiellement remplacé en Bosnie l'autorité militaire qui, au début, concentrait en elle tous les pouvoirs. Ressortissant au « ministère commun», formé des trois ministères des affaires étrangères, de la guerre et des finances, plus spécialement rattachées à ce dernier département que dirige à cette heure l'un des hommes d'État les plus distingués de l'Autriche-Hongrie, M. de Kallay, les « provinces administrées», c'est ainsi qu'on les désigne officiellement, avaient à leur tête un général-gouverneur1, doublé d'un lieutenantgouverneur qui le remplace en cas d'absence et assisté d'un ad latus civil 2.

Elle forme trois directions ou départements ministériels : l'intérieur, qui comprend, outre l'administration civile proprement dite, la police, les cultes, les écoles, la force armée, les travaux publics, les forêts, la justice et les finances.

Les circonscriptions sont restées à peu près ce qu'elles étaient sous le régime ottoman; il n'y a guère eu de changé que les noms. Les anciens sandjaks sont devenus des Kreis (cercles); les cazas, des Bezirk (districts). La Bosnie, diminuée du sandjak de Novi-Bazar, et l'Herzégovine forment six cercles: Sérajévo, Mostar, Travnik, Banialuka, Bihatch et Zvornik, subdivisés en quarantedeux districts.

Le premier soin de la nouvelle administration fut de faire procéder au recensement général de la population dans les deux provinces. J'en ai indiqué précédemment les résultats: 1158 440

1. Le titre officiel est: Chef du gouvernement des provinces (Chef der Landesregierung); le titulaire actuel est le général de cavalerie, et conseiller intime, baron d'Appel. 2. Le lieutenant feld -maréchal chevalier Stransky de Dresdenberg.

habitants1, répartis entre 48 villes et 5073 bourgs et villages formant ensemble 1272 paroisses (communes).

A la tête de chaque cercle il y eut, au lieu d'un muteçarif, un commandant de cercle (Kreisvorsteher), sorte de préfet, représentant le pouvoir central dans toutes ses branches, sauf la branche judiciaire; à la tête de chaque district, au lieu d'un caïmacam, un Bezirksvorsteher, placé sous les ordres du commandant de cercle et exerçant les mêmes attributions.

Des tribunaux, organisés sur le modèle des tribunaux croates et dalmates, remplacèrent les anciens tribunaux mixtes (communs aux musulmans et aux non-musulmans), institués par la loi de 1869, et les tribunaux propres aux diverses communautés non-musulmanes, dont l'origine remontait à la conquête. Les abbés franciscains, les évêques orthodoxes, le grand rabbin de Sérajévo, privés de la juridiction temporelle qu'ils exerçaient sur leurs coreligionnaires, ne furent plus désormais que des chefs spirituels sans ombre d'autorité civile.

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Les tribunaux du chéri, le chéri est, comme on sait, la loi religieuse et civile musulmane, furent maintenus dans la plupart des villes, où la population mahométane domine en général 2.

Placés sous la haute surveillance d'un conseiller de cour (Regierungsrath), qui vient immédiatement après le directeur de la justice, les tribunaux bosniaques, qui figurent au budget de la province pour une somme de 620,000 florins, forment trois degrés: une cour d'appel à Sérajévo (1 président et 4 conseillers); six tribunaux de première instance (1 président et 2 juges), siégeant au cheflieu de cercle; quarante-deux tribunaux de paix dans les districts, composés d'un juge unique. La coutume continuera à servir de règle dans les tribunaux, jusqu'à l'achèvement du code civil qu'une commission spéciale a été chargée d'élaborer avec le concours de jurisconsultes musulmans. Un nouveau code pénal, calqué

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2. Ainsi, sur une population totale de 21 377 habitants, Sérajévo renferme 14 848 mahométans; Mostar, 6421 sur 10 848; Banialuka, 6474 sur 9 560; Travnik, 3482 sur 5887; Biélina 4560 sur 6 090; Tuzla, 3918 sur 5 199, etc. (Recensement de 1880.) 3. Sur ce total, 30000 fl. sont affectés aux tribunaux du chéri.

4. Rapport sur l'état actuel de l'administration en Bosnie. (Livre rouge de 1881.)

sur le code autrichien de 1852, mais tenant compte des dispositions de la loi mahométane dans les cas de bigamie et d'adultère, a remplacé, depuis le 1er septembre 1879, l'ancien code pénal des tribunaux nizamièh.

En même temps qu'il abrogeait ipso facto les privilèges des chefs de communauté dans l'ordre civil, le nouvel état de choses entraînait comme conséquence naturelle, presque forcée, la suppression de la juridiction consulaire en Bosnie. Les capitulations furent abolies dans les provinces occupées, comme elles l'avaient été l'année auparavant, à Chypre. Le précédent créé en 1878 par l'Angleterre devait désormais faire loi. Ce précédent constituait au fond une dérogation au droit international. La convention angloturque du 4 juin ne conférant point à l'Angleterre un titre définitif à la possession de l'île de Chypre, le gouvernement de la reine n'avait pas qualité pour abroger les capitulations dans un pays qui restait, au moins nominalement, sous la souveraineté du sultan. Le même argument pouvait être allégué dans le cas de la Bosnie qui, bien qu'occupée par l'Autriche-Hongrie en vertu d'un mandat européen reconnu et consenti par la Porte, était toujours censée faire partie de l'empire ottoman. C'est le même qu'on invoque aujourd'hui à l'encontre de l'abolition des capitulations en Tunisie. La vérité est que les capitulations ne peuvent être assimilées à des traités ordinaires; elles constituent, par leur caractère même et par leur origine, un ensemble de garanties exceptionnelles, qui disparaissent de plein droit avec les motifs qui les ont créées. Ces motifs, tirés de l'imperfection et de l'insécurité des institutions judiciaires dans les pays musulmans, n'existent plus là où flotte le drapeau d'une nation civilisée.

Le règlement des affaires ecclésiastiques soulevait certaines difficultés pratiques, par suite de la position ambiguë où se trouvaient les provinces occupées, même après la convention d'avril, à l'égard de la Porte ottomane.

Pour les musulmans, nul embarras. Comme il n'existe pas de hiérarchie ecclésiastique, qu'il n'y a pas même, à proprement parler d'Église dans l'islam, il suffisait d'assurer aux mahométans bosniaques, avec le libre exercice de leur culte, le maintien de leurs pratiques et de leurs coutumes dans toutes les circonstances où la loi civile se confond avec la loi religieuse. Nous avons vu que toute satisfaction leur avait été donnée à cet égard.

Il n'en allait pas de même avec les orthodoxes et les catholiques. Les premiers au nombre de près d'un demi-million, — plus des deux cinquièmes de la population totale, demandaient à être émancipés de la juridiction du patriarche de Constantinople, odieuse à tous les Slaves de la Péninsule, et auraient voulu qu'on les rattachât au patriarcat serbe de Carlovitz en Slavonie'. Rien de plus aisé, si la Bosnie avait été officiellement et définitivement incorporée à la monarchie. La substitution se fût opérée d'ellemême, d'après la règle constante qui, depuis Gennadius, veut qu'à chaque démembrement de l'empire osmanli corresponde un démembrement analogue du patriarcat orthodoxe. C'est ainsi qu'après l'érection de la Grèce, de la Moldo-Valachie, de la Serbie, en royaumes indépendants, se constituèrent les Églises autocéphales hellénique, roumaine, serbe. La fiction créée par le traité de Berlin, en maintenant la souveraineté nominale du sultan en Bosnie, impliquait par-là même le maintien de la juridiction spirituelle du patriarche. L'ancienne hiérarchie continuait de subsister. Cependant l'administration austro-hongroise pouvait, en intervenant, comme c'était son droit, dans la nomination des évêques, au lieu et place de la Porte, remédier en partie aux abus dont souffrait l'Église bosniaque, mal défendue par celle-ci contre les entreprises du clergé phanariote. Des négociations furent entamées avec le patriarcat par l'entremise de l'internonciature à Constantinople à la fin de 1879, et au mois de mars de l'année suivante, une convention fut signée qui réglait temporairement les rapports de l'Église orthodoxe de Bosnie avec le siège œcuménique, et portait que, désormais, le métropolitain-archevêque de Sérajévo et les deux métropolitains de Tuzla et de Mostar seraient choisis parmi les indigènes. Les quatre conseillers du consistoire orthodoxe (Consistorialrath) devaient également être indigènes. C'était une première satisfaction donnée aux Bosniaques qui souffraient impatiemment la présence d'évêques étrangers, indifférents sinon hostiles au pays, dont ils ignoraient la langue et les coutumes. Une autre réforme importante a été réalisée par l'établissement d'un traite

1. Ancien patriarcat serbe d'Ipek (Vieille-Serbie) transféré en 1737 à Carlovitz, à la suite de la grande migration des Serbes en Autriche, sous Léopold I.

2. La situation de l'Eglise bosniaque ne différait pas de celle de l'Église bulgare, que j'ai décrite ailleurs. Voy. la Revue d'août 1879.

3. Cette convention, rédigée en grec et en français, ne doit rester en vigueur que pendant la durée de l'occupation.

ment fixe assigné à l'archevêque et à ses suffragants sur le budget provincial 1.

L'Église latine bosniaque se trouvait dans des conditions tout à fait différentes. Elle n'avait point de hiérarchie propre. Territoire musulman, la Bosnie formait un pays de mission gouverné conjointement avec le provincial des Franciscains, par un vicaire apostolique résidant au monastère de Fojnitza et nommé par la Propagande de Rome. L'Herzégovine, détachée de la Bosnie en 1852, avait formé de même, à cette époque, un vicariat apostolique dépendant de l'évêché de Mercana en Dalmatie 3. Pouvait-on, après, les changements accomplis, maintenir le statu quo et continuer d'étendre à des provinces placées sous l'autorité directe du roi apostolique les règles applicables seulement aux pays infidèles, partes infidelium? Les Croates, qui composaient en grande partie, au début, la nouvelle administration, s'agitaient en vue du rétablissement de l'ancien évêché de Bosnie et de sa réunion au diocèse de Sirmie, dont le siège eût été transféré de Diakovo à Sérajévo. Cette combinaison, conforme à la fois à la tradition historique et religieuse, puisque l'évêque de Diakovo joint à son titre, depuis 1773, celui d'évêque de Bosnie3, et qui avait en outre l'avantage de faciliter le recrutement du clergé bosniaque, aurait prévalu, selon toute probabilité, s'il se fût agi d'un autre que de l'évêque actuel de Diakovo. Mais d'une part, la curie romaine goûtait médiocrement, les tendances libérales du prélat qui se montra jusqu'au dernier moment un des plus énergiques opposants au concile du Vatican; de l'autre, les Hongrois redoutaient en Mgr Strossmayer le chef national, le représentant le plus éminent et le plus autorisé du parti de la « Grande-Croatie », ce cauchemar du magyarisme. Les Hongrois l'emportèrent.

Au mois d'août 1881, une bulle de Léon XIII éleva la ville de Sérajévo à la dignité archiepiscopale et métropolitaine sous le nom

1. L'ensemble des dépenses pour le culte orthodoxe ne dépasse pas 41 125 florins. 2. C'était d'ordinaire un Franciscain. Il gouvernait de jure cumulativo, avec le provincial de l'ordre et le définitoire, les missionnaires curés de paroisses. Les autres religieux ne relevaient que de leurs supérieurs dans l'ordre.

3. Par exception, les districts de Trebigne et de Stolatz en Herzégovine étaient rattachés au diocèse de Raguse.

4. Diakovar des Hongrois.

5. Episcopatus bosnensis, diacovensis et sirmiensis. (Bulle de Clément XIV, 1773.) 6. Au moyen du grand séminaire national fondé par Mgr Strossmayer dans sa résidence épiscopale de Diakovo en 1837, et d'où sortent chaque année un grand nombre de sujets distingués.

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