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« Malheur à moi ! tu me remplis ma bouche et ma vie d'amertume quand tu étais en vie, et en mourant tu la remplis de la douceur de ta chair1 !... »

Et de désespoir, croyant avoir réellement tué la femme qu'il aimait, le Sultan voulut se tuer aussi. La fiancée sortant de sa cachette lui retint le bras et lui dit :

<< Pardonnons-nous mutuellement et vivons heureux !

Qu'il soit fait ainsi, » dit le Sultan. Persévérant et prospérant, ils laissèrent beaucoup d'enfants.

1. Le conte grec ne dit pas que la fille ait rempli la bouche du roi d'amertume, aussi le roi s'écrie :

« J'ai tué la douceur elle-même, puisque son sang même est doux. >>

Le conte arabe fait ressembler le sucre à la chair ferme et douce, et le conte grec le miel au sang.

XVI

LE TURC JALOUX ET SA FEMME

CAIROTE 1

A

UTREFOIS un Turc arriva au Caire avec l'intention de s'y établir.

Il avait beaucoup voyagé, beaucoup vu et acquis une grande connaissance de la vie.

Pensant qu'un homme ne peut vivre heureux sans être marié, il se décida à prendre femme.

Mais, ayant une grande expérience, il savait qu'on ne devait songer à prendre femme sans prendre toutes sortes de précautions pour prévenir les malheurs qui sont les suites de la légèreté de la nature féminine.

Après de mûres réflexions, il fit venir une laveuse.

«Ma mère, lui dit-il, je désire me marier.

1. Publié dans le Bulletin de l'Institut Egyptien, 2o série, no 6, 1885, p, 311.

J'ai beaucoup d'expérience et je connais les femmes, il faut donc que vous m'en trouviez une qui me convienne sous tous les rapports. >> Puis il énuméra ses conditions :

<< Il faut, disait-il, qu'elle soit jeune et habile, n'ait jamais quitté sa maison et ses parents; et, par-dessus tout, qu'elle consente à vivre dans une maison composée d'une seule chambre, sans jamais désirer en sortir. C'est là une condition expresse. Je n'ai pas besoin de vous en dire plus long, il suffit, allez !...

La vieille laveuse se mit en campagne sans en demander plus long.

Au bout de quelques jours elle avait trouvé la compagne désirée.

C'était, disait-elle, une jeune fille forte, alerte et jolie; jamais elle n'avait dépassé le seuil de sa maison. Lorsque sa mère lui fit part des conditions posées par le Turc, la jeune fille avait répondu :

<< Ici, ou chez ce Turc, n'est-ce point la même chose ! »

La description que fit la vieille de la beauté de la fille, et sa réponse empreinte de naïveté, plurent au Turc.

La mère et le père consentants, la fille consentante, on fit les noces.

Le Ture avait trouvé une maison à sa guise; elle était composée d'une seule chambre où l'on arrivait en montant un escalier donnant directement sur la porte de la rue.

<< Bien habile l'homme qui s'introduirait ici sans que je m'en aperçoive », pensait le Ture.

Quand il sortait, il fermait la porte à clef, un seul regard lui suffisait pour s'assurer qu'il n'y avait dans sa maison personne autre que sa femme.

Ainsi il vivait heureux, dans une quiétude absolue.

Cependant, en face des fenêtres de la chambre, de l'autre côté de la rue, il y avait une boutique de boucher.

La jeune femme voyait tous les jours le boucher, un jeune homme fort et beau, actif et gai. Il chantait tout en servant ses clients, sans désemparer, toute la journée.

Elle devint amoureuse du jeune boucher... Un jour le Turc rentra à l'improviste. Dès que sa femme entendit le grincement de la clef dans la serrure de la porte, vite elle

poussa le boucher dans un coin de la chambre, derrière la corde où étaient suspendus les vêtements de son mari' et jeta par dessus un carré de toile. Elle en prit un autre entre ses mains et s'avança à la rencontre de son mari qui était déjà entré et commençait à monter les escaliers.

« Femme, dit le Turc, qu'y a-t-il derrière ce drap, dans le coin.

Viens, mon seigneur, assieds-toi par ici, repose-toi et écoute, lui dit sa femme, puis elle reprit :

1. Chez les Egyptiens et surtout chez les Cairotes de moyenne et de basse condition, les meubles à tiroirs ou les armoires n'existent presque pas, même de nos jours. A peine la femme possède-t-elle une caisse. En général, on tend une corde dans un coin de la chambre, sur laquelle on étale les habits. Lorsqu'une corde n'est pas suffisante, on en tend deux, trois, etc. On dit d'un homme qui a beaucoup d'habits: son porte habits est plein d'un mur à l'autre.

2. Sorte de carré de toile ou de cotonnade blanc ou de couleur bleue, avec lequel les femmes du peuple s'enveloppent de la tête aux pieds lorsqu'elles sortent; les femmes d'une condition aisée portent ce carré en soie noire. Le carré a environ 150 de côté.

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