de la fidélité à venir de Suffolk et de ses adhérents. Mais au commencement de l'année suivante le duc de Suffolk prit part à une nouvelle insurrection, dont on présume qu'il fut le moteur, bien que cette insurrection eût pour chef Wyat et pour objet l'élévation de la princesse Élisabeth au trône d'Angleterre. Wyat et Suffolk, ayant été faits prisonniers, subirent la peine capitale. Le jugement prononcé contre Jeanne et Guilford était resté suspendu sur leur tête; deux jours après l'arrestation de Wyat, ils furent avertis de se préparer à mourir. Jeanne ne témoigna pas de surprise de ce message; seulement le délai de trois jours mis à l'exécution de son arrêt parut lui être pénible. Marie lui envoya un de ses chapelains, le docteur Feckenham. I essaya vainement de tourmenter la conscience de Jeanne en lui disant que sa persistance dans sa foi religieuse l'excluerait du ciel; ses efforts ne réussirent point à ébranler la conviction de la princesse. Le matin du jour fatal, le 12 février, la permission de se dire adieu fut donnée aux deux époux; mais Jeanne refusa cette entrevue, sous le prétexte que dans quelques heures elle et lui se retrouveraient dans un autre monde. Aucun historien anglais n'a commenté ce refus; ils paraissent croire que Jeanne voulut éviter une scène d'attendrissement qui eût amoindri le courage de Guilford et le sien propre. Un grand écrivain français, Mme de Staël, a considéré ce renoncement de Jeanne à la consolation qu'on lui offrait, comme une expiation volontaire et méritoire, parce qu'elle n'était pas forcée, du tort qu'elle avait eu d'accepter la couronne dont une autre femme était l'héritière légitime. Mais chez les grandes âmes la pensée a quelquefois des profondeurs que l'œil humain oublie de sonder; peut-être cette victime de l'ambition des deux familles auxquelles elle appartenait sentit que le souvenir de la conduite de Guilford envers elle jetterait sur ce moment suprême une amertume qui troublerait ses sentiments religieux. La crainte d'émouvoir trop fortement le peuple, dont le malheur d'une si jeune et si aimable princesse excitait la pitié, empêcha, plus encore que le respect pour le sang royal dont Jeanne était issue, que son exécution eût lieu en public. On dressa son échafaud dans l'enceinte de la Tour, où elle était gardée depuis l'avènement de Marie, ainsi que Guilford; quant à lui, il fut supplicié avant elle, hors de la Tour, et à la vue d'une multitude immense. Jeanne conserva jusqu'à sa dernière heure la liberté de son esprit et le stoïcisme de son caractère. De la fenêtre de sa prison, elle vit passer le corps décapité et dégouttant de sang de Guilford, que l'on transportait du lieu de son exécution à la chapelle de la Tour pour y être inhumé; un soupir fut la seule expression du mouvement intérieur qu'elle éprouva. Lorsque ensuite sir John Gates, gouverneur de la Tour, vint chercher la princesse pour la conduire à l'échafaud, il la pria de lui laisser un souvenir; elle lui donna des tablettes sur lesquelles elle avait écrit un instant auparavant, en grec, en latin et en anglais, trois sentences que venait de lui suggérer la vue du cadavre de son époux. Sur l'échafaud, où elle monta d'un pas ferme, elle adressa aux assistants d'un ton calme, et avec une physionomie sereine, quelques paroles simples et vraies. Elle confessa qu'elle avait erré, mais par obéissance, non par ambition; elle n'était point coupable d'avoir cherché à s'emparer de la couronne, mais de n'avoir pas assez fortement résisté à la volonté de ceux qui lui ordonnaient de l'accepter. Elle termina son discours en exprimant la confiance que son âme serait sauvée par les mérites du Christ, et après avoir dit un psaume avec Feckenham, elle posa sa tête sur le billot. Un seul coup de hache mit fin à cette vie si pure, qui avait à peine duré seize ans. Camille LEBRUN. Strype, Memorials, Annals of the Reformation. — Ascham, Works. Haynes, State Papers. Noailles, Dépêches. Pollini, Istoria della Rivoluzione d'Inghilterra, publiée en 1594. - Lingard, History of England. Hume, History of England. GREY (Richard), théologien et écrivain pédagogique anglais, né à Newcastle, en 1694, mort en 1771. Il fut élevé à Lincoln-College à Oxford, obtint successivement le rectorat de Kilncote (comté (de Leicester), celui de Hinton (comté de Northampton), et la prébende de l'église cathédrale de Saint-Paul. Ses principaux ouvrages sont Memoria technica, or a new method of artificial memory applied to and exemplified in chronology, history, geography, astronomy; also Jewish, Grecian, and Roman Coins, weights, and measures, etc., with tables proper to the respective sciences, and memorial lines adapted to each table; 1730, in-8°; A System of English ecclesiastical Law, extracted from the Codex Juris ecclesiastici Anglicani of the R. R. the lord Bishop of London, for the use of young students in the universities who are designed for holy orders; 1731, in-8°. L'université d'Oxford décerna à Grey pour cet ouvrage le diplôme de docteur en théologie. Z. Chalmers, General Biographical Dictionary. ~ GREY (Zacharie), théologien et littérateur anglais, né en 1687, mort en 1766. Il fit ses études au collége Jésus à Cambridge, et devint recteur de Houghton Conquest (comté de Bedford), puis vicaire de Saint-Giles et de Saint-Pierre à Cambridge. Chalmers cite de lui trente-trois ouvrages, dont le plus connu est une édition de Hudibras, avec des notes et une préface; 1744, 2 vol. in-8°. Il publia un supplément à ce poëme en 1752, in-8°. Il fut le violent antagoniste de Warburton. On estime son Impartial Examination of the second volume of M. Daniel Neal's History of the Puritains; 1736, in-8°. Il assista Whalley dans son édition de Shakspeare, en 1756; lui-même avait publié : Critical, historical, and explanatory Notes Chalmers, General Biographical Dictionary. GREY (Charles), comte GREY, et baron GREY DE HOWICK, homme d'État anglais, né le 13 mars 1764, à Fallowden, près d'Alnwick ( Northumberland), mort à Howick-House, le 17 juillet 1845. Il appartenait à une famille anoblie sous le règne d'Édouard VI. Son père, sir Charles Grey, qui s'était distingué à la bataille de Minden et à la prise de Québec, fut élevé à la pairie en 1802, avec le titre de baron Grey de Howick, et créé comte Grey en 1806. Il mourut au mois de novembre 1807, dans sa soixante-neuvième année. servèrent leurs idées libérales au milieu d'une réaction dont le gouvernement n'avait pas seul donné le signal, et que l'opinion publique accueillait avec faveur. Cette période de lutte, pour une cause que le pouvoir attaquait et que la nation ne défendait pas, dura depuis 1792 jusqu'en 1801, et ce fut l'époque la plus brillante de la vie politique de Grey. En 1792, de concert avec lord Lauderdale, Erskine, Withbread, Sheridan, et plusieurs personnes distinguées du même parti, il fonda la Société des Amis du Peuple. Cette société, qui n'eut aucune action immédiate sur le pouvoir, mérite cependant une place importante dans l'histoire parlementaire de la Grande-Bretagne; elle prépara la réforme exécutée quarante ans plus tard par son principal fondateur. Le 30 avril 1792, au nom de la Société des Amis du Peuple, il annonça dans la chambre des communes qu'il ferait l'année prochaine une motion sur la réforme à introduire dans la représentation nationale. Mais, dans l'intervalle d'une session à l'autre, des faits graves s'accomplirent qui semblaient devoir le détourner de son projet. La révolution française avait renversé la monarchie et proclamé la république. Beaucoup de Charles Grey fit de brillantes études au collége d'Eton, et avant d'avoir atteint sa seizième année il entra à l'université de Cambridge, où il resta environ deux ans. Il entreprit ensuite le voyage sur le continent qui est en Angleterre le complément obligé de toute éducation aristocratique, et consacra deux ans à visiter la France, l'Espagne, et surtout l'Italie. Sa carrière parlementaire commença presque aussitôt après son retour. Élu, en 1786, membre de la chambre des communes pour le comté de Nor-whigs, de plus en plus alarmés, négociaient, sous thumberland, il s'attacha au parti et surtout à la personne de Fox. Son début oratoire, son maiden speech, prononcé en 1787, fut une vive attaque contre le traité de commerce que Pitt venait de conclure avec la France. La chambre, sans donner raison au jeune orateur, remarqua son talent. En 1788, il fut un des commissaires désignés pour soutenir la poursuite de la chambre des communes dans le procès de Warren-Hastings, et, l'année suivante, il prit une grande part à la discussion du bill de régence. Le parti whig, que la régence du prince de Galles devait ramener aux affaires, demandait pour ce prince des pouvoirs plus étendus que ne voulait lui en accorder la politique jalouse de Pitt. Grey, que l'éclat de sa jeunesse, de son rang, et l'agrément de ses manières avaient placé parmi les amis les plus familiers de l'héritier présomptif, fit partie de tous les conseils de CarltonHouse, pendant les débats de la régence, et il eût été ministre si le parlement eût adopté la régence. Mais Pitt temporisa, le roi se rétablit, et les whigs, pour longtemps écartés des affaires, s'engagèrent plus vivement dans l'opposition. Ce parti était à la veille d'une dissolution partielle. Les premiers mouvements de la révolution française, ses excès et ses progrès, eurent une immense influence sur la politique intérieure et étrangère de la Grande-Bretagne. Les whigs ressentirent profondément le contre-coup des espé-Grey, dans le discours éloquent où il soutint la rances et des craintes également exagérées que la révolution excita en Angleterre. Tandis que les uns, saisis d'effroi, cherchaient, avec Burke, dans la politique du ministère, un refuge contre les agitations populaires, les autres, en petit nombre, mais ayant à leur tête Fox et Grey, con la direction du duc de Portland, une coalition avec Pitt, laquelle finit par se conclure en 1794. Fox, effrayé de la dissolution de son parti, ne voulut pas que son nom fût inscrit parmi ces Amis du Peuple que l'opinion publique stigmatisait comme des jacobins et des niveleurs. La tentation de remettre à une autre époque le projet de réforme était forte; Grey n'y céda pas. Homme de principes sévères, libéral par devoir, avec beaucoup de hauteur et de dédain aristocratique, il se souciait peu de l'opinion et ne comptait pas ses adversaires. Le 6 mai 1793 il présenta à la chambre des communes la mémorable pétition des Amis du Peuple. Les pétitionnaires se plaignaient que le nombre des représentants élus par les comtés fût singulièrement disproportionné avec leur étendue comparative, leur population et leur commerce. « Les droits électifs, disaient-ils, sont distribués d'une manière si inégale, si partiale, et sont souvent confiés à des corporations si peu nombreuses, que la majorité de la chambre se trouve élue par moins de quinze mille électeurs. » Ils avançaient ensuite, comme un fait incontestable, que trois cent-neuf membres, formant une grande majorité dans la chambre, étaient nommés pour l'Angleterre et le pays de Galles, indépendamment des quarante-cinq membres d'Écosse, par soixante-etonze pairs et quatre-vingt-onze propriétaires. pétition, ne mit en avant aucun plan de réforme. Il demanda un retour aux vrais principes de la constitution, et fit une motion tendant à faire examiner, par une commission spéciale, l'état de la représentation dans la chambre des communes Cette motion fut rejetée, à la majorité de deux cent quatre-vingt-deux voix contre quarante-etune. Ce résultat était trop prévu pour que Grey s'en décourageât. Il n'en continua pas moins de faire une opposition énergique, quoique toujours vaine, à ce qui constituait alors la politique de Pitt compression à l'intérieur, intervention à l'étranger, dépenses énormes couvertes par des emprunts. En 1794 il essaya d'obtenir une enquête sur la conduite du gouvernement qui avait introduit en Angleterre des troupes étrangères sans le consentement du parlement. Il s'opposa avec une grande vivacité à la suspension de l'habeas corpus act. En 1795 il s'opposa avec une égale vigueur au bill qui avait pour but de limiter, sinon de prohiber, les réunions publiques. Le 10 mars 1796 il demanda une enquête sur l'état général des affaires, appelant l'attention sur l'immensité des dépenses, les larges avances faites par la banque, et l'application de l'argent à des objets différents de ceux qui avaient été votés par le parlement. Toutes ces propositions furent rejetées. Mais si le ministère gardait toute son action sur le parlement, il commençait à perdre dans l'opinion. Grey crut donc le moment venu de tenter un nouvel et décisif effort en faveur de la réforme. Le 26 mai 1797 il développa devant la chambre son plan de réforme parlementaire. Le nombre des députés des comtés devait être porté de quatre-ving-treize à cent treize, et la franchise électorale étendue des francs-tenanciers aux fermiers à long bail. Les autres quatre cents membres devaient être nommés par les chefs de famille payant l'impôt. Les élections auraient lieu dans un seul et même jour. Dans le cours de la discussion, Grey déclara qu'il ne prendrait plus de part aux débats de la chambre si sa proposition était repoussée; elle le fut, à la majorité de deux cent cinquante-neuf voix, contre quatre-vingt-treize. Grey ne reparut dans la chambre que deux ans plus tard, pour s'opposer à la réunion projetée de l'Irlande avec la Grande-Bretagne. Il craignait que l'addition des représentants irlandais n'accrût la majorité du ministère, et il aurait voulu que l'union, si elle devait se faire, fût précédée d'une réforme électorale en Irlande. Cette nouvelle proposition ne fut pas plus heureuse que les précédentes. Cependant, le moment était venu où le parti conservateur allait à son tour se diviser, sous l'influence de l'opinion publique. Pitt, remplacé au pouvoir (1801) par Addington (depuis lord Sidmouth), se coalisa contre lui avec des whigs de toutes nuances; mais, peu fidèle à ses nouveaux alliés, il rentra sans eux au ministère (1804), et les eut pour adversaires. A travers cette double évolution politique, le parti whig se reconstitua, et compta parmi ses chefs Grenville, le plus important des anciens collègues de Pitt. Lorsque la mort de celui-ci, en 1806, porta le dernier coup à son ministère, déjà bien ébranlé, les diverses fractions du parti whig, réunies à quelques conservateurs, for mèrent un cabinet, où Grey (maintenant lord Howick) prit place, d'abord comme premier lord de l'amirauté, puis après la mort de Fox, en septembre, comme secrétaire d'État pour les affaires étrangères. Il remplit aussi les fonctions de leader de la chambre des communes dans le parlement qui se réunit au mois de décembre de la même année. La nouvelle administration, affaiblie par le mauvais vouloir de la couronne, ne sut pas conquérir l'appui de la nation par de grandes mesures populaires. L'objet principal qu'elle se proposait, la paix avec la France, devint impossible par suite de la campagne de Prusse. Elle fut brisée par le roi, au mois de mars 1807, sans exciter de regrets. Elle eut pourtant l'honneur, dans sa courte existence, de faire adopter dans la chambre des communes l'abolition de la traite des nègres. Personnellement lord Grey eut le mérite de refuser aux instances de Georges III une promesse secrète de renoncer à l'émancipation des catholiques. Cette noble résistance fut la cause immédiate du renvoi du ministère Grenville. A la mort de son père, en novembre 1807, lord Howick, devenu comte Grey, alla continuer à la chambre des lords l'opposition, rarement interrompue, qu'il faisait depuis vingt ans dans la chambre des communes. Un de ses premiers actes fut de protester contre le bombardement de Copenhague. En 1809, la désastreuse expédition de Walcheren, le duel et les démissions de lord Castlereagh et de Canning, puis la mort du duc de Portland, amenèrent la dissolution du cabinet qui avait remplacé celui de lord Grenville. Perceval, par l'ordre exprès du roi, adressa deux duplicatas de lettre aux lords Grey et Grenville, alors absents, pour les inviter à se rendre immédiatement à Londres, à l'effet d'y composer «< un ministère de coalition ». Lord Grey, qui se trouvait dans sa résidence du Northumberland, repoussa dédaigneusement des ouvertures qu'il ne regardait pas comme sincères, et le cabinet Perceval se forma à l'exclusion des whigs. Le prince de Galles, nommé bientôt après régent (1811), et lié depuis longtemps avec les membres de ce dernier parti, semblait devoir prendre ses conseillers parmi eux. Il se contenta d'exprimer froidement, dans une lettre au duc d'York, en 1812, le désir que les lords Grenville et Grey fissent partie du ministère Perceval. Cette offre presque dérisoire fut rejetée. L'ascendant de Perceval et des tories paraissait assuré, lorsque ce ministre fut assassiné, le 11 mai 1812. Dans le désarroi où cet événement jeta le pouvoir, il fallut revenir aux whigs. Le régent autorisa lord Moira à traiter avec les deux lords, sans condition. On était sur le point de s'entendre; mais lord Grey redoutait l'empire de la marquise de Hertford sur l'esprit du régent, et il savait que la maison de ce prince était toute composée de membres de la famille de la marquise ou de ses créatures. Lui et Grenville demandèrent donc que les grandes charges du pa lais fussent mises à leur disposition.. Cette exigence inopportune fit rompre les négociations; une administration se constitua sous Bord Liverpool. Elle dut bientôt une force irrésistible aux événements qui, après bien des alternatives, donnèrent raison à la politique de Pitt. Lord Grey rompit, en 1845, le lien qui l'attachait à lord Grenville: il défendit le droit qu'avait la France de changer son gouvernement, et blåma, avec une généreuse éloquence, l'intervention de l'Angleterre dans les affaires d'un pays étranger. Pendant les six ou sept années suivantes, il s'opposa constamment, bien qu'avec une réserve taxée de timidité par les plus hardis de son parti, à la politique compressive de lord Liverpool. Il demanda une enquête sur la conduite du gouvernement dans la sanglante répression connue sous le nom de massacre de Manchester. Sa motion fut repoussée par cent cinquante-cinq membres contre trente-quatre; mais l'on remarqua que deux membres de la famille royale,les ducs de Kent et de Sussex votèrent avec la minorité. Il combattit la peine de la transportation appliquée aux auteurs de libelles séditieux. Enfin, il défendit la reine Caroline contre les poursuites haineuses du ministère, et prêta à la réputation, bien compromise, de cette princesse l'appui de sa haute moralité. Cette conduite retrempa la popularité de lord Grey. En même temps le mouvement de plus en plus prononcé de l'opinion vers les idées libérales rendait difficile la position des ministres qui les combattaient. Canning le comprit, et lui, qui avait quitté jadis les whigs pour les tories, revint aux premiers, par une évolution habile et sincère, dont son pays lui sut gré. On s'attendait que lord Grey prêterait son appui à ce ministre il lui fit, au contraire, une opposition que n'exigeait certainement pas l'intérêt public. C'est que, avec toutes ses nobles qualités, le comte Grey était profondément imbu de l'esprit aristocratique. La défense de la liberté lui semblait appartenir de droit aux grandes familles de son pays, et il souffrait de voir cette cause confiée à un plébéien, qu'il regardait au fond comme un brillant aventurier. Canning, devenu premier ministre en 1827, l'eut donc pour adversaire, et cette opposition à contre-temps empêcha le parti whig de s'installer solidement aux affaires. Grey se trouva un moment presque confondu avec le parti contraire. Il soutint l'amendement du duc Wellington qui amena l'abandon du corn-bill (loi sur les céréales) de Canning. Comme dans cette discussion un orateur avait dit que le rejet de la loi provoquerait une rupture entre l'aristocratie et le peuple, le comte Grey prononça ces paroles, qu'on devait lui rappeler plus tard : « Si ce vote, dit-il, doit amener une lutte entre cette chambre et une grande portion du peuple, mon parti est pris; avec l'ordre auquel j'appartiens, je résisterai, ou je succomberai; » et il ajouta : « Je maintiendrai jusqu'à la dernière heure de mon existence les priviléges et l'indépendance de cette chambre ». Le temps était proche où les circonstances forceraient lord Grey à modifier ce que cette déclaration avait de trop absolu. Jusqu'en 1830 le gouvernement anglais se refusa à la moindre réforme électorale. Lorsqu'un nouveau parlement se rassembla après la mort de Georges IV, le duc de Wellington, alors premier ministre, déclara expressément que le système de représentation méritait et possédait la pleine et entière confiance du pays: superbe assurance, que démentait l'état des esprits et qu'il fut impossible de maintenir, lorsque la révolution française de 1830 vint provoquer en Angleterre une redoutable émulation. Le duc de Wellington, quoiqu'il eût la majorité dans les chambres, donna sa démission, en novembre 1830. Lord Grey fut aussitôt chargé de former un ministère. Il le fit au milieu des circonstances les plus difficiles, sur la plus large base. Le radicalisme mitigé et le torysme libéral ne furent pas exclus de cette combinaison, et le parti whig dans toutes ses nuances y fut représenté par les lords Althorp, Brougham, Durham, Holland, Lansdown, Melbourne, Palmerston, Stanley, Russell, Glenelg. On remarque seulement que lord Grey, fidèle à ses idées aristocratiques, avait un peu trop prodigué les lords dans son ministère, et qu'il n'avait pas fait aux illustra tions plébéiennes une place aussi large que le duc de Wellington. Malgré cette prédominance de l'élément aristocratique, la nouvelle administration fut franchement libérale. « Tout ce que j'ai professé dans l'opposition, je me propose de l'accomplir au pouvoir », avait dit lord Grey; et il remplit noblement cet engagement. Le 1er mars 1831 lord John Russell (voy. RUSSELL), au nom du cabinet, présenta le bill de réforme à la chambre des communes. Repoussé une première fois, le cabinet fit appel au pays, et il en obtint une chambre où le parti réformiste avait décidément la majorité. Un second bill, peu différent du premier, fut porté le 12 décembre 1831 devant la chambre des communes. La chambre des lords au contraire, à laquelle il fut présenté le 26 mars 1832, montra un parti bien arrêté de ne pas l'adopter, et le 7 mai 1732 lord Lyndhurst fit passer un amendement qui équivalait à un rejet. L'opposition des lords était un obstacle prévu, qu'on pouvait surmonter en menaçant la chambre de modifier sa majorité par la création d'un certain nombre de pairs. La menace ne pouvait avoir d'effet que si elle était sérieuse. Lord Grey demanda donc au roi Guillaume la permission de créer, s'il le fallait, un nombre de pairs suffisant. Guillaume s'y refusa, et le cabinet de lord Grey se retira le 9 mai. Aussitôt une agitation menaçante se produisit dans la chambre et dans le pays. Le parti tory, qui essaya de former une administration, échoua complétement, et le 17 mai lord Grey revint au pouvoir. Cette fois il n'était plus possible de lui refuser l'autorisation de créer des pairs, et l'on savait que, malgré sa profonde répugnance à employer un pareil moyen, il en userait au besoin. Les lords cédèrent. Le bill passa le 4 juin, à une majorité de cent-six voix contre vingt-deux, et trois jours après il reçut la sanction royale. Ainsi fut résolue, sans atteinte portée à l'ordre ou à la constitution, une question qui remise en d'autres mains aurait pu conduire l'Angleterre à une révolution. L'honneur de cette solution pacifique appartient à tous les membres du cabinet whig, mais à aucun autant qu'à lord Grey, dont la conduite durant la crise fut admirable de calme et de fermeté. Le premier parlement réformé se rassembla le 29 janvier 1833, et ses premières mesures furent l'abolition de l'esclavage colonial, l'abolition du monopole de la Compagnie des Indes orientales, la réforme de l'Église anglicane d'Irlande, et la réforme de la loi des pauvres. Au milieu de son triomphe, le cabinet whig portait en lui le germe d'une prochaine dissolution. Les progrès mêmes de sa politique devaient marquer chaque jour d'une manière plus tranchée, et enfin rendre inconciliables les différentes nuances qui le composaient. En mars 1833 lord Durham donna sa démission, pour cause de santé. A la fin de mai 1834 lord Stanley (maintenant comte Derby), sir James Graham, le comte de Ripon et le duc de Richemond, refusèrent de s'associer à des mesures qui selon eux portaient atteinte à l'Église anglicane, et ils quittèrent le ministère. Le comte Grey lui-même n'attendait qu'une occasion d'abandonner avec honneur la carrière politique. I la trouva dans de graves dissidences qui survinrent au sein du cabinet à propos de l'Irlande. Le comte Grey croyait à la nécessité de maintenir dans cette contrée le coercion bill; plusieurs de ses collègues, au contraire, par ménagement pour O'Connel, auraient voulu en adoucir les dispositions les plus rigoureuses. Le secret de ce dissentiment fut livré à O'Connel (voy. lord SPENCER), qui fit aussitôt contre le premier ministre des sorties violentes. Lord Grey, malgré son dédain de grand seigneur pour l'agitateur de l'Irlande, ne pouvait rester insensible à ces attaques, et ne trouvant pas dans ses collègues d'appui assez dévoué, il résigna le pouvoir, le 9 juillet 1834. Pendant un an ou deux après sa sortie de charge il parut encore de temps en temps à la chambre des lords, puis il rentra tout à fait dans la retraite, qu'il avait toujours aimée, et où il passa, au milieu d'une nombreuse famille, les dix dernières années de sa vie. Il mourut dans sa quatre-vingt-deuxième année, laissant un des noms les plus honorables et les plus honorés de l'histoire parlementaire de l'Angleterre. Éminent par le caractère et les lumières, le comte Grey porta soit dans la conduite de l'opposition, soit au pouvoir, un trop vif désir d'indépendance, une réserve trop hautaine, une certaine inhabileté à manier les hommes; aussi avec de grandes qualités ne fut-il pas un grand homme d'État, et parut-il plus propre à honorer son parti qu'à le diriger. Grey avait épousé, le 18 novembre 1794, MarieÉlisabeth, fille unique du très-honorable William Brabazon-Ponsonby. Il eut d'elle dix fils et six filles. Sa veuve, huit de ses fils, et quatre de ses filles lui ont survécu. Léo JOUBERT. Penny Cyclopædia (Biography). Rose, New general Biographical Dictionary. Monthly Magazine, 1831.Merivale, dans la Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1836. Revue Britannique, 1846. Roebuck, History of the Whig Party of 1830; Londres, 1852. - Edinburgh Review, avril 1852. Harriet Martineau, History of Thirty Years' Peace. *GREY (Henry-Georges, comte DE), lord HoWICK, homme d'État anglais, fils aîné du précédent, naquit en 1802. Il entra au collége de Trinity à Cambridge. Il fut envoyé à la chambre des communes en 1829 par Winchelsea, et y siégea en 1830 comme représentant de Higham-Ferrars. A la formation du ministère de son père, il fut nommé sous-secrétaire des colonies; mais en 1833 il donna sa démission, ne voulant pas concourir à l'exécution des projets de lord Stanley (aujourd'hui comte de Derby) pour l'émancipation des esclaves. Il occupa successivement pendant une courte période le poste de sous-secrétaire de l'intérieur, et à la formation de l'administration Melbourne, en 1835, il devint secrétaire du département de la guerre. En 1841, après avoir échoué auprès des électeurs du Northumberlandshire, qu'il avait représenté pendant dix ans, il fut élu membre du parlement par Sunderland, vint siéger dans les rangs de l'opposition, et sut gagner la réputation d'un homme d'État aussi sage qu'habile. En 1845 il succéda à son père comme comte de Grey, siégea alors à la chambre des pairs, et occupa en 1846 le poste de secrétaire d'État des colonies dans le cabinet de lord John Russell. En 1852 il quitta le ministère avec ses collègues, publia un long mémoire justificatif (2 vol. in-4°) sur son administration, qui avait été l'objet de nombreuses critiques, et entra en opposition contre lord Derby. Après la dissolution du ministère de la coalition, il fut désigné comme ministre de la guerre; mais il refusa ce poste, parce qu'il ne regardait pas la guerre de l'Orient «< comme juste dans un long discours, prononcé à la chambre et nécessaire ». Il développa à ce sujet ses vues des lords le 25 mai 1855. M. GAUDIN. Men of the time. *GRÉZIN (Jacques), poëte français, vers le milieu du seizième siècle. Il fut curé de Condac et vicaire général du cardinal de La Bordaizière, évêque d'Angoulême; on manque de détails sur sa vie, et il est resté si peu connu qu'il n'est nulle mention de lui dans les écrits des anciens bibliographes (La Croix du Maine, Du Verdier, les frères Parfaict, etc.). Il est auteur d'une composition dramatique, véritable moralité, sans distinction d'actes ni de scènes, imprimée à Angoulême, en 1565, in-4°, et intitulée : Advertissement fait à l'homme par les fléaux |