de Santillane. Deux écoliers allant de Pénafiel à Salamanque, s'arrêtent devant une pierre, sur laquelle ils lisent cette inscription qui serait une énorme impiété si elle ne cachait une leçon de morale: Ici est enfermée l'âme du licencié Pierre Garcias; cette âme n'était rien autre chose qu'une bourse. L'inscription, qu'il s'agisse d'un savant, s'appliquerait bien mieux à ses livres. Aussi dès qu'un écrivain de mérite n'est plus, se dispute-t-on ses dépouilles littéraires : il semble qu'en se procurant un des volumes confidents de ses méditations, auxiliaires de ses recherches, on s'empare en même temps d'une partie de son âme et de sa pensée; ce qui console de voir éparpiller tant de collections précieuses, tant de curiosités péniblement rassemblées, à part l'utilité qu'il peut y avoir à rendre à la circulation tous ces capitaux intellectuels. Donc la bibliothèque de M. Lambin fut vendue à Ypres, le 19 avril 1841. Elle n'était, il faut le dire, ni considérable, ni riche, pourtant il s'y trouvait des manuscrits importants, dont plusieurs ont été acquis pour la bibliothèque royale. Parmi ceux-ci, sous le n° 2, je m'arrêterai à la Chronique métrique de Nicaise Ladam, qui embrasse l'époque écoulée de l'année 1492 à l'année 1528, c'est-àdire depuis le siége de Boulogne par les Anglais, sous Philippe-le-Beau, jusqu'à la trève qui précéda le traité de Cambrai, Charles-Quint régnant 1. Nicaise Ladam a rimé l'histoire de son temps, à l'exemple de Georges Chastelain et de Jean Molinet. Or, cette manière de consacrer le souvenir du passé est un procédé propre à la poésie encore ignorante et naïve, lorsque, truchement universel, elle mnémonise et les annales des Ce MS. n'a coûté, avec les frais, que la somme modique de fr. 16-50: peuples et les faits de la science, comme elle rend tous les caprices de l'imagination. Mais à l'époque de Chastelain, de Molinet et de Ladam, s'ouvrait une ère nouvelle, celle de la littérature savante et calquée sur les modèles de l'antiquité. Ces écrivains étaient des hommes de transition; ils relevaient de Froissart et de Tite-Live, de même que leur siècle était placé entre le règne de la féodalité et celui de la monarchie, et, quoique changeant de caractère, la poésie finissait, entre leurs mains, comme elle avait débuté. Que le mot poésie que j'emploie ici ne trompe cependant personne. Il ne s'agit que de la forme, car aucune étincelle poétique ne jaillit de l'œuvre de Ladam. C'est un rimeur froid, incorrect et dur: la gazette en vers de Loret était du génie à côté de sa chronique. Celle-ci ne mérite l'attention que sous le rapport des indications matérielles qu'elle contient. Nicaise Ladam, que Foppens appelle mal Jean Adam', né à Béthune, en 1465, et décédé à Arras en 1547, entra de bonne heure au service de l'empereur CharlesQuint, et remplit les fonctions de l'un de ses rois d'armes, du titre de Grenade. Retiré sur la fin de sa vie à Arras, il fut enseveli dans l'église de St-Jean de Ronville, où l'on voyait, sous son portrait, cette épitaphe, qui contient un abrégé de sa vie et que rapporte Menestrier 2: Précogitant que l'homme est serf à pourriture, Et qui se porront lire après sa mort cent ans, 1 Bibl. belg., 560. 2 Les recherches du blason, seconde partie, de l'usage des armoiries. Paris, 1673, in-12, PP. 145-148. TOM. V. 3 Entre les fils sortis du premier père Adam. Des hauts princes servit en maints divers réames, Et pour vivre de mieux, joindant à Dieu les palmes, Mais parce qu'en Arras conclut soy transporter, L'an, le mois et le jour icy bas par escript (Voeuillez prier pour l'âme au benoist Jésus-Christ), Qu'elle puist face à face le voir à souhaitier, L'un des biographes actuels les plus profonds, M. Weiss, qui, dans le vingt-troisième volume de la Biographie universelle, a écrit la notice de Nicaise Ladam, n'a point tiré parti de cette curieuse épitaphe. Menestrier, à qui nous la devons, dit que le surnom de Songeur que portait Ladam, en sa jeunesse, provenait des fables généalogiques qu'il avait inventées, en bon roi d'armes qu'il était. Ces petites imaginations inspirées par la flatterie ou la complaisance, étaient en effet un privilége de sa profession. Sanderus, dans sa Bibliothèque des manuscrits de la Belgique, I, 290, cite, comme conservé à Arras, en 1641, dans le cabinet de Jean-François de Cardevacke, seigneur de Simencourt, un manuscrit intitulé: Cronicque en vers et prose de Nicaise Ladam, natif de Béthune en Arthois, et roy d'armes, intitulé Grenade, contenant les choses advenues de son temps, et principalement dessous l'empereur Charles-Quint. In-fol. Foppens, qui défigure le nom de l'auteur, désigne probablement son ouvrage quand il dit avec peu d'exactitude: « Concinnavit versibus gallicis, qui vulgo quadrains nuncupantur, sub hoc titulo: Chronicon ab anno 1488 usque ad annum 1543, de rebus gestis in Belgio, aliisque ad Caroli V imperium spectantibus, MS. » Selon la Bibliothèque historique de la France (éd. de Fontette), t. II, p. 223, no 17618, une chronique de Ladam commençant en 1488 et finissant en 1545, se trouvait dans la bibliothèque de St-Vast d'Arras, et un exemplaire qui s'arrêtait à l'an 1541 était chez le chancelier d'Aguesseau. Enfin, en 1810, M. Dulaure possédait une chronique de Ladam d'environ 600 pages in-folio, contenant la généalogie de la maison d'Autriche, dont l'auteur recule l'origine jusqu'à Phara mont; viennent ensuite diverses pièces en vers et en prose, des récits de batailles, des négociations, des traités de paix, des lettres, des éloges, des satires contre les Français. Selon toute apparence ce volume n'est qu'un recueil de mélanges et non la chronique de Ladam. Quant à celle-ci, l'exemplaire de M. Lambin est cette chronique complète. Ainsi qu'il l'a dit lui-même dans le Messager des sciences et des arts de la Belgique 1, il a appartenu à Philippe de Croy, 3me du nom, duc d'Aerschot, prince de Chimay, mort le 15 décembre 1575, après s'être distingué dans les troubles des Pays-Bas, et qui a marqué ce volume de son nom. Il est composé de 708 strophes de quatre vers alexandrins, et chaque page en contient six, toutes écrites sans ponctuation. Le premier et le dernier quatrain annoncent positivement le commencement et la fin de l'ouvrage. Les voici : 1492 En l'an mil quatre cent et quatre vingts et douze, 1528 Dont puis que trieves sont en Arthois et sups Somme Priant à Jhésuscrist me faire au vray escripre. Mais cette première rédaction a pu être reprise de plus haut, c'est-à-dire de 1488, et poussée jusqu'en 1545, suivant les indications que j'ai recueillies tout à l'heure. Je vais transcrire quelques vers des stances que M. Lambin a omises dans son extrait : 1494 Un gallant plain de mynes et de soubtil enhort Trouva lors à Malines Marguerite d'Yort, Soubz title faux et fin feist au roy Henri guerre, Dont il fust en la fin pendut en Angleterre. 1 Année 1835, 21 livr., pp 271-277. Extrait d'un ancien manuscrit. |