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Certes l'École des géographes était fort incomplète: on n'y faisait guère que de la géodésie et de la cartographie. Les cadres de cette école devraient être singulièrement élargis. On devrait y venir de l'École des mines, de l'École normale, de l'École des langues orientales, et même de l'École des chartes. Notre association en a vraiment jeté les fondements par les huit sections dans lesquelles est reparti le travail géographique et topographique et qui répondent aux applications variées de la topographie et de la géographie.

Deux d'entre elles sont consacrées au commerce et à la colonisation. Si nous n'avons pu faire encore beaucoup dans ce sens, et parce que nous ne datons que de sept ans et parce que nous sommes une société, non une école, au sens complet du mot, nos tendances du moins ne sauraient échapper à un témoin attentif. Nous sommes de ceux qui applaudissent aux magnifiques vues émises avec une autorité incomparable par notre président d'honneur, M. Ferdinand de Lesseps, dans son tout récent manifeste sur le Caractère scientifique et civilisateur des grandes entreprises industrielles ayant pour but de faciliter les relations entre les peuples. Voilà bien pourquoi nos lauréats des années passées ont été tour à tour M. Ferdinand de Lesseps lui-même, dont la devise semble être Aperire terram gentibus1, et ses fidèles disciples, M. le commandant Roudaire et M. le lieutenant de vaisseau de Brazza; voilà pourquoi enfin notre lauréat de cette année est M. Jean Dupuis, l'explorateur du Fleuve Rouge.

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En 1882, M. Dupuis assistait ici même à notre séance générale. Tous ceux qui l'ont vu et qui connaissent ses travaux ne savent qu'admirer davantage, de sa modestie ou de son héroïsme. On sait. avec quelle rare sagacité topographique il devina le point précis où devaient porter ses efforts pour reconnaître la grande voie commerciale entre la Chine et l'Annam, voie à peine soupçonnée avant lui. En 1870, venant de la Chine, il l'explora effectivement, pénétra du nord au sud jusqu'au milieu du Tong-King et acquit « la certitude que le Fleuve Rouge qui le traverse devient navigable aux frontières du Yûn-Nân et reste tel jusqu'à la mer. »

Cette révélation fut accueillie avec une faveur extrême par les mandarins Chinois, a dit M. Dupuis lui-même.

1. Et dans un autre ordre d'idées, M. le général Blondel, M. le colonel Perrier, de l'Institut.

2. Voir la Revue de Géographie de décembre 1879, La question du Tong-King, p. 428.

Mais c'est pour la France qu'il avait entendu travailler. Aussi revint-il à Paris sans tarder pour faire part de ses desseins et de sa découverte au ministre de la marine. Puis, de retour sur son théâtre d'activité, accompagné de vingt-cinq Européens et de cent vingtcinq Asiatiques, il s'engagea résolument, malgré l'hostilité des mandarins annamites, dans la principale branche du Song-Cau, à son embouchure dans la mer. Arrivé à Hanoï, il attend vainement l'autorisation de poursuivre sa route; il la poursuit néanmoins. « Alors, écrit-il, les Annamites employèrent toutes les ruses imaginables, me tendirent même des guets-apens pour m'arrêter, ne reculèrent enfin devant aucun des moyens dont ils disposaient, poison et incendie je sus les déjouer. Des pillards, résidu des insurrections chinoises, étaient établis dans le haut fleuve je leur imposai par mon énergie, et, le 20 février 1873, après avoir achevé sur le Fleuve Rouge le premier voyage qu'ait jamais tenté un Européen, j'atteignis les frontières du Yûn-Nân, et de là, la capitale de cette province, où je fus reçu avec un enthousiasme indescriptible. »

A ce moment, il aurait pu, ou restaurer l'ancienne dynastie tonkinoise, ou accepter pour lui-même la vice-royauté du Tong-King que la Chine lui offrait. Mais ce Cortez pacifique et sans ambition. personnelle ne voulait rien faire qu'avec l'assentiment de la France.

Les événements qui suivirent sont connus de tous. Quelques mois après, nous retrouvons M. Dupuis à Hanoï, à côté de Francis Garnier, du docteur Harmand, de M. Dutreuil de Rhins, ces vaillants patriotes. Mais la mort de notre chef et le traité conclu par M. Philastre retardèrent de dix ans notre action décisive au Tong-King.

Après dix ans d'absence, d'inaction forcée, d'épreuves imméritées, M. Dupuis a regagné la Chine et l'Annam. Mais il y revient avec les témoignages d'estime et d'admiration des savants et des patriotes. Comme le disait en 1881, à l'Académie des sciences, M. l'amiral Mouchez, dans son rapport sur le prix Delalande-Guérineau : « M. Dupuis a donné un nouvel exemple de cette puissance féconde de l'initiative privée, qualité trop rare, trop peu encouragée en France, mais aussi commune qu'appréciée chez d'autres grandes nations dont elle a le plus servi la prospérité. »

Vous le voyez, mesdames et messieurs, notre médaille d'honneur ne pouvait s'adresser à un plus digne lauréat que M. Dupuis.

J'ajouterai qu'il y avait urgence à la lui décerner. Je ne doute pas que la Société de Topographie, si elle eût existé lorsque s'accomplit la reconnaissance du Fleuve Rouge, n'eût, à ce moment même, acclamé l'explorateur intrépide et patriote.

Vous vous étonneriez à bon droit qu'en ce jour notre Société passât sous silence une contrée bien éloignée sans doute de celle dont je viens de vous entretenir, mais où l'armée française, représentée par d'éminents topographes, vient de s'illustrer là où aucun drapeau européen n'avait encore été déployé : les bords du haut Niger. Aussi bien les noms de Borgnis-Desbordes, de Derrien, de Bayol, de Brosselard, de Delanneau, de Bonnier, de Vallière, sont dans toutes les bouches. Vous allez entendre l'un d'entre eux, M. Bayol, nommé récemment lieutenant-gouverneur du Sénégal. Honneur à tous ces vaillants pionniers, si dignement célébrés naguère dans la Revue de Géographie par M. le capitaine du génie Ancelle1, officier d'ordonnance du général Faidherbe, le promoteur de toutes les entreprises civilisatrices dans cette région.

Avant de clore ce discours, il me reste à saluer, au nom de la Société, les nouveaux membres d'honneur étrangers que nous nous sommes associés depuis un an M. le général Menabrea, ambassadeur de S. M. le roi d'Italie, dont les paroles si bienveillantes, adressées, dans cette enceinte, au mois d'avril dernier, à M. de Lesseps et à la Société, ont été reproduites dans toutes les langues; MM. les généraux Venukoff et Tillo, qui représentent avec tant d'autorité et d'éclat les études topographiques dans la Russie d'Europe et la Russie d'Asie; MM. Rosetti et D. Bratiano, l'un ancien premier ministre, l'autre premier ministre actuel de Roumanie, et leur compatriote le colonel Pilat; M. le baron de Beyens, ministre de la Belgique à Paris, et le colonel Sterck, à Bruxelles ; M. Paz, envoyé de la République dominicaine aux Pays-Bas tous amis dévoués de notre association et de la France.

LUDOVIC DRAPEYRON.

1. Revue de Géographie, livraisons des mois de mars et d'août 1883.

GÉOLOGIE ET TOPOGRAPHIE

Mesdames et Messieurs,

Appelé à l'honneur de prendre la parole devant vous, j'ai pensé qu'il y aurait quelque intérêt à faire ressortir ici les services que la géologie est de nature à rendre à la topographie.

Je me suis dit aussi qu'en plaidant ainsi la cause de la science que je cultive, je justifierais peut-être du même coup ma présence à cette tribune.

Si le poète a eu raison de placer dans la connaissance des causes la plénitude du bonheur... Felix qui potuit... dans ce cas, le topographe doit embrasser ardemment les études géologiques. Elles seules sont capables de lui faire comprendre l'origine et la signification des accidents qu'il étudie.

Cette liaison nécessaire entre la géologie et la topographie a depuis longtemps frappé une foule de bons esprits et déjà on a retiré du rapprochement des deux sciences des résultats très profitables.

Il y a dix ans, en 1873, un des colonels les plus jeunes et les plus distingués de notre armée était si persuadé du fruit que la topographie doit retirer de la géologie, qu'il avait bien voulu me demander de faire aux officiers de son régiment des leçons sur la science de la terre. J'allai pendant bien des mois, régulièrement, chaque semaine, décrire à ce martial auditoire les traits principaux de la structure du globe.

Avant chaque leçon, une voiture régimentaire venait au Muséum chercher des échantillons et des tableaux de démonstration.

A propos de voitures, j'en trouvais toujours une à la gare de Meudon pour me mener au camp. Basse, carrée, avec très peu de fenêtres, et sans ouverture par devant, elle avait un aspect si bizarre, qu'un jour j'en demandai la raison au capitaine d'état

major avec qui je faisais très fréquemment le voyage. Elle était destinée avant tout aux condamnés à mort la disposition spéciale des fenêtres avait pour but de cacher le plus possible au patient l'approche du poteau d'exécution.

A partir de ce jour-là, le trajet, fait à pied du chemin de fer au camp, prit un charme tout nouveau pour moi.

Ce n'est pas seulement dans la salle de cours que les officiers de 120° faisaient de la géologie. J'eus l'honneur de les mener à l'assaut de plus d'une carrière d'où ils ne dédaignèrent pas de rapporter des échantillons de roches et de fossiles.

Ils y prirent surtout, cependant, des notions positives sur les les rapports qui relient la forme des profils du sol à la nature des roches qui le constituent.

Ils en tirèrent, au point de vue purement militaire, une foule de conséquences et déterminèrent par exemple, même de très loin, les trajets favorables et ceux que des troupes devraient éviter.

C'était, en très petit, aborder les considérations si élevées que Dufrénoy et Élie de Beaumont ont fait valoir à l'égard des circonvallations géologiques qui protègent Paris et qui, au nombre de six, déterminèrent en 1814 de véritables alignements des batailles.

L'éloquence de pareils rapports entre la géologie et la topographie est rendue plus frappante encore par le nombre des régions où ils apparaissent.

En Bourgogne et dans beaucoup de pays dont le sol est formé par l'alternance souvent répétée de calcaires et d'argiles, le profil des coteaux dessine de gigantesques escaliers : comme exemple, on peut citer la localité classique d'Alise-Sainte-Reine, capitale de l'Auxois, la célèbre Alesia, qui est assise sur un plateau de calcaire oolithique dont les parois abruptes contrastent avec le profil adouci de son soubassement d'argiles liasiques.

En Auvergne, les plateaux de basalte, tels que celui de Gergovie, superposés à des éminences calcaires, donnent lieu à des contrastes analogues.

C'est de même à cause de la nature des roches qui les constituent que les formes entre les falaises crayeuses de haute Normandie contrastent avec celles des falaises cristallines de basse Bretagne, et que les corniches des Vosges du Nord, formées de poudingues permiens, diffèrent d'une manière non moins frappante avec les Ballons des Vosges du Sud, pointements de boutons éruptifs.

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