Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

Vous vous imaginez déja sur l'étiquette
Quelque scène tragique à faire tout trembler,
Quelque drame bien noir, à faire reculer:
Pour un dessert plus gai ma verve se ranime,
Et je veux aujourd'hui déroger au sublime.
Ce n'est qu'une boutade, impromptu familier,
Fait en me promenant pour me désennuyer.
De mes deux bons amis attendant la venue,
Je me promène ici dans ma longue avenue,
Ou dans celle d'autrui (1), c'est tout un; car enfin
Ma maison, comme on sait, n'a ni cour ni jardin,
Mais, comme à Clignancour, c'est la plus belle vue!..
Jadis de Despréaux la muse mieux pourvue,
Otant une syllabe au mot de chèvrefeuil,
Put adresser des vers au jardinier d'Auteuil,
Et, payé pour flatter et libre de médire,
En carrosse à Paris fit rouler la satire.

Je serais trop content si, sans tous ces honneurs,
Je montais comme lui le coursier des neuf sœurs;
De ce cheval quinteux, rebelle à mes caresses,
J'ai reçu quelquefois des ruades traîtresses.
De son maître Apollon si j'eus quelque vertu,
C'est la facilité de rimer impromptu.

Ainsi j'ai vu l'auteur de Mérope et d'Alzire,
Le chantre de Henri, d'Agnès et de Zaïre,
Conversant avec nous dans ses riants déserts,
S'échauffer sous le dieu qui lui dictait des vers,
Et dans ses entretiens sa verve encor brillante

(1) L'avenue du château de Montgeron: l'auteur habitait une maisonnette qui donnait dans cette avenue.

33.

Prodiguer les trésors de sa plume éloquente.
Vous direz que ces vers sont d'un style trop haut;
Je touche dans le noble, et c'est là mon défaut.

Eh bien! vous avez vu le pays des mensonges.
Qu'y cherchiez-vous ? parlez, racontez-moi vos songes.
Car de ce démon-là tout homme est travaillé ;
Il n'est point de mortel qui ne rêve éveillé.
Et trop heureux celui qui, gardant sa folie,
Peut rêver doucement tout le temps de sa vie!
Il est deux dieux charmants et qui nous sont biens chers,
L'Espérance et Morphée : ils bercent l'univers.
A la cour, à Paris, n'est-il point de nouvelles?
Usant à griffonner mes doigts et mes chandelles,
J'ignore ce qu'on fait, encor plus ce qu'on dit.
Monsieur Turgot a-t-il dans quelque bel édit
Fait entrer la raison discrètement ornée,
Et de se trouver là justement étonnée (1)?
Le prélat polonais, monsieur l'abbé Baudeau,
Soumet-il la finance à quelque plan nouveau ?
Serons-nous enrichis par les économistes?
Du chancelier Maupeou les modestes gagistes,
Avec deux mille francs payés de leurs vertus,
S'en iront-ils à pied, comme ils étaient venus?
Et ne dirons-nous rien de la littérature?
Le théâtre français fait-il quelque figure?
D'Arnaud occupe-t-il la presse et le burin?
Aubert dans la gazette efface-t-il Marin?

(1) C'est le premier des ministres de l'ancien régime qui n'ait pas cru se compromettre en raisonnant avec la nation.

A mon ami Fréron reste-t-il de quoi boire?
Remplira-t-il sa cave en vidant l'écritoire?
On dit que pour le vin il a quelque penchant :
Je suis toujours surpris qu'un buveur soit méchant.
Il s'enivre pourtant, et ce n'est pas de gloire.
Et Clément sur Voltaire aura-t-il la victoire ?
Ses lettres sans réponse, ainsi que sans lecteurs,
Vont-elles au bon goût ramener les auteurs?

Sa prose est un peu plate, et ses vers sont en prose;
N'était ces deux défauts, il ferait quelque chose.
Et l'homme à qui Piron, par son dernier écrit,
Légua son porte-feuille et non pas son esprit,
Rigolet (1) l'éditeur? - Comment! quel est cet homme?
Écoutez: il se nomme
Qu'est-ce que Rigolet?
Autrement Juvigny : le connaissez-vous mieux? --
Pas davantage. Et quoi! ce critique fameux,
Qui mit une préface et savante et romaine
Aux tables de Verdier et de la-Croix-du-Maine;
Qui va flatter Buffon sans en être aperçu,
Qui médit de Voltaire et n'en est pas connu;
Qu'on rencontre par-tout et qu'on ne cherche guère;
Qui, vous parlant toujours, devrait toujours se taire,
Grand ami de Fréron, grand docteur, bon chrétien,
Qui ne serait pas mal, s'il voulait n'être rien?

(1) L'un des plus ridicules écrivains de ce temps-là et l'un des plus sots ennemis qu'ait eus la philosophie. Il avait pris l'auteur de Mélanie dans une telle aversion que, dans une nomenclature d'anciens livres, intitulée, Bibliothèque de Verdier et de La-Croix-du- Maine, îl inséra les plus grossières personnalités contre lui.

Le voilà trait pour trait; et même, je vous jure,
L'original encor ne vaut pas la peinture.

Heureux le bon bourgeois qui, loin de ces travers,
Hors les commandements, n'a jamais lu de vers,
Qui va tous les matins, armé de ses lunettes,
Rêver profondément en lisant les gazettes,
Revient chercher sa soupe et le coin de son feu,
Boit avec son voisin, dort en paix, croit en Dieu,
Au vin du cabaret, à l'honneur de sa femme,
Et, quand il tonne, au ciel recommande son ame,
Qui de contes pour rire amuse ses enfants,
De son court revenu voit la fin tous les ans,
Récite sa prière, à la grand'messe chante,
Et quelquefois aussi caresse sa servante!

C'est vivre comme il faut, nous n'avons rien de mieux.
Nous avons trop d'esprit pour savoir être heureux.
Le bonheur, mes amis, vaut mieux que le génie.
Pardonnez à ces vers, fruits de ma fantaisie:
Mais si vous les trouvez trop plats, trop décousus,
N'allez pas le redire, et je n'en ferai plus.

FIN DU VOLUME DE POÉSIES.

« VorigeDoorgaan »